Le roman se déroule dans une ville portuaire non citée - mais qu’on peut légitimement supposer être Anvers en Belgique - et plus précisément dans son quartier « rouge », fait de ruelles sombres où alternent troquets louches et vitrines où s’exposent des dames accueillantes. Dans ce petit monde clos, marins, dockers, macs, vendeurs de drogue et autres louches individus au passé trouble, sont une faune de laquelle Carco va extraire les principaux acteurs de ce roman.
Il y a tout d’abord Feempje, le Hollandais brutal, dont une main est remplacée par un crochet de métal, il tient le Montparnasse, un bar où tous se croisent. Flossie, jeune mais déjà décatie tient la place peu enviable de serveuse et de maîtresse, quasi esclave de son patron-tyran, « puisqu’il ne pouvait point chasser cette garce, il prenait plaisir à la châtier dans sa chair… » Citons aussi Geisha, la prostituée, et Adolf Soter, son fiancé Polonais ; François-le-Balafré, un mac pour Lulu-la-Parisienne. Mais qui est ce vieillard, Lionel Poop, qui erre dans le quartier régulièrement, comme attiré par Geisha et que la vieille Koetge, mère maquerelle, semble avoir bien connu autrefois ?
Comme souvent (toujours ?) chez Francis Carco, dans des décors sordides, des marginaux de la société se débattent entre un présent peu reluisant, un passé qu’ils veulent oublier et un futur qui n’existe qu’en rêve. Des semblants de vie, des apparences d’amour, tarifé ou non. L’univers de l’écrivain est sombre, pour ne pas dire noir ; il y a même des morts, certaine suspecte avec une esquisse d’enquête policière. Quant au finale, il ne pouvait que rester dans la tonalité de ce livre, pessimiste et désespéré.
« Ces cadeaux n’entraient point dans le prix que Geisha lui avait fait dès sa première visite : ils représentaient une rémunération supplémentaire. La fille mettait le kimono et les mules pour recevoir Poop. Les châles et les étoffes étalés sur des chaises jetaient dans la boutique des taches de couleurs vives, diaprées, qui prêtaient au décor une sorte de raffinement. Poop aimait voir ses cadeaux étalés autour de lui. Il vint une fois avec une bague, une autre fois avec des pierres précieuses montées en pendentif. Geisha n’y comprenait rien. Elle n’aurait jamais cru le vieillard assez riche pour lui offrir de tels présents, mais elle les acceptait et s’en parait. Alors il se passait en Poop quelque chose d’extraordinaire. Il parlait d’amour à Geisha, lui pressait, lui baisait les mains et, fréquemment, se retirait sans l’avoir prise. »