Rien ne me prédisposait à lire Serafim et Claire. D'abord, je ne suis pas fan de fictions historiques. Puis les artistes, dans les romans, ne m'attirent pas spécialement.Mais quand ce sublime objet, paré d'une illustration de Janet Hill en couverture, est arrivé entre mes mains, je n'y ai vu que du feu. J'ai laissé de côté mes réticences et j'ai lu... d'une traite.Serafim et Claire se déroule dans le Montréal des années 20.Serafim grandit à Oporto, au Portugal. Devenu orphelin, il est recueilli par un oncle et une tante. Grâce à son oncle, il a la piqure pour la photo et se familiarise très tôt avec les rudiments du métier. Jusqu'au début de la vingtaine, où, sur un coup de tête, il bourre une valise et monte à bord d'un bateau pour une destination inconnue. Le bateau accoste à Montréal. C'est là que commencera sa nouvelle vie.La Claire du titre, elle, grandit à Montréal, dans un milieu conservateur, voire rétrograde. Elle est passionnée par la danse depuis qu'elle est haute comme trois pommes. Sous les yeux froncés de sa mère, son père fait des sacrifices pour inscrire la prunelle de ses yeux à des cours de danse. Claire, c'est une fonceuse, du genre à défoncer les portes pour atteindre le but qu’elle s'est fixé: être une grande danseuse burlesque. Et tous les moyens sont bons pour qu'elle y arrive.Les chemins de Serafim et Claire se croiseront. Ils maniganceront pour extorquer de l'argent à un politicien pris les culottes à terre. Mais leur plan a des failles et n'aura pas les résultats escomptés.Cette immersion dans le Montréal des années 20 s'avère passionnante. Le Montréal de Mark Lavorato est vibrant. Le Red Light bourdonne de vie, avec ses boîtes de jazz et ses scènes du burlesque. La corruption, les balbutiements du mouvement féministe au Québec, la prostitution et les avortements clandestins, les premiers effets du crash de 1929… tout y est palpable. Le passage sur l'incendie du cinéma Laurier Palace, en 1927, dans lequel 78 enfants ont perdu la vie, est particulièrement bien senti.La construction même du roman contribue à le rendre addictif. Alors qu'un chapitre braque le projecteur sur Serafim, le suivant le braque sur Claire. Une lettre écrite par Cécile, la sœur de Claire, précède ces chapitres. La description d'une photo prise par Serafim précède les chapitres qui le mettent en scène.J'ai pris un malin plaisir à faire un bout de chemin dans le passé auprès de ces hommes et femmes obnubilés par leurs rêves et leurs convictions. Claire et sa sœur – chacune à leur façon – sont à contre-courant, avant-gardistes, habitées par un désir profond de s'émanciper et de se libérer du carcan qui leur était destiné.Pendant toute l'année et pour la première fois de sa vie, Claire mit un point d'honneur à devancer la mode. Alors qu'il était de plus en plus en vogue pour les femmes de fumer avec un porte-cigarettes, elle se mit à fumer avec désinvolture comme un homme; alors que les jupes remontaient un peu plus haut que le milieu du mollet, Claire portait les siennes au genou; alors que les cheveux se portaient de plus en plus courts, Claire se fit une coupe au carré – un bob -, si courte qu'elle pouvait à peine utiliser les bobby pins conçues pour cette coiffure; et pour se conformer au style à la garçonne si désirable, elle en vint, à l'inverse de beaucoup de femmes, à comprimer sa poitrine.Grâce au choix de vie fait par Serafim et son ami italien Antonino, une porte s'ouvre sur l'intégration des immigrants venus vivre à Montréal par choix.À présent, Serafim pouvait aller n'importe où, faire tout ce qu'il voulait. Il n'avait plus de pays, plus d'attaches, plus de chez-soi où retourner. Il était libre devant un horizon sans limites; pourtant, jamais il ne s'était senti écrasé sous un si lourd fardeau.En plus d'être romancier, Mark Lavorato est photographe de rue. Et ça se sent dans ses descriptions du milieu social et culturel de l'époque. Son écriture, sensible et affutée, rend palpable l'atmosphère de la ville et des hommes et femmes qui s'y démènent comme un diable dans l'eau bénite.Le troisième roman de Mark Lavorato, remarquablement traduit par Annie Pronovost, est le premier à être traduit en français. Une plongée dans l'Histoire à ne pas manquer.Et, cerise sur le sundae, j'ai appris plein de choses, dont l'existence des Bennett buggies.Comme personne n'avait les moyens d'acheter de l'essence, de nouveaux véhicules firent leur apparition dans les rues: des automobiles tirées par des chevaux. On les appela les «Bennett buggies», d'après le nom du premier ministre millionnaire qui vivait dans une suite cossue du château Laurier à Ottawa et qui croyait que, dans un système de libre entreprise, le gouvernement ne devait pas intervenir dans les affaires publiques, pas même en temps d'adversité. Les citoyens très riches trouvaient du réconfort dans les prix cassés des biens superflus. On continuait à importer de Paris des vêtements à la dernière mode et l'opéra n'avait pas interrompu sa programmation.Serafim et Claire, Mark Lavorato, Marchand de feuilles, 460 pages, 2016.★★★★★