Journal ou récit autobiographique, Jim Carroll nous fait revivre à ses côtés le New York artistique des années 70. Si ce monde ne vous est pas inconnu, vous y retrouverez les plans habituels, la dope, le Max’s Kansas City et sa scène rock (Velvet Underground), la 42ème rue, la place St Mark, le Chelsea Hotel… Le narrateur, quand il n’écrit pas ses poèmes, survit de petits boulots (caissier dans un cinéma porno gay, baby-sitter etc.), logeant dans des appartements prêtés par des amis.
Les noms connus fleurissent à chaque page, Allen Ginsberg dans une scène d’anthologie orgiaque avec un vibromasseur, Andy Warhol (« Les potins c’est le fondement de l’art d’Andy »), Paul Morrissey (un « lèche-cul de première »). Mais l’auteur sait aussi faire profil bas en avouant s’être fait snober par Bob Dylan, avoir été pris pour le barman par William Burroughs (« l’une de mes idoles littéraires ») ou bien s’être fait piquer son taxi sous non nez par un Salvador Dali méprisant.
Pourtant, il y a dans ce texte quelque chose d’autre, une sorte de valeur ajoutée qui le distingue de beaucoup des livres se rapportant à cette époque. Il est fort bien écrit, ce qui n’est pas rien, les phrases sont bien tournées, le rythme le rend agréable à lire et Jim Carroll réussit à décrire les situations les plus glauques (et elles ne manquent pas) avec une sorte d’humour ou de recul qui les rendent très digestes et j’oserai dire, jamais vulgaires. L’écrivain est aussi poète, ce qui doit déteindre sur sa prose, certains passages sont vraiment très beaux, je ne citerai pour exemple que les dernières pages du livre, quand revenu d’une escapade en Californie, il retrouve New York, son New York chéri, son talent de conteur s’exprime alors avec tant d’amour pour sa ville, dans les petits riens qui rendent cette mégapole si attractive que j’étais à deux doigts de faire mon sac pour y retourner…
Jim Carroll pose un regard qui ne manque pas d’acuité sur le monde qui l’entoure et sur lui-même, toujours (ou presque) lucide, « Dans ces écrits, j’essaie de faire toute la lumière sur la double vie que je continue de mener – je parle, bien évidemment, de la destinée du camé, en parallèle de la scène artistique » ou bien encore, « J’en ai plus qu’assez d’écrire à propos de la dope, de la came sous toutes ses formes », et il entamera une cure de désintoxication qui l’exilera vers la Côte Ouest avant un retour qu’il sait risqué, dans la Grosse Pomme, mais là est sa vie.
Un bouquin très agréable à lire par ses qualités d’écriture, un document qui s’ajoute à la longue liste de ceux consacrés à cette période artistique new-yorkaise et qui trouvera sa place aux côtés de votre exemplaire du Just Kids de Patti Smith.
« L’inquiétude de Jenny à propos de cet « endroit dégoûtant » est née quand nous sommes allés tous les trois à Times Square la semaine dernière. Nous nous y rendons assez fréquemment, fiers de toujours choquer la bande de bigots qui y trainent lorsque nous passons devant eux. Roger est d’une beauté insoutenable, avec des yeux égyptiens habités d’un regard étrangement sombre. Quant à moi, j’ai l’air si jeune que l’on me demande encore ma carte d’identité pour entrer dans les bars. Cela doit être la dope. Et, bien sûr, je sais parfaitement comment faire onduler mon cul à force de pratiquer. Jenny Ann est renversante : elle affiche ses seins plutôt imposants sans le moindre soutien-gorge, et ils trônent, lourds et bas, dans ses tee-shirts trop larges ; on la prend sans cesse pour un tapin du quartier. »
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jérôme Schmidt