Fuite de fluide

Par Denis Arnoud @denisarnoud

Fuite de fluide de Li Cam, paru chez Organic Editions



  3h 15 du matin, la narratrice se tourne dans son lit. Impossible de dormir. Et ce ploc, ploc incessant, venant de la salle de bain qui lui vrille les nerfs. Elle se lève bien décidée à faire rendre gorge à ce robinet insolent. Mais les gouttes d'eau continuent à tomber, inexorablement, impitoyablement. De guerre lasse, la jeune femme décide de prendre un bain pour se calmer, s'y plonge et s'endort.
 
 

Li Cam nage dans une mer d'encre, elle y est habituée. Pour l'instant tout est calme mais elle sait ce qui l'attend. Elle va encore devoir lutter contre le Léviathan, ce garde-fou, celui qui empêche la porosité entre le monde de "je" et le monde de Li Cam, qui interdit à l'encre de fixer les mots et les maux de Li Cam dans le réel.
"Le garde-fou est le voile qui couvre le miroir  et qui met l'âme en danger de mort imminente."
   " L'encre ancre à la réalité"
   Entre "je" et Li Cam, laquelle est la plus réelle ? Celle qui va travailler la journée pour gagner sa vie, ou celle qui part dans son monde de chimères pour en rapporter des histoires ? Cette nouvelle nous plonge dans l'univers de la création littéraire, sur cette lutte entre le réel et l'imaginaire, une lutte qui n'a pas de vainqueur puisque "je" et Li Cam doivent coexister pour que cette oeuvre prenne forme. Cette fuite de fluide est la condition pour qu'elle s'incarne.
 Comment dans le cas de cette nouvelle parler du contenu sans évoquer son contenant. Fuite de fluide est une nouvelle graphique de la collection Petite Bulle d'Univers d'Organic Editions. Le cahier des charges de cette série est pour les auteurs de s'inspirer d'une oeuvre plastique (photos, sculpture, peinture) pour rédiger leur texte.
     Dans Fuite de fluide le texte, poétique, plein de force et de fantaisie de Li Cam et les photos de Jean-Emmanuel Aubert se combinent parfaitement ou puisqu'on parle de fluide, se coulent l'un dans l'autre. Les textes répondent aux photos, ils sont  imprimés sur des pages de couleurs correspondant à l'élément liquide du texte et des photos : le transparent de l'eau, le bleu-vert de l'océan, le sépia, le noir de la mer d'encre. Ce mélange, ce mariage nous offre un objet littéraire - maintenant identifié sous l'appellation "nouvelle graphique" - parfaitement réussi. A saluer également, le travail à la conception graphique de Philippe Aureille. J'en redemande !!!! Bravo !
"A tous ceux qui pensent que mon monde n'est qu'un leurre.
   Je dis : et plus encore.
   Je ne suis pas dupe de la futilité de mes croisades, 
   Comme de la mesquinerie de mes vengeances,
   Et je n'impose à personne de croire en mes chimères.
   Je joue des décalages, des collages sans âges,
   Des dérives sans rives.
   Je ne sais rien et pourtant je donne tout.
   Je laisse la vérité aux bonimenteurs.
   Je laisse la bonne parole aux vrais amateurs.
   Je tisse des trames, je file les existences, je prends, je vole, j'usurpe
   Et si mon monde et ses monstres herculéens peuvent paraître effrayants,
   Ce n'est qu'une imposture pour tenir les pusillanimes à distance.
   Toutes les souffrances et les meurtres que je perpètre,
   Ne font pas de victimes.
   Là-bas, je suis seule, 
   Mais la solitude ne me pèse plus.
   Accompagnée de mes fantômes,
   J'erre sans entraves, 
   Et me délivre du sort des hommes
   Et de mes propres insuffisances.
   Alors, àt oui ceux qui prétendent que mon  monde n'est qu'un piège, 
   Je dis :
   Je ne suis qu'un fluide qui fuit, 
   Un liquide qui s'échappe, 
   Une mer dans laquelle viennent se diluer toutes les peurs et toutes les haines du monde."
    Un grand merci à Jean-Emmanuel Aubert de  m'avoir fourni quelques fichiers photos pour me permettre de vous les présenter. Bientôt je vous présenterai cette maison .