Dorison et Meyer (photo: Wouter Porteman)
« Le plus grand western depuis Blueberry ». Depuis la sortie du tome 1 en janvier dernier, la BD « Undertaker » de Xavier Dorison et Ralph Meyer suscite un grand enthousiasme chez les lecteurs et les libraires. « La danse des vautours », le tome 2 qui vient de sortir, ne fait que confirmer tout le bien qu’on pense de cette série, dans laquelle un croque-mort, une gouvernante et une domestique doivent transporter un cadavre rempli d’or, avec à leurs trousses une horde de mineurs en colère. Tension, action et rebondissements: tous les ingrédients sont réunis pour faire de la série « Undertaker » un excellent divertissement. Ca tombe bien: c’est exactement l’objectif recherché par les deux auteurs. Le scénariste Xavier Dorison et le dessinateur Ralph Meyer nous en disent un peu plus sur le présent, mais aussi le futur de leur série à succès.
C’est le deuxième album de la série « Undertaker » que vous sortez en moins de 12 mois. Est-ce que vous allez pouvoir tenir cette cadence infernale?
Meyer: En réalité, on avait pris un peu d’avance… Cela dit, ça a effectivement été un peu chaud pour terminer ce deuxième album dans les temps. On l’a fait parce qu’on avait vraiment envie de sortir les deux premiers albums au cours de la même année, histoire d’installer la série assez vite auprès des lecteurs.
Manifestement, cela a bien fonctionné, puisque vous avez vendu plus de 50.000 exemplaires du premier album. Est-ce que ce succès répond à vos attentes?
Dorison: Oui, bien sûr, on est très contents. Rien à redire!
« Undertaker » est souvent comparé à Blueberry. Même votre éditeur utilise cette référence. Ca vous fait sourire ou ça vous agace?
Meyer: Blueberry est la référence absolue en termes de western. Il est donc inévitable qu’on fasse le parallèle. Maintenant, il est clair aussi que notre éditeur utilise cette comparaison pour des raisons liées avant tout au marketing. Au début, ça nous mettait d’ailleurs mal à l’aise et nous n’étions pas d’accord, mais l’éditeur a vraiment insisté. Du coup, on a décidé de le laisser faire son métier, qui est d’assurer la visibilité maximale aux bandes dessinées qu’il publie. Notre métier à nous est simplement d’essayer de faire les meilleurs bouquins possibles. Au final, il apparaît que Dargaud a eu raison parce que le lien avec Blueberry a créé beaucoup de discussion autour de la série et lui a donné plus de visibilité.
Est-ce que vous étiez vous-mêmes des fans de western avant de lancer « Undertaker »?
Meyer: Oui, depuis l’adolescence, nous avons toujours eu le goût pour les westerns. Xavier et moi sommes d’une génération qui a connu « La dernière séance », l’émission mythique présentée par Eddy Mitchell, qui diffusait un ou deux westerns tous les mardis soirs. Nos parents nous permettaient de les regarder parce que le mercredi, il n’y avait pas école. Tous ces films américains nous ont vraiment marqués au fer rouge. On en a d’ailleurs revu un paquet pour préparer cette série.
Dorison: Il y a un aspect très ludique dans le western. Tous les garçons de notre génération ont joué dans le jardin ou dans le parc avec un chapeau de cow-boy, un colt à pétards à la ceinture et un petit gilet avec une étoile en plastique. Jouer au western, c’est faire régner la justice, mais aussi découvrir l’aventure, ainsi que des paysages gigantesques et grandioses. Cette part de rêve qui provient du western est ancrée profondément dans notre génération. Devenus adultes, on a pris conscience que le western est en réalité un genre fondamental. Il recrée une sorte d’arène qui correspond à l’arène d’un théâtre antique, dans laquelle des gens sont livrés à eux-mêmes dans un espace immense et doivent remettre en cause leurs valeurs morales et leurs jugements. La rencontre entre cette envie profonde et naïve qui remonte à l’enfance et les outils d’un auteur adulte fait que c’est un réel bonheur de pouvoir faire un western. Même si c’est aussi un gros challenge.
Faire un western, ça implique de respecter certaines règles?
Dorison: Je ne crois pas aux règles dans le domaine artistique, mais aux principes. Si vous êtes dans une pizzeria, vous voulez qu’on vous serve une pizza, pas une choucroute. C’est la même chose pour les principes du western. Quand j’ouvre un album de western, je veux des bagarres, du soleil, des chevaux, je ne veux pas des problèmes de comptabilité ou de révélations homosexuelles.
Meyer: C’est vrai que notre volonté première est de faire du divertissement. Mais ça ne nous empêche pas de faire aussi un gros travail sur la psychologie des personnages et sur la manière dont ils vont évoluer. Quand on fait du divertissement, il faut le faire avec énormément de sérieux, parce que c’est un genre très exigeant.
Dorison: Nous, ce qu’on aime c’est le divertissement intelligent. On voudrait nous faire croire qu’on peut faire soit du divertissement un peu débile, avec des explosions et des blagues en permanence, soit des histoires très pesantes, dans lesquelles les thématiques et les symboliques sont assénées à coups de massue. Notre chemin à nous est de raconter des histoires qui sont non seulement distrayantes mais qui ont aussi un sens, comme l’étaient les grands westerns des années 60 et 70. Même les films de Sergio Leone, comme « Le bon, la brute et le truand » par exemple, étaient loin d’être uniquement des divertissements. Ils posaient aussi un regard sur le rapport entre l’homme et la guerre.
La force de la série « Undertaker » réside notamment dans ses personnages. Ils sont à la fois très typés et très différents les uns des autres, puisque la série rassemble notamment un croque-mort dur à cuire, une gouvernante anglaise et une domestique chinoise. C’était une volonté de votre part?
Dorison: Oui, absolument. Le carburant d’une bonne histoire, c’est le conflit. Si tu mets côte à côte deux personnages qui sont toujours d’accord, ça ne va pas être très intéressant. Ce tome 2 nous permet aussi de dévoiler un peu plus les réels objectifs des personnages.
Comment voyez-vous la suite de la série? Avez-vous déjà une fin en tête?
Dorison: Non, honnêtement, on n’a pas de fin prévue. Par contre, on a plein d’épisodes en tête. D’ailleurs, le tome 3 est déjà écrit et le tome 4 est lui aussi bien avancé.
Meyer: On a encore envie de raconter beaucoup de choses. On s’amuse bien avec ce personnage. Tant qu’il y aura du plaisir et de l’enthousiasme, il n’y a pas de raison de s’arrêter.
L’idée d’un croque-mort comme héros, ça vous est venu comment?
Meyer: C’est moi qui suis venu voir Xavier en lui proposant de faire une série avec un croque-mort. L’idée était de prendre un personnage qui est omniprésent dans bon nombre de westerns, mais toujours de manière assez anecdotique, et d’en faire un personnage principal. D’un point de vue graphique aussi, c’est un personnage qui a une identité très forte. Après, c’est Xavier qui a transformé cette idée en quelque chose de crédible.
Dorison: Ce qui est bien, c’est que son métier nous donne un objectif pour chaque épisode: qui a tué telle personne? quand arrivera-t-on à enterrer telle autre? Chaque fois, l’histoire va partir d’un mort, un peu comme dans les romans criminels. Sauf que notre personnage croque-mort n’est pas là pour défendre la loi. Il est là pour trouver des explications, faire régner une forme de morale, éviter qu’il y ait d’autres morts. C’est un anti-héros, car il ne défend pas les valeurs de la société, comme le font les héros habituels, mais des valeurs qui lui sont propres.
Est-ce que vous pouvez lever un coin du voile sur le tome 3?
Dorison: Le tome 3 parlera d’un médecin ambulant dans l’Oregon. Pas un charlatan, mais un excellent chirurgien. Le problème, c’est qu’il a décidé que puisqu’il sauve pas mal de monde, il peut de temps en temps s’octroyer le droit de tuer quelques-uns de ses patients. Or, il se trouve que ce médecin et Jonas Crow, notre croque-mort, ont un compte à régler. Ce qui promet évidemment pas mal de complications!
Comment travaillez-vous ensemble?
Dorison: On discute beaucoup, en partant du principe que deux cerveaux sont forcément plus efficaces qu’un seul. Pour qu’une BD soit bonne, je crois qu’il faut une véritable osmose d’objectifs et d’envies entre le dessinateur et le scénariste. Je ne vois pas comment on peut faire une bonne BD si on ne se parle pas, si on ne se connait pas et si on est à 1.000 kilomètres l’un de l’autre. Goscinny et Uderzo, par exemple, étaient des super potes. En plus, la bande dessinée est un métier très solitaire. C’est donc vachement plus sympa d’avoir un copain à qui on peut raconter ce qu’on fait ou montrer ses pages.
Est-ce que vous avez un lien aussi fort avec tous vos dessinateurs?
Dorison: Franchement, non. Ralph et moi, ça fait presque 10 ans qu’on travaille ensemble, c’est donc clair qu’on a un lien très fort. Il y a d’autres dessinateurs avec qui c’est très différent. Je travaille avec Rosinski sur le nouveau Thorgal, par exemple, et là, c’est plus rock’n roll, ne fût-ce que parce qu’on n’est ni de la même génération ni du même pays. Mais ça se passe bien, parce que Rosinski est un des grands maîtres de la BD franco-belge.