Les petites filles, Julie Ewa

Les petites filles, Julie Ewa
Les petites filles, Julie Ewa
Albin Michel, 01/2016
ISBN : 978-2- 226 -32272 -2

L'histoire, quasi divertissante malgré son tragique, serait selon l'éditeur et quelques enthousiastes commentateurs remarquablement documentée ! Bien documentée pour qui ? Pour ceux qui ne savent rien ou presque de la Chine ? Pour les bobos en mal de sauvetage du monde ? Car c'est bien là où justement cette narration pèche par ambition et par défaut.

On s'étonne alors que le savoir, grâce à Internet, soit à la portée de multiples sources d'informations, que cette jeune femme qui étudie le chinois et par conséquent, du moins le suppose-t-on, la culture et l'histoire de ce pays, pousse des cris de vierge effarouchée à découvrir que la femme, depuis son premier cri jusqu'à son dernier souffle, soit considérée par l'ensemble de la société chinoise, riche ou pauvre, rurale ou urbaine, comme une quantité négligeable. Bonne à bosser, à la boucler et à engendrer des fils pour perpétuer la lignée familiale. Ce statut de la femme pourtant n'est nullement l'apanage de la Chine. A des degrés divers, il est commun pratiquement à tous les peuples et pays, qu'ils soient émergents ou dit civilisés et abondamment illustré dans l'actualité. Naître fille est encore une malédiction partout dans le monde. La maltraitance, le viol, les mariages forcés, l'exploitation matérielle et sexuelle, les infanticides, les avortements abusifs et les stérilisations forcées sont et furent, sous différentes formes, le lot coutumier des cinq continents. Rappelons qu'aujourd'hui, dans nombre de pays occidentaux, la situation des femmes est entachée de discriminations en tous genres. Rappelons également que la maternité est sortie du domaine de l'intime. Certes, l'infanticide est rare. Mais sa nouvelle version se fait technologique, s'ouvrant via la gestion programmée des utérus, sur la perspective par exemple de bébés sur mesure et autres manipulations génétiques eugénistes, sans parler du commerce des ventres loués par qui à les moyens financier à des mères porteuses qui n'en n'ont pas !

Que la jeune Lina s'offusque du désir dans cette Chine de l'enfant unique où celui-ci doit être un mâle, condamnant les nouvelles-nées à l'infanticide, à l'abandon ou à être vendues pour alimenter, la corruption faisant rage tant au niveau de l'État que des individus, toutes sortes de trafics (main d'œuvre, sexe, organes, entre autres), est justifié. Qu'elle les badigeonne de sa morale de nantie, est une autre paire de manches. Faut-il lui rappeler que la politique de l'enfant unique en Chine (mais aussi en Corée, Albanie, Vietnam, Azerbaïdjan, Inde, etc...), avec toutes ses conséquences horribles 1 dont parle l'écrivain chinois Ma Jian dans plusieurs de ses livres, a été encouragée dans les années 60-70 par des chercheurs et conseillers occidentaux et financée, entre autres, par Le Fonds des Nations unies pour la Population (UNFPA), la fédération internationale des plannings familiaux (IPPF), l'Agence américaine pour le développement international (USAID), la Banque mondiale et la fondation Rockefeller. 2 De fait, à l'époque les institutions internationales voyaient dans la sélection des sexes privilégiant le garçon, une bonne méthode de contrôle démographique afin de lutter contre la surpopulation de la planète.

On s'étonne également que la narratrice se surprenne des méfaits de l'économie de marché tiers-mondiste, où la pauvreté la plus crade agonise aux pieds de quartiers scandaleusement riches et où la pollution délétère qui accompagne cette sur-industrialisation, tue aveuglément les uns comme les autres. Vivrait-elle à côté de la vie, sa réalité étant remplacée par les idées qu'elle en a ?

Faut-il rappeler à la narratrice, voire à l'auteur Julie Ewa, que la Révolution culturelle de Mao a fait trente millions de victimes et qu'elles n'étaient pas dans leur grande majorité, loin s'en faut, coupables ? Que beaucoup d'entre elles ont été torturées, assassinées ou emprisonnées pour simplement être ce qu'elles étaient, des individus sains de cœur et d'esprit, refusant la dictature de la pensée ? Faut-il lui rappeler que depuis, bon nombre de Chinois, opposants aux régimes despotiques qui se sont succédés, ont montré et montrent encore un courage obstiné et paient leur implication de leur liberté, voire de leur vie, dont ses femmes qui risquent leur vie pour mettre au monde justement leurs filles ? Rayées également du récit et de l'histoire récente, les manifestations de la place Tian'anmen, entre massacre et répression, où des gens qui refusaient cette Chine oppressante et conservatrice, doivent être ébahis d'apprendre qu'ils ont l'esprit ankylosé. Joli brainwashing, non ?

Les Petites filles de Julie Ewa. Ni bien ni mal écrit. Comme la plupart de ces thrillers, s'ils étaient soumis, tel un vin, à une dégustation lecture à l'aveugle, son anémie stylistique et son verbe falot, le rangeraient sûrement, sans que l'on ne sache plus vraiment qui a écrit quoi, aux côtés d'un Musso, d'un Bucci, d'un Chattam, d'un Levy ou même d'un auteur autoédité, tant les ingrédients de leur succès littéraire sont interchangeables. Une intrigue bien ficelée, du suspens, deux ou trois protagonistes suffisamment charismatiques, voire exotiques comme le moine bouddhiste Yao-Shi et son incontournable sagesse, pour provoquer chez le lecteur un processus d'identification, de l'émotion, des larmes, du sexe mais pas trop, ce qu'il faut de suggestif, et bien sûr, une pincée de culture afin de donner au lecteur, la sensation vertigineuse d'apprendre sans apprendre, comme s'il lisait un journal ou les news sur Facebook.

Quod est inferius, est sicut quod est superius. (Ce qui est en haut et comme ce qui est en bas), affirmait déjà le mythique Hermès Trismégiste. Il en va de même pour la médiocratie. Il y a des bouquins qui sont toxiques dans ce qu'ils véhiculent une vision faussée du monde qu'ils appréhendent à partir de la leur, toute en étroitesse, en ignorance et en morale sûre de sa bien-pensance. Des bouquins touristiques. Les pires sont ceux des Bisounours.

Notes
    - Avortements abusifs, inclus à quelques jours de l'accouchement ; stérilisations forcées y compris par représailles chez des femmes ayant dépassé l'âge de procréer ; ruine matérielle ou géographique des familles chinoises soumises à des amendes faramineuses et contraintes à la fuite ou à l'abandon de leur terre, sans oublier ces milliers enfants illégaux (en Chine, les " heihaizi ") ou abandonnés, vendus comme esclaves aux multinationales et aux bordels ou intégrant le trafic d'adoption et d'organes, etc., (pratiques ordinaires dans de nombreux pays) La liste est longue...
    2. -Pourquoi tant de garçons ? Demandez à l'Occident
    Blog de l'auteur de l'article ci-dessus : http://www.marahvistendahl.com/
© L'Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott - 29/12/2015
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