La Lionne, un portrait de Karen Blixen (Anne-Caroline Pandolfo – Terkel Risbjerg – Editions Sarbacane)
Tous les amateurs de cinéma se souviennent des films « Out of Africa » et « Le Festin de Babette ». Ces long-métrages mémorables, tous deux primés aux Oscars, partagent un point commun: ils sont adaptés d’un livre de Karen Blixen, en l’occurrence « La ferme africaine » et le recueil de nouvelles « Anecdotes du destin ». Mais qui était vraiment cette Karen Blixen, qui reste l’une des grandes figures de la littérature scandinave et dont on peut encore visiter les maisons, tant à Rungstedlund au Danemark que près de Nairobi au Kenya? Dans la biographie dessinée « La Lionne », Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg racontent de manière poétique et aérienne le destin hors du commun de la baronne Karen von Blixen-Finecke, née Karen Christentze Dinesen en 1885. Dès ses premières années, on sent que la jeune fille ne va pas se contenter de la vie ennuyeuse et bourgeoise que sa mère, la très stricte Ingeborg, veut à tout prix lui imposer. Passionnée de peinture et de littérature, Karen se sent beaucoup plus proche de son père, le romantique et tourmenté Wilhelm, qui lui enseigne l’amour de la nature, de l’écriture et des voyages. Hélas, ce père adoré se suicide alors que Karen n’a que neuf ans. Mais il a eu le temps de transmettre son goût de l’aventure à sa fille préférée. Malgré les réprobations de sa famille, Karen se lance dans des études d’art, puis épouse le baron Bror von Blixen-Finecke. Pas vraiment par amour, mais parce que celui-ci lui propose enfin un destin à sa hauteur : prendre la tête d’une plantation de café en Afrique. Malgré les nombreuses difficultés, qui feront en sorte qu’elle reviendra au Danemark ruinée et divorcée en 1931, Karen Blixen passe les plus belles années de son existence au Kenya. En particulier parce qu’elle y rencontre le grand amour de sa vie, le pilote britannique Denys Finch Hatton, un aventurier qui non seulement lui rappelle son père mais qui surtout va faire d’elle une conteuse hors pair. C’est ce talent de raconteuse d’histoires qu’elle va exploiter pour entamer une nouvelle vie à son retour en Europe dans les années 30, lorsqu’elle décide de devenir écrivain sous le pseudonyme d’Isak Dinesen.
Le premier grand mérite de « La Lionne » est de nous faire découvrir la vie d’une femme hors du commun. Karen Blixen était clairement une féministe avant l’heure. Elle avait soif de liberté et a donc choisi de prendre son destin en main à une époque où cela restait très mal vu pour une femme de le faire, particulièrement dans la bourgeoise conservatrice et austère du Danemark du début du XXème siècle. L’autre grand mérite de « La Lionne » est de parvenir à nous raconter ce destin de manière originale et séduisante, tant au niveau du dessin que du texte. Les planches réalisées à l’aquarelle par Terkel Risbjerg ont un côté à la fois doux et éthéré, ce qui donne un aspect presque irréel au destin de Karen Blixen. Quant au scénario imaginé par Anne-Caroline Pandolfo, il démarre de manière très originale puisque les 7 fées qui se penchent sur le berceau de la petite Tanne (le surnom de Karen) sont le philosophe Nietzsche, un lion, Shéhérazade, le diable, William Shakespeare, un roi africain et une cigogne. Au fil des 200 pages de l’album, ces surprenantes fées vont toutes jouer un rôle déterminant dans la vie de Karen Blixen et l’amener à devenir une grande écrivaine une fois qu’elle approche la cinquantaine et après avoir connu de nombreuses épreuves. « Personne n’a payé plus cher son entrée en littérature », dira-t-elle elle-même. Comme le souligne le quatrième de couverture, « La Lionne » est le portrait d’une femme tour à tour sophistiquée, ambitieuse, magnétique, complexe, flamboyante, séductrice et fragile… Une biographie dessinée passionnante.