Honteur, un texte de Clémence Tombereau…

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Il reste chez l’auteur comme des vestiges laids de l’enfant trop timide. Il a honte. Honte d’écrire. Honte de passer pour un auteur, un écrivain, car il trouve que ces mots-là sont moches finalement. Honte de toute la mythologie qui entoure le métier et que nous tentons dans ces pages de détricoter sans pudeur. Il n’y a rien de louable à être écrivain, au contraire.
Ces regards, là, qui tombent sur lui lorsqu’il ose évoquer ce à quoi il passe le moins clair de son temps, sont des regards qui jugent un peu, forcément. Un écrivain. Tiens ! Rien d’original : tout le monde écrit aujourd’hui. Puis, il faut être un peu dépressif pour être écrivain, non ? Ou alcoolique, non ? Enfin, il faut être un peu bizarre, avouez, pour se plonger tout nu dans le lait de la page et tenter d’y créer des tourbillons vivants. Écrivain, ça voudrait pas dire aussi, un peu, fainéant, parce que hein, rester le cul sur une chaise à écrire, hein, on a vu plus actif, n’est-ce pas ? Puis, avouons, ça fait tellement adolescent, poète maudit, tout ce genre de choses désuètes désormais. L’écriture renvoie à l’expérience que pas mal de personnes ont eue, d’écrire un journal intime ou des poèmes stupides lorsqu’elles étaient adolescentes. Écrire, c’est parce qu’on a du mal à parler non ? Ça sert à quoi finalement, aujourd’hui, avec le monde qui change comme jamais ? Écrire n’a pas vraiment d’utilité n’est-ce pas ? Dites-moi, cher auteur, l’écriture ne serait-elle pas un prétexte pour expliquer votre regard vague, votre air torturé, votre timidité ? Écrire ne serait-il pas finalement un habile alibi pour vous soustraire au monde ? Avouez, cher auteur, l’écriture est une couverture douillette, mais un peu mitée sous laquelle vous vous cachez pour ne pas affronter la réalité !? Écrire, c’est se cacher et aujourd’hui, cher auteur, on ne se cache plus ! On se montre, on passe à la télé, on devient star même pour cinq minutes, on est la propre star de sa propre vie, regardez comme c’est facile aujourd’hui : Andy Warhol était un vrai prophète! À l’heure où tout se montre, à l’heure où tout est image, où tout est rapide vous vous terrez dans vos mots, dans vos longues heures à chercher la bonne tournure, avouez, cher auteur, cela est presque ridicule !
Voilà l’ensemble de questions, d’idées, reçues ou non, qui tombent sur l’auteur comme une pluie acide. Aussi il peut avoir du mal, du moins à ses débuts, à se prétendre auteur, à avouer cette tâche ingrate qui l’occupe jour et nuit, tout comme il avait honte, dans sa jeunesse, de s’attabler dans un café avec un carnet, un clavier, presque nu aux yeux des gens qui, pensait-il peut-être à tort, se demandaient bien ce qu’on pouvait avoir à écrire aujourd’hui. Une personne qui lit, sur un banc, dans un bar, dégage quelque charme, tandis qu’une personne qui écrit, comme ça, le visage parfois crispé, la bouche parfois bizarrement tordue, les soupirs faciles, les regards vidés lorsqu’ils sortent de la feuille, du clavier, avouez, ça fait tache. Il ne pourrait pas faire ça chez lui, cet exhibitionniste !?
Voilà, voilà la honte de l’auteur, fraîchement créée de toute pièce par l’idée qu’il se fait du regard des autres. Aussi, à la question « que faites-vous dans la vie ? » il aura bien du mal à ne pas bafouiller, à ne pas prendre un air contrit et même un peu stupide pour avouer que, oui, aussi absurde et insignifiant que cela puisse paraître, il écrit. « Ah ! Super ! Mais vous faites quoi d’autre ??? » : ce genre de réponse l’assassine sur-le-champ. Alors il prend sa honte en bandoulière, il se tait, sourit tout en courbant légèrement l’échine, et repart dans son monde en pensant que les gens, peut-être, peuvent bien avoir raison.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge chat qui louche maykan alain gagnonDéclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.  Récemment, elle a publié Débandade (roman) aux Éditions Philippe Rey.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)