J’avais onze ans et j’étais en famille d’accueil depuis trois ans. Suite à un abandon parental. Dans cette famille
Je me précipitai loin de la table au moment où la vedette de la famille arrivait. Je ne l’identifierai pas pour ne pas identifier la famille, mais il s’agit d’un chanteur western qui passait à la télé… Appelons-le Hubert. La famille fit bon accueil à l’artiste de la famille et ma bévue passa inaperçue. Je me retirai dans un coin en les jalousant d’être si nombreux et si heureux. Je voyais la montagne de cadeaux et il n’y en avait aucun pour moi. Peut-être que les cousins et cousines me laisseraient jouer un peu avec les leurs… juste un peu… Après que les adultes eurent bien mangé et bu, moins que ma famille où l’alcoolisme sévissait et où « prendre un coup solide » était déjà dans les mœurs. Non, cette famille était, vue de l’extérieur, une famille modèle.
Quand arriva la tablée des enfants, je m’avançai timidement, ne sachant où m’asseoir. J’ai encore été rabroué, cette fois par la femme de ma famille d’accueil : « Toi le pensionnaire, va dans le petit salon ; je vais te faire une assiette. » Elle amena une assiette à son petit et m’oublia quinze minutes. Je dus, comme d’habitude, m’occuper de leur enfant en jouant aux dames. À onze ans, j’étais un excellent joueur de dames, car j’avais appris de leur grand-père. Mais je devais laisser gagner l’enfant de la famille, qui était plus jeune que moi, en plus d’être affecté par une légère déficience intellectuelle. Moi le surdoué (j’ai eu des notes en moyenne de 95 % durant tout le primaire) je devais laisser gagner leur enfant pour le valoriser. Et mon repas qui arriva en retard, alors que tout le monde avait terminé. Et il n’y avait pas de petits pois dans mon assiette ! Je mangeai en pleurant, ne me sentant pas à ma place et pas aimé du tout. À ce moment arriva la femme de la vedette. Elle me donna un billet de deux dollars en me disant que c’était de la part de l’oncle Hubert. Et là, elle me demanda comment j’allais.
— Viens avec moi ! dit-elle en me prenant par le cou.
Elle me ramena dans la cuisine en laissant l’autre enfant seul dans le petit salon.
– Veux-tu quelque chose ?
– Des petits pois… Mes exigences étaient plutôt simples, ce qui la fit rire. La vedette y alla de sa petite rengaine et d’un petit solo de violon, son instrument de prédilection. Ma famille d’accueil regarda ma tante Monique de travers et elle eut cette réplique qui changea la dynamique familiale : « Le laissez-vous étudier au moins ? »
C’est bien sûr que j’ai payé cher ce petit moment de bonheur. Par contre, tant que j’avais le nez dans les livres, j’étais tranquille. À ma fête, en septembre, ma famille d’accueil m’acheta un dictionnaire, le Petit Larousse illustré. Ainsi, ils passaient cet achat dans le budget pour la rentrée et dans le budget pour ma fête. Je n’avais pas d’autres livres, alors je l’ai lu, d’un bout à l’autre, en déplaçant un signet de A à Z ! À douze ans, j’avais déjà pas mal de vocabulaire…
Notice biographique
« Né à Victoriaville dans un garage où sa famille habitait, l’école fut la seule constante de son enfance troublée. Malgré ses origines modestes, où la culture était un luxe hors d’atteinte, Denis a obtenu un bac en sociologie. Enchaînant les petits emplois d’agent de sécurité ou de caissier de dépanneur, il publia son premier ouvrage chez Louise Courteau en 1982 :La lumière différente, un conte fantastique pour enfants. Il est un ardent militant d’Amnistie Internationale et un rédacteur régulier dans des journaux universitaires et communautaires. Finalement, après plusieurs manuscrits non publiés, il publiera chez LÉR Les chroniques du jeune Houdini. D’autres romans sont en chantier… »