Garder le meilleur pour la fin (de l'année): l'Italien Paolo Di Paolo en roman étranger

Par Lucie Cauwe @LucieCauwe
"Où étiez-vous tous", le deuxième roman de Paolo Di Paolo (traduit de l'italien par Renaud Temperini, Belfond, 260 pages) à être traduit en français après "Tanta Vita!" en 2014, nous montre combien grand peut être le fossé entre littérature italienne et littérature française. Grand mais pas infranchissable car la lecture de ce livre est fort réjouissante, pour peu qu'on s'y avance l'esprit libre et ouvert, sans œillères. Ce n'est pas pour rien que cet auteur remarqué est qualifié de "jeune prodige des lettres italiennes" par Antonio Tabucchi. Jeune car il est né à Rome en 1983.
L'histoire est celle de Mario Tramontane, professeur retraité, qui renverse devant le lycée un des ses anciens élèves, Thomas Marangoni. Fait divers ou accident volontaire? Quand les parents du jeune homme portent plainte, la famille Tramontane explose. Le père se mure dans le silence, la mère fuit à Berlin, la fille est furieuse. C'est Italo, le fils étudiant en histoire contemporaine, qui déroule ce récit privé, proche de l'enquête, tout en posant la question du lien entre les petites histoires de nos vies et la grande histoire du monde. Les vingt années de la politique berlusconienne dans le cas présent. En même temps, l'aventure paternelle oblige le narrateur à ouvrir les yeux sur le monde qui l'entoure, sur sa vie et sur ce qu'il en fait.
Ce qui est épatant dans ce roman, c'est son écriture faisant intervenir différents types de texten des coupures de journaux, des dessins et bien sûr son ton original, hâché, morcelé, définitivement prenant.
Sept questions à Paolo Di Paolo

Paolo Di Paolo.

Comment êtes-vous arrivé à cette écriture originale?
Par le journalisme. C'est ce qui influence le thème et la structure de mes livres. La présence des journaux et des thèmes politiques viennent d'une passion pour le journalisme que j'avais adolescent. En ce qui concerne la structure du roman, j'aime l'idée que, sans devenir un auteur d'avant-garde, je puisse modifier les structures du roman et insérer des éléments différents. Je pense qu'on peut résoudre le débat sur la fin du roman des années 60 et 70 en disant que le roman est toujours en évolution et donc à remplir avec des structures différentes.
Vous terminez le livre par une note explicative.
En Italie, cette note finale a été critiquée parce que les lecteurs ne veulent pas toujours tout savoir. Moi, j'ai besoin de raconter ce qui se cache derrière le roman que j'écris. Le lecteur peut ne pas lire la note. Par contre, il peut être intéressé qu'on lui dise que le livre a été un pont vers d'autres lectures. Moi, en tant que lecteur, je suis curieux de savoir ce qu'il y a sur le bureau d'un écrivain. Il y a une façon très émotionnelle de lire les romans, quand le lecteur plonge dans l'histoire et ne veut rien savoir. On peut aussi lire le livre différemment, de façon plus consciente et plus profonde, pas seulement naïve. Le livre est parallèle aux objets sur mon bureau. Je ne raconte jamais une histoire juste pour raconter une histoire, alors je serais devenu scénariste et non écrivain.
C'est quoi, un roman, pour vous?
Pendant des siècles, les romans ont pu contenir des questions sur les références culturelles. Aujourd'hui, il est plus difficile de considérer ces aspects alors que pour moi, le roman, ce sont beaucoup de couches qui s'emboîtent, sans que ce soit compliqué pour autant. On peut demander au lecteur de commencer un voyage profond avec l'écrivain. Si quelqu'un lit un livre, va se doucher et ne se rappelle de rien, c'est que le livre n'a pas fonctionné. Je préfère qu'on ne se rappelle pas de l'intrigue mais d'un détail qui reste.
Après avoir fini un livre, videz-vous votre bureau des objets accumulés?
Pas vraiment. Alors que je suis encore en train d'écrire un livre, des objets apparaissent déjà pour le suivant. Pendant que j'avais rassemblé des objets pour "Tanta vita", j'ai commencé à écrire ce livre-ci. Certains livres demandent plus de temps. Je suis en train d'en écrire un nouveau, mon troisième roman. J'écris à l'ordinateur mais auparavant je remplis des cahiers de notes. Pour le roman que je termine, mes notes datent de 2011...
Comment avez-vous choisi le titre, une question sans point d'interrogation?
"Où étiez-vous tous", je l'ai choisi en pensant à une question qu'Italo pose à la génération de ses parents. C'est une question politique, comme un acte d'accusation: où étiez-vous pendant que l'Italie devenait ce qu'elle est aujourd'hui? Il est sans point d'interrogation pour montrer la volonté de comprendre: où étaient les personnes de sa famille pendant toutes ces années? C'est seulement en comprenant où étaient les membres de notre famille avant nous, nos grands-parents, etc., qu'on peut comprendre où nous sommes nous.
Avez-vous utilisé votre famille pour votre roman?
Quelques éléments de mon adolescence ressemblent à ceux d'Italo. Heureusement, mon père n'est pas celui d'Italo même si ma mère est enseignante. Peut-être est-ce en écoutant ses histoires sur le monde de l'école que j'ai pu imaginer la relation professeur-étudiants. L'élément le plus autobiographique est la présence du grand-père dans sa camionnette. 
Que pensez-vous de Berlin?
1) Dans les années 2000, Berlin est devenue pour beaucoup de jeunes une ville créative, encore plus que Londres.
2) Mais Berlin a une relation étrange avec son propre passé. C'est une ville capable de se montrer active comme ville moderne, remplie de chantiers, non pas belle comme Paris ou Rome, mais une beauté un peu européenne. C'est une ville chaotique du point de vue urbanistique mais obsédée par son passé. Elle est prisonnière de la question de conserver ses souvenirs plus que de celle des souvenirs eux-mêmes. Elle a peur d'avancer sans rappeler le passé et que le reste du monde le lui rappelle. 

Pour lire le début de "Où étiez-vous tous", c'est ici.