Stefan Zweig : Amok

stefan zweigStefan Zweig, né en 1881 à Vienne, en Autriche-Hongrie, et mort par suicide le 22 février 1942 à Petrópolis au Brésil, est un écrivain, dramaturge, journaliste et biographe autrichien. Stefan Zweig fit partie de la fine fleur de l'intelligentsia juive viennoise, avant de quitter son pays natal en 1934 en raison de la montée du nazisme. Réfugié à Londres, il y poursuit une œuvre de biographe (Joseph Fouché, Marie Antoinette, Marie Stuart) et surtout d'auteur de romans et nouvelles qui ont conservé leur attrait près d'un siècle plus tard comme cet Amok, publié en 1922, qui sera à l’origine de son succès en librairie.

Une nuit, sur le pont d’un navire reliant l’Asie à l’Europe, le narrateur fait la connaissance d’un mystérieux passager, un médecin d’origine allemande, cherchant à passer inaperçu. Intrigué, le lendemain soir, il retourne au même endroit et l’homme qui paraît épuisé, comme écrasé par un trop lourd secret à porter, va lui déballer à la hâte son histoire, durant ces quelques heures nocturnes, comme pour s’en débarrasser au plus vite et libérer sa conscience.

A ce point du récit la narration se fait gigogne, puisque c’est désormais le médecin qui s’exprime et nous livre le drame de sa vie. Exilé volontaire en Malaisie après une malversation ayant compromis sa carrière en Europe, le médecin vit retiré de la civilisation et des colons Blancs, pratiquant son métier dans un petit village. Un jour, une femme européenne de la haute société, arrogante et sûre d’elle, vient le consulter pour qu’il pratique un avortement clandestin avant que son mari, un riche commerçant, ne revienne d’une mission de plusieurs mois. Furieux d’être pris pour un larbin sans scrupules, le médecin refuse et la femme s’en va. Réalisant que celle-ci va devoir recourir à quelque sorcière locale, le médecin tente de la rattraper…

En peu de lignes, puisqu’il s’agit d’une nouvelle, l’écrivain réussit à peindre une opposition de caractères, aussi brusque et courte que d’une puissance inouïe, entre ce médecin et cette femme. La séquence où elle vient le consulter, est une exacerbation de sentiments poussée aux limites du crédible certes mais d’une grande puissance dramatique. Traité comme un subalterne vénal, le médecin néanmoins subjugué par l’autorité de cette femme, tente de reprendre la main par une proposition douteuse : il refuse la somme d’argent colossale proposée en échange de l’acte médical mais il veut une compensation en nature, pour humilier à son tour cette créature qui le fascine et dont il est tombé sous la coupe immédiatement, à l’insu de son plein gré. Je ne peux guère vous en dire plus, sinon que si le médecin est sur le navire, s’y trouvent aussi la femme dans un cercueil, le mari qui ignore encore tout avant l’autopsie qui doit être réalisée à Londres, et que la nouvelle se clôt sur un dernier drame destiné à laver l’honneur de la femme et offrir une rédemption à ce médecin maudit.

Exotisme, mystère, pulsions, morts et remords, tout cela dans cinquante petites pages seulement !