Le 5 septembre 1638, naît Louis Dieudonné, l'enfant-miracle. Des années qu'un héritier mâle au trône de France était attendu, en vain. Même Louis XIII semblait avoir perdu espoir. Ne restait que la prière, celle du peuple, celle de l'aristocratie, celle du Roi, lui-même, enfin récompensée par cette naissance tardive.
C'est donc peu dire que, dès sa naissance, le jeune Louis bénéficie d'un cote de popularité, pour reprendre un terme anachronique, largement au-dessus de la moyenne. Il est déjà un petit roi pour la Cour et il apprend déjà à se comporter comme tel. Mais, il y a encore énormément de chemin à parcourir avant qu'il ne devienne le plus grand souverain d'Europe.
Ce même 5 septembre 1638, à deux pas du Pont-Neuf, à Paris, dans une cave sordide, un autre enfant voit le jour. Les conditions de cette autre naissance sont bien différentes, à des années-lumières de la pompe qui encadra la naissance du futur roi. Je ne vous en dis rien ici, car les circonstances de cette naissance sont au coeur de ce roman...
Sachez tout de même que celui qui va devenir Toussaint Delaforge est orphelin, qu'il garde du pénible accouchement une cicatrice disgracieuse sur le visage et qu'il es recueilli par un Jésuite, le père de Marolles. Celui-ci va l'emmener dans la maison de l'homme dont il est le confesseur : le marquis de La Place.
Mais sa présence dérange, dans cet univers si particulier de la grande noblesse parisienne. Alors, sentant qu'il faut agir, Marolles place son pupille en pension dans un établissement tenu par d'autres jésuites. Voilà comment Toussaint va rencontrer son véritable mentor : le père Calmés. Enfin, mentor, le mot n'est pas bon. Disons qu'il aurait pu l'être...
Rongé par une phénoménale colère, Toussaint est un enfant discret, taiseux jusqu'au mutisme, mais qui s'y frotte, s'y pique. Son caractère se forge au dur enseignement des Jésuites et sa volonté de découvrir d'où il vient, qui étaient ses parents se renforce parallèlement. Disons-le, c'est un vrai diable qui apparaît alors, que Calmés ne saura pas contrôler, malgré sa bonne volonté...
"Un jour, je serai roi", c'est l'incroyable parcours de cet enfant de rien qui n'aura qu'une idée en tête : réussir, et par tous les moyens, même les pires. Non, Toussaint Delaforge n'est pas le garçon le plus fréquentable qui soit, mais sa méchanceté est servie par une intelligence remarquable et une volonté de fer, que personne ne réussira à faire plier avant longtemps.
Des bas-fonds de Paris, où il va se forger sa première réputation, jusqu'au chantier débutant du château de Versailles et de la ville qui se monte à proximité, on suit l'ascension de ce mauvais garçon, bourrelé de haine envers tous, envers sa condition, et peut-être plus encore envers lui-même. A chaque échec, il rebondit et repart de plus belle, manigançant sans aucun scrupule, séduisant s'il le faut, ourdissant sa vengeance envers ceux qu'ils jugent responsables de son état...
Là encore, permettez-moi de laisser dans l'ombre la plus grande partie de cette trajectoire incroyable, dans le sillage de laquelle Toussaint va laisser bien des corps sans vie... Il n'envisage pas régler ses problèmes autrement que de cette manière définitive, mais avec un machiavélisme qui va lui permettre d'échapper à toute sanction, malgré les soupçons et les haines qu'il suscitera.
Dans cette aventure, il croisera Le Vau, l'architecte de Vaux-le-Vicomte, mais aussi la famille Pongallet, qui deviendra, je crois, un des fils conducteurs de la saga, famille de bâtisseurs qui contribuera largement au chantier de Versailles. Et il va devenir un personnage en vue, craint par les uns, admirés par les autres. Parfois, les deux à la fois.
"Un jour, je serai roi" s'intéresse à la période allant de 1638 à 1664, on effleure donc à peine le projet pharaonique de Louis XIV dans ce premier tome. Pourtant, on devine à la fois l'ampleur du chantier mais aussi ses conséquences sur les alentours du site, ainsi que l'autorité d'un roi capable de lancer des travaux apparemment impossible et de rallier un cour, certes un peu servile, à cette cause folle.
On comprend que Versailles n'est pas que le fruit d'une ambition démesurée, ni le point final de la controverse avec Fouquet, afin de reléguer Vaux-le-Vicomte au second plan. Une scène, dans la première partie du roman, une scène magnifique, émouvante, nous donne des explications bien différentes.
Je ne vais évidemment pas vous la raconter, simplement vous dire qu'il s'agit sans doute de la première et de la dernière scène d'intimité entre Louis XIII, roi malade et lucide sur le peu de temps qu'il lui reste à vivre, et son fils, tellement attendu. Entre complicité, amour paternel et enseignement des écueils à éviter pour le futur monarque, cette scène se grave dans l'esprit de l'enfant qui y répondra de la plus incroyable des manières une vingtaine d'années plus tard...
Louis XIV, le roi bâtisseur, s'il est très présent en début de roman, apparaît bien moins par la suite, laissant se développer la saga dont il est un des éléments, le moteur, sans doute, mais pas, ô, crime de lèse-majesté, le centre. Ce château démesuré, qui répond aussi à la volonté autoritaire du jeune roi de concentrer la cour en un seul lieu pour mieux la contrôler, n'en est encore qu'à sa genèse, mais les fondations sont posées, si je puis dire.
Face à lui, le destin de Toussaint Delaforge est tout inverse : la formule qui sert de titre à ce billet est évidemment de son cru. Elle naît d'un raisonnement d'enfant, mais d'un enfant à l'esprit embrumé par la haine qu'il ressent. Et je dois dire que la scène de cette épiphanie, qui va conduire Toussaint à Versailles par la suite, est tout à fait surprenante. Et assez effrayante, aussi.
Le bâtisseur, il n'en sait rien, d'ailleurs, c'est le roi, et le destructeur auto-proclamé, c'est lui, incarnation quasi-diabolique, née pour tout mettre à bas. Voilà le parallèle, qui tiendrait plutôt du négatif photographique entre les deux personnages majeurs de ce premier volet. La présence du roi irradie même lorsqu'on ne fait que l'apercevoir, tandis que l'aura maléfique de Toussaint gagne en puissance au gré des chapitres...
Jean-Michel Riou met remarquablement en place tous les éléments de sa saga, qu'il va mener sur quatre tome. A lui seul, indépendamment, le destin de Toussaint Delaforge est tout à fait romanesque et absolument passionnant. Il se crée une espèce d'attraction-répulsion entre le lecteur et ce personnage, voué au mal alors qu'on sent qu'il aurait tout à fait la capacité d'être un héros positif.
Mais, le fait de mettre en avant un personnage néfaste, méchant, violent, un meurtrier sans scrupule, ni remords, vient contraster avec la lumière qu'incarne le roi. Toussaint est, en quelque sorte, un soleil noir qui voudrait éclipser le rayonnement du Soleil en train de se lever sur la France. Un jumeau maléfique sorti droit d'une quelconque légende.
La légende du Roi Soleil, nous la connaissons, en tout cas, dans les grandes lignes. Ce premier tome, étendu sur un quart de siècle, permet d'écrire les premiers chapitres de la légende de Toussaint Delaforge et cette vie incroyablement mouvementée, depuis les caves miteuses du quartier du Pont-Neuf jusqu'au Versailles en train de sortir de terre, tient le lecteur captif.
Il serait toutefois dommage de limiter cette lecture à cet aspect-là. Bien sûr, c'est la trame principale, mais autour, gravitent des récits secondaires qui vont suivre ensuite leur cours, dans les tomes suivants. Bien sûr, le chantier lui-même, encore embryonnaire, et celui de Versailles, qui doit se métamorphoser pour accueillir, à terme, la Cour et sa suite.
Le chantier naissant induit tout ceux qui vont être amené à y travailler. Le travail demandé est colossal, prend parfois des allures de mythe de Sisyphe, en particulier en raison du caractère marécageux du terrain choisi pour construire non seulement les bâtiments, mais aussi les bassins, les jardins, tout ce qui doit être construit sur le vaste terrain acquis par le roi pour dépasser en splendeur tout ce qui pouvait exister jusque-là.
A la manière de Ken Follett dans "les piliers de la terre", Jean-Michel Riou entend aussi évoquer ces bâtisseurs anonymes qui ont su, par leur travail, leurs efforts immenses, leur sacrifice, pour nombre d'entre eux, faire surgir de cette terre ingrate, ce bâtiment hors-norme et ses majestueuses dépendances, qui sont encore, plus de trois siècles après, le témoignage d'une époque et d'un règne.
J'ai évoqué les Pongallet, mais c'est toute la famille du bâtiment dont on devine déjà la présence. Les maçons, les tailleurs de pierre, les ouvriers venus de partout pour essayer de simplement gagner leur vie, échapper au destin qui les a vus naître dans les milieux les plus pauvres. Il y a les Le Faillon, venu de Bretagne, mais aussi tous les Limousins, qu'on appelle à la rescousse pour apporter leur force de travail.
Pour le moment, dans ce premier volet, tout cela est en arrière-plan. Ces personnages sont secondaires, mais il est certain qu'ils vont prendre de l'ampleur au fil des années et qu'on en reparlera bientôt, lorsque nous aborderons les volet suivant de la saga. Et lorsqu'on entrera véritablement dans le vif du sujet du chantier, pour le moment à peine en gestation.
On a, avec ce premier volet, le début d'une vraie et grande saga historique, avec plusieurs fils narratifs qui s'entremêlent, même si, pour l'instant, c'est la vie de Toussaint qui tient le devant de la scène. On plonge dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, dans un règne qui n'en est encore qu'à ses débuts, qui a toutes ses preuves à faire. Et Versailles en sera une, indéniablement.
Mais, tout cela, c'est une autre histoire. Enfin, plus exactement, la suite de celle-là. Une autre lecture qu'on va garder pour l'année prochaine (oui, je sais, elle ne va plus tarder !). Avec l'envie forte de retrouver les personnages laissés en suspens avec la fin de cette première partie. Et de connaître ce que la destinée leur réserve...