Le bruit et la fureur – William Faulkner

Par Cpmonstre

Vous vous demandez sans doute (si si vous vous demandez) : Pourquoi Faulkner ? Pourquoi maintenant ?

Premièrement, je suis du genre à commencer avant le 1e janvier mes bonnes résolutions de l'année (celles du genre : lire plus de classiques, sortir de son petit confort de lecture etc...). Et deuxièmement, les pléiades, offertes par mon grand-père chaque année à Noël, prenaient la poussière sur les étagères. J'ai donc eu l'éclair de génie (modestie quand tu nous tiens) d'enfin ouvrir l'un de ses précieux recueils. Faulkner a été choisi parce que je me suis rendue compte que c'était peut-être l'auteur que je connaissais le moins et que je ne savais absolument pas ce qu'il écrivait. J'ai été fixée dès les premières pages. Et j'ai adoré.

Si vous attendez un résumé, ce n'est même pas la peine. Y'en a pas. Parce que Le bruit et la fureur, c'est plus qu'un simple roman, c'est une expérience. Tout ce que je peux vous dire c'est qu'il décrit et raconte un drame familial autour des Compson, une vieille famille américaine sudiste vivant avec leurs " nègres " sur les terres ancestrales. L'histoire se déroulant en 1910 et en 1928, plusieurs générations vont se succéder. Jason Compson, le patriarche alcoolique, sa femme Caroline et leurs enfants : Caddy, Quentin, Jason et Maury appelé " Benjy " puis Quentin, la fille de Caddy. Enfin leurs domestiques : Rusko et Disley, leurs enfants Versh, T.P et Frony, puis Luster le petit-fils.

La lecture de ce roman, c'est comme une enquête. Une lecture où le lecteur est lâché à travers les lignes et doit trouver les clés pour comprendre la logique du récit. Alors endossons notre trench-coat de Columbo, prenons un cigare et un verre de bourbon. The Game is on !

Soyons honnêtes les chatons, Faulkner n'est pas le genre d'écrivain qui te met à l'aise, pépouze, en prenant soin de te décrire qui est qui ni de quoi il est question. Non. Il te jette in medias res dans le récit sans que tu arrives à savoir qui parle. Donc, prenant mon mal en patience, je me rends compte que la narration est instable. On saute du coq à l'âne facilement. Tiens, ça me rappelle quelque chose...Je poursuis sans arriver à mettre le doigt dessus. Et puis au bout de 50 pages, l'épiphanie survient. Ça y'est. J'ai compris. L'unique cours d'anglais que j'ai réussi à suivre à la fac sur la littérature anglo-saxonne me revient. On est dans " le courant de conscience ", the stream of consciousness. Et là tout s'éclaire !

- Bonjour Professeur Pipe-en-flammes. Alors " le courant de conscience ", késako ? - C'est très simple ma chère. C'est un courant apparu au début du XXe siècle dont James Joyce, Virginia Woolf et Marcel Proust sont les représentants les plus connus. Pour faire simple, c'est une technique littéraire qui essaie de reproduire le cheminement de pensée en flux continu d'un individu, faisant fi de toute règle et toute logique de narration et de ponctuation. Par exemple, ne vous est-il jamais arrivé de surprendre vos propres pensées et de vous demander comment vous en êtes arrivés à penser à un sujet complètement différent du premier ? - Ça m'arrive assez souvent, c'est vrai. Donc, on peut dire que Faulkner a utilisé cette technique pour exprimer l'intimité de ses personnages ? - Eh bien ma foi, oui. Cela me semble tout à fait correct. - Merci Professeur Pipe-en-flammes pour nous avoir éclairé. Vous pouvez rejoindre votre placard poussiéreux, on vous rappellera.

Ainsi, c'est à l'aide de flashbacks et de bonds en avant que...

- Mmh. Pardon de vous interrompre ma chère, mais techniquement il faut parler d'ellipses, d'analepses et de prolepses.

- Professeur, on vous a dit de retourner dans votre placard.

- MAINTENANT !

Donc comme je disais, c'est à l'aide de flashbacks et de bonds en avant que le narrateur, qui est un des personnages et qui diffère à chaque chapitre (au nombre de 4), dévoile l'histoire de la famille à travers son récit. Si c'est perturbant au début, la fluidité du courant de conscience nous emporte à la vitesse d'un cours d'eau et il devient alors difficile de lâcher le livre. En tant que lecteur-enquêteur, on recoupe les bribes des différents points de vue et le premier chapitre qui avait paru très abstrait prend tout son sens après relecture. Après avoir compris le fonctionnement de la narration et avec l'habitude, le récit se fait plus claire et devient alors terriblement fascinant.

J'ai tout simplement été bluffée par l'oeuvre que ce soit au niveau de la complexité des personnages que de l'écriture (c'est juste un truc de malade ce qu'a fait Faulkner) dont le style change selon le point de vue adopté par un personnage. Ainsi on apprend à connaître les principaux acteurs du récit dans leur intimité profonde grâce à l'écriture : Caddy la soeur protectrice qui nourrit des sentiments ambigus envers ses frères, Quentin l'écorché vif dont le destin se révélera fatal, Jason le frère fourbe, mesquin et amer qui se retrouvera trop tôt responsable de la famille et Benjy l'enfant handicapé mental et complètement dépendant de son entourage.

Le drame que l'on devine dans les liens qui tissent les membres de cette famille se fait jour petit à petit. À l'instar de Disley, la domestique en chef qui veille comme une mère poule sur toute la maisonnée, on reste impuissant face à la déchéance de la famille Compson. La violence, le désespoir mais également la beauté qui se dégage du roman force l'admiration.

Je suis ressortie de là, comme après un long voyage dans la psychologie humaine, avec le sentiment que j'ai loupé des détails tellement le roman, pas très long pourtant, est riche et complexe. Il y a tellement de niveaux de lecture différents qu'une seule lecture ne suffit pas et mon Moi intérieur d'ex-étudiante de lettres rêve de pouvoir réétudier tout ça.

Alors, Faulkner, mon cher, dis toi que ce n'est qu'un au revoir. Maintenant que j'ai fait ta connaissance, je ne te lâche plus !