S'il y a une partie de la science-fiction qui m'intéresse plus particulièrement, c'est l'anticipation. Le futur proche, les enjeux politiques, humains, matériels et énergétiques, entre autres. En voici un bel exemple avec un roman multi-primé qui vient de sortir en poche chez Folio. Un pavé de près de 1000 pages qui se lit pourtant aisément et rapidement, comme un thriller, avec un enjeu majeur, qu'on a tendance à souvent oublier dans nos réflexions : l'eau. Notre planète a beau être bleue vue de l'espace, certaines régions terrestres manquent et/ou manqueront un jour cruellement d'eau. Une situation qui risque d'entraîner bien des catastrophes dont seul l'être humain a le secret... Avec "Aqua TM", Jean-Marc Ligny nous emmène dans un monde, le nôtre, dévasté par les catastrophes environnementales mais toujours rongé par la cupidité et la soif de pouvoir. Et c'est, hélas, terriblement plausible...
L'année 2030 n'est pas l'année la plus calme du XXIe siècle et, malheureusement, sans doute pas la pire non plus. L'Europe subit des tempêtes à répétitions, provoquant des raz-de-marée et des inondations dévastateurs, à l'origine de catastrophes humaines terribles, à a fois par le nombre de victimes et celui des réfugiés écologiques, et au coût économique exorbitant.
L'Amérique voit les tornades qu'elle connaît depuis toujours gagner en puissance et en nombre et, là aussi, les bilans sont terribles et les dégâts effrayants. Les Etats du centre du pays, comme le Kansas, par exemple, sont également sujet à de rudes sécheresses qui s'accompagnent inévitablement d'incendies terrifiants.
Mais c'est en Afrique que la situation est la plus dramatique. Les pays qui ont la chance de posséder des littoraux échappent au pire, même s'il faut, pour assurer la subsistance, dessaler l'eau de mer. Au contraire, des pays comme le Burkina Faso, déjà parmi les plus pauvres au monde, meurent littéralement de soif.
Les lacs s'assèchent de façon alarmante, l'eau y est sévèrement rationnée, son coût augmente sans cesse, la rendant de moins en moins accessible aux populations les plus démunies, et la distribution est pour le moins incertaine. Plusieurs millions de Burkinabés sont menacés par cette absence d'eau à moyen ou court terme...
Or, une information trouvée par hasard par un hacker au pseudonyme de Truth va changer complètement la donne. En piratant le satellite appartenant à la filiale d'une transnationale américaine dont l'activité touche à différents aspects environnementaux, Truth a découvert que l'appareil avait détecté sous un lac asséché du Burkina, une gigantesque nappe phréatique, capable d'assurer la survie du pays à long terme.
A la tête du consortium qui possède GeoWatch, la société possédant le satellite piraté, se trouve Anthony Fuller. Un homme avide, cupide, qui se nourrit de médocs de toutes sortes et sait repérer une opportunité de faire du profit. Or, son siège social est justement basé au Kansas, lui aussi touché par le manque d'eau. Exploiter la nappe phréatique de ce pays africain dont il ignore tout, jusqu'au nom, serait une aubaine.
Alors, Fuller réclame la propriété de l'eau découverte sous le sol africain et s'appuie pour cela sur des textes internationaux. Face à lui, se dresse la charismatique et populaire présidente du Burkina Faso, Fatimata Diallo. Elle prend bien note des revendications de Fuller, mais en attendant que la justice internationale tranche, elle prend contact avec une ONG européenne, afin d'entamer l'exploitation de l'eau récemment découverte et en faire profiter son peuple.
Ladite ONG accepte d'envoyer sur place deux de ses employés, avec le matériel adéquate. Il y a une Française, Laurie, qui a consacré sa vie professionnelle à l'humanitaire jusqu'à frôler le burn-out devant l'impuissance qu'elle ressent face aux catastrophes, et un Néerlandais, Rudy, qui a tout perdu lors d'un tsunami qui a quasiment effacé son pays de la carte.
Après un parcours de réfugié climatique pour le moins mouvementé, ce paisible horticulteur est devenu une boule de colère ambulante qui essaye de ne pas péter les plombs pour rien... Alors, quand l'occasion de partir en Afrique pour une cause juste (et aussi pour damer le pion à un trust américain), il n'hésite pas.
Ces deux-là, qui vont connaître un voyage digne du "Salaire de la peur", sauf que ce n'est pas leur chargement qui risque à tout instant d'exploser, mais tout l'environnement, leur route traversant des régions dévastées et/ou en guerre, sont aux antipodes l'un de l'autre mais vont former un tandem efficace. Avec ce voyage, c'est aussi leur destin qui va changer.
Si Fuller a donc fort à faire avec cette opposition inattendue en Afrique, il doit aussi gérer des situations domestiques complexes... D'abord parce que les affaires ne sont guère florissantes et qu'il faut essayer de faire tourner son immense boutique transnationale ; ensuite, parce que son épouse, confite en dévotion, flirte un peu trop avec un mouvement de religieux, la Divine Légion.
Sous la houlette de son charismatique leader, Moses Callaghan, le mouvement prend de l'ampleur. Ses idées font passer le KKK pour un centre de loisirs et ses méthodes sont carrément effrayantes, même si, officiellement, la Divine Légion nie systématiquement tout recours à la violence sous quelque forme que ce soit.
Enfin, il y a Tony. Anthony Fuller Jr. Le fils du magnat est gravement handicapé. Incapable de s'exprimer ou de se mouvoir seul, il est l'objet de nouvelles disputes entre Fuller et son épouse. Mais, petit à petit, on découvre que cet adolescent sans aucune autonomie possède d'autres aptitudes qui s'épanouissent et attisent certaines convoitises...
Pardon, c'est un peu long de planter le décor d' "Aqua TM", mais je pense qu'il le fallait. Vous avez ici la plupart des personnages principaux du roman et une esquisse de leurs rôles respectifs. La suite, c'est évidemment, au coeur de ce roman d'anticipation, la lutte impitoyable entre Fuller, discrètement soutenu par la puissance américaine, pourtant largement déclinante, et le Burkina Faso...
Le roman, malgré sa longueur, ne laisse jamais le lecteur souffler et je me suis surpris par la vitesse à laquelle je l'ai lu. Je ne pouvais pas le lâcher et j'ai été captivé par ces aventures croisées, pleines de rebondissements d'un bout à l'autre. En entremêlant intérêts économiques majeurs, situations d'urgence et réactions politiques, il imagine un conflit entre David et Goliath tout à fait plausible.
Après le Vietnam, l'Irak, le Burkina Faso ? Oui, mais non, car, dans ce futur proche imaginé par Jean-Marc Ligny, la puissance américaine a du plomb dans l'aile (à fort taux d'octane) et n'est pas capable d'envoyer son armée écraser son adversaire pour lui ravir son eau. Il va falloir utiliser d'autres voies, d'autres méthodes, tout aussi peu recommandables, mais sans doute aussi moins efficaces.
En fait, c'est la Chine qui tire les marrons du feu de cette situation. Le géant asiatique avance ses pions avec prudence, à l'affût de chaque opportunité. Pourtant discrète tout au long de l'histoire, la puissance chinoise plane sur le roman, sans doute avec aussi peu de désintéressement que ses homologues américains, mais un peu plus de finesse.
Le futur vu par Jean-Marc Ligny est sombre, très sombre, vous l'aurez compris. Et pourtant, il touche des sujets qui sont déjà au coeur de notre actualité. Sa description des camps de réfugiés en Europe est non seulement ultra-réaliste, mais elle fait terriblement écho à ce que l'on découvre depuis quelques mois au long du trajet des réfugiés venus de Syrie, entre autres.
Les causes changent, avec ici des raisons climatiques et non politiques, mais les effets sont les mêmes. On retrouve aussi le même genre de phénomène terrible en Afrique, avec la fuite des Burkinabés vers les pays voisins bénéficiant d'un approvisionnement en eau plus conséquent. Là encore, la réaction de ces pays voisins est hélas tristement réaliste et l'oasis prend vite des allures de mirage mortel...
Bref, on a tous les éléments d'un futur dystopique dans ce roman dans lesquels la psychologie des personnages n'est pas négligée, bien au contraire. Certes, les "méchants" ont droit à un traitement qui peut paraître parfois un peu outrancier, voire caricatural, mais cela se marie plutôt bien avec la folie ambiante de cette époque sinistre et sinistrée.
Laurie et Rudy, eux aussi, sont des personnages pleins de contrastes, d'imperfections, mais leurs motivations restent positives, leur volonté de bien faire est réelle. Mais, s'il faut retenir un seul de tous ces personnages, c'est incontestablement celui de la présidente du Burkina Faso, Fatimata Diallo. Elle est, à mes yeux, la véritable héroïne d' "Aqua TM".
Voilà une dirigeante éclairée, fidèle à ses principes et ses convictions, ayant à coeur avant tout le bien commun de son peuple. Elle a travaillé à l'instauration d'une véritable démocratie dans le pays et lutte, tant bien que mal, contre les maux endémiques qui rongent son pays, dans l'indifférence générale. Sa cause semble perdue, jusqu'à ce que soit révélée l'existence de la nappe phréatique.
Même si elle est épaulée par son gouvernement, si elle a le soutien indéfectible de son armée et de son peuple, c'est bien l'aura de Fatimata qui brille de mille feux dans la noirceur de ce roman. Elle s'empare de l'opportunité qui se présente à elle non seulement pour sauver son peuple de l'hécatombe mais aussi pour rappeler que, parfois, c'est la raison du plus faible qui est la meilleure.
Le défi qu'elle envoie aux puissants est loin d'être facile à relever. D'ailleurs, la question de savoir si elle va réussir ou échouer est l'un des axes centraux de ce roman. Et l'on oscille un long moment. Mais, c'est là que l'unanimité qu'est parvenue à créer Fatimata Diallo autour d'elle (et qui englobe aussi Laurie et Rudy, par exemple) et son autorité naturelle vont jouer à plein.
On ne peut s'empêcher, au fil des pages, de se dire que l'Afrique, mais aussi tous les autres continents, auraient bien besoin de voir se lever des personnalités politiques de la trempe de Fatimata. Indépendamment des idéologies, simplement concernée par le bien-être de son peuple et cherchant à apporter les réponses aux problèmes très concrets qui se posent à elle, elle est une véritable femme politique... Et un personnage de fiction, hélas !
Je ne dois pas oublier un aspect très important d' "Aqua TM". On le classera évidemment en anticipation, ou en science-fiction, si on veut voir plus large. Et pourtant, on y croise un aspect typiquement fantastique qui prend de l'ampleur au fil des chapitres pour devenir central. Je ne vais pas en dire trop à ce sujet, mais il faut tout de même l'évoquer.
Cette dimension fantastique vient en effet parfaitement servir l'intrigue. D'abord, par les formes qu'elle prend, dans chacun des camps qui s'opposent. D'une certaine façon, ils sont symboliques des cultures qui s'affrontent là. Je ne vais pas dire l'opposition de la tradition et de la modernité, parce que, cette modernité-là, on s'en passerait volontiers...
Mais, malgré tout, ces forces qu'il faut bien qualifier de surnaturelles, faute de mots plus appropriés, sont au coeur du conflit de l'eau entre le pays africain et le consortium américain et cela donne lieu à des scènes à la fois très spectaculaires et très impressionnantes. La maîtrise de ces pouvoirs ainsi libérés sera une des clés de l'intrigue.
Derrière le fantastique, on trouve la question de la foi. D'un côté, une foi pure, enracinée, nourrie de l'expérience et de la sagesse, maîtrisée et raisonnée ; de l'autre, une foi galvaudée, transformée en idéologie mortifère, au service de l'intolérante et du rejet de l'autre, mais aussi d'intérêts bassement matériels et d'un pouvoir uniquement terrestre.
"Aqua TM" est une intéressante synthèse entre le page-turner, qui nous captive, et un roman fort par les thèses qu'il expose et les idées qu'il défend. Avec Ligny, la SF réaffirme son côté revendicatif, sa mission de lanceur d'alerte et nous sensibilise à ces questions majeures qu'on néglige trop ou qu'on instrumentalise.
Mais, il souligne aussi de façon très habile des questions qui ont été au coeur des différends entre Etats lors de la récente COP21 : déterminer des enjeux mondiaux quand les enjeux régionaux diffèrent et même, parfois, s'opposent, cela peut relever de la quadrature du cercle. Il en faudra, de la bonne volonté, pour que le monde de 2030 ne ressemble pas à celui qu'on trouve dans "Aqua TM".
L'équilibre entre le divertissement, qu'on recherche très souvent, quand on lit, et la profondeur qu'apportent les questions de fond abordées à travers l'intrigue, tient bien la route. A chacun ensuite, selon ses sensibilités, ses goûts, de s'y retrouver ou non. Mais, il faut reconnaître quelque chose de très important : publié en 2006, "Aqua TM" voit certaines de ses prévisions se réaliser dangereusement...
Oh, tout n'est pas exact à la lettre près. Mais la Divine Légion n'a pas grand-chose à envier à Daesh, c'est vrai, même si la religion n'est pas la même. En revanche, les méthodes sont fort semblables, et les objectifs aussi... Les dérèglements climatiques s'affirment et, si l'Europe, heureusement, n'est pas encore aussi touché, la désertification de l'Afrique n'est pas un phénomène nouveau, Ligny ne fait que l'amplifier.
Roman d'imaginaire, "Aqua TM" s'inscrit pourtant avec force dans notre réalité quotidienne. Les auteurs de SF ont ce privilège d'imaginer l'avenir. Peut-être leur vision restera-t-elle définitivement une fiction, et peut-être auront-ils contribué à la prise de conscience. Malheur à nous si cet imaginaire vient à se confirmer, car il est rarement optimiste et sans aucun nuage (métaphoriquement parlant).
L'année 2030 n'est pas l'année la plus calme du XXIe siècle et, malheureusement, sans doute pas la pire non plus. L'Europe subit des tempêtes à répétitions, provoquant des raz-de-marée et des inondations dévastateurs, à l'origine de catastrophes humaines terribles, à a fois par le nombre de victimes et celui des réfugiés écologiques, et au coût économique exorbitant.
L'Amérique voit les tornades qu'elle connaît depuis toujours gagner en puissance et en nombre et, là aussi, les bilans sont terribles et les dégâts effrayants. Les Etats du centre du pays, comme le Kansas, par exemple, sont également sujet à de rudes sécheresses qui s'accompagnent inévitablement d'incendies terrifiants.
Mais c'est en Afrique que la situation est la plus dramatique. Les pays qui ont la chance de posséder des littoraux échappent au pire, même s'il faut, pour assurer la subsistance, dessaler l'eau de mer. Au contraire, des pays comme le Burkina Faso, déjà parmi les plus pauvres au monde, meurent littéralement de soif.
Les lacs s'assèchent de façon alarmante, l'eau y est sévèrement rationnée, son coût augmente sans cesse, la rendant de moins en moins accessible aux populations les plus démunies, et la distribution est pour le moins incertaine. Plusieurs millions de Burkinabés sont menacés par cette absence d'eau à moyen ou court terme...
Or, une information trouvée par hasard par un hacker au pseudonyme de Truth va changer complètement la donne. En piratant le satellite appartenant à la filiale d'une transnationale américaine dont l'activité touche à différents aspects environnementaux, Truth a découvert que l'appareil avait détecté sous un lac asséché du Burkina, une gigantesque nappe phréatique, capable d'assurer la survie du pays à long terme.
A la tête du consortium qui possède GeoWatch, la société possédant le satellite piraté, se trouve Anthony Fuller. Un homme avide, cupide, qui se nourrit de médocs de toutes sortes et sait repérer une opportunité de faire du profit. Or, son siège social est justement basé au Kansas, lui aussi touché par le manque d'eau. Exploiter la nappe phréatique de ce pays africain dont il ignore tout, jusqu'au nom, serait une aubaine.
Alors, Fuller réclame la propriété de l'eau découverte sous le sol africain et s'appuie pour cela sur des textes internationaux. Face à lui, se dresse la charismatique et populaire présidente du Burkina Faso, Fatimata Diallo. Elle prend bien note des revendications de Fuller, mais en attendant que la justice internationale tranche, elle prend contact avec une ONG européenne, afin d'entamer l'exploitation de l'eau récemment découverte et en faire profiter son peuple.
Ladite ONG accepte d'envoyer sur place deux de ses employés, avec le matériel adéquate. Il y a une Française, Laurie, qui a consacré sa vie professionnelle à l'humanitaire jusqu'à frôler le burn-out devant l'impuissance qu'elle ressent face aux catastrophes, et un Néerlandais, Rudy, qui a tout perdu lors d'un tsunami qui a quasiment effacé son pays de la carte.
Après un parcours de réfugié climatique pour le moins mouvementé, ce paisible horticulteur est devenu une boule de colère ambulante qui essaye de ne pas péter les plombs pour rien... Alors, quand l'occasion de partir en Afrique pour une cause juste (et aussi pour damer le pion à un trust américain), il n'hésite pas.
Ces deux-là, qui vont connaître un voyage digne du "Salaire de la peur", sauf que ce n'est pas leur chargement qui risque à tout instant d'exploser, mais tout l'environnement, leur route traversant des régions dévastées et/ou en guerre, sont aux antipodes l'un de l'autre mais vont former un tandem efficace. Avec ce voyage, c'est aussi leur destin qui va changer.
Si Fuller a donc fort à faire avec cette opposition inattendue en Afrique, il doit aussi gérer des situations domestiques complexes... D'abord parce que les affaires ne sont guère florissantes et qu'il faut essayer de faire tourner son immense boutique transnationale ; ensuite, parce que son épouse, confite en dévotion, flirte un peu trop avec un mouvement de religieux, la Divine Légion.
Sous la houlette de son charismatique leader, Moses Callaghan, le mouvement prend de l'ampleur. Ses idées font passer le KKK pour un centre de loisirs et ses méthodes sont carrément effrayantes, même si, officiellement, la Divine Légion nie systématiquement tout recours à la violence sous quelque forme que ce soit.
Enfin, il y a Tony. Anthony Fuller Jr. Le fils du magnat est gravement handicapé. Incapable de s'exprimer ou de se mouvoir seul, il est l'objet de nouvelles disputes entre Fuller et son épouse. Mais, petit à petit, on découvre que cet adolescent sans aucune autonomie possède d'autres aptitudes qui s'épanouissent et attisent certaines convoitises...
Pardon, c'est un peu long de planter le décor d' "Aqua TM", mais je pense qu'il le fallait. Vous avez ici la plupart des personnages principaux du roman et une esquisse de leurs rôles respectifs. La suite, c'est évidemment, au coeur de ce roman d'anticipation, la lutte impitoyable entre Fuller, discrètement soutenu par la puissance américaine, pourtant largement déclinante, et le Burkina Faso...
Le roman, malgré sa longueur, ne laisse jamais le lecteur souffler et je me suis surpris par la vitesse à laquelle je l'ai lu. Je ne pouvais pas le lâcher et j'ai été captivé par ces aventures croisées, pleines de rebondissements d'un bout à l'autre. En entremêlant intérêts économiques majeurs, situations d'urgence et réactions politiques, il imagine un conflit entre David et Goliath tout à fait plausible.
Après le Vietnam, l'Irak, le Burkina Faso ? Oui, mais non, car, dans ce futur proche imaginé par Jean-Marc Ligny, la puissance américaine a du plomb dans l'aile (à fort taux d'octane) et n'est pas capable d'envoyer son armée écraser son adversaire pour lui ravir son eau. Il va falloir utiliser d'autres voies, d'autres méthodes, tout aussi peu recommandables, mais sans doute aussi moins efficaces.
En fait, c'est la Chine qui tire les marrons du feu de cette situation. Le géant asiatique avance ses pions avec prudence, à l'affût de chaque opportunité. Pourtant discrète tout au long de l'histoire, la puissance chinoise plane sur le roman, sans doute avec aussi peu de désintéressement que ses homologues américains, mais un peu plus de finesse.
Le futur vu par Jean-Marc Ligny est sombre, très sombre, vous l'aurez compris. Et pourtant, il touche des sujets qui sont déjà au coeur de notre actualité. Sa description des camps de réfugiés en Europe est non seulement ultra-réaliste, mais elle fait terriblement écho à ce que l'on découvre depuis quelques mois au long du trajet des réfugiés venus de Syrie, entre autres.
Les causes changent, avec ici des raisons climatiques et non politiques, mais les effets sont les mêmes. On retrouve aussi le même genre de phénomène terrible en Afrique, avec la fuite des Burkinabés vers les pays voisins bénéficiant d'un approvisionnement en eau plus conséquent. Là encore, la réaction de ces pays voisins est hélas tristement réaliste et l'oasis prend vite des allures de mirage mortel...
Bref, on a tous les éléments d'un futur dystopique dans ce roman dans lesquels la psychologie des personnages n'est pas négligée, bien au contraire. Certes, les "méchants" ont droit à un traitement qui peut paraître parfois un peu outrancier, voire caricatural, mais cela se marie plutôt bien avec la folie ambiante de cette époque sinistre et sinistrée.
Laurie et Rudy, eux aussi, sont des personnages pleins de contrastes, d'imperfections, mais leurs motivations restent positives, leur volonté de bien faire est réelle. Mais, s'il faut retenir un seul de tous ces personnages, c'est incontestablement celui de la présidente du Burkina Faso, Fatimata Diallo. Elle est, à mes yeux, la véritable héroïne d' "Aqua TM".
Voilà une dirigeante éclairée, fidèle à ses principes et ses convictions, ayant à coeur avant tout le bien commun de son peuple. Elle a travaillé à l'instauration d'une véritable démocratie dans le pays et lutte, tant bien que mal, contre les maux endémiques qui rongent son pays, dans l'indifférence générale. Sa cause semble perdue, jusqu'à ce que soit révélée l'existence de la nappe phréatique.
Même si elle est épaulée par son gouvernement, si elle a le soutien indéfectible de son armée et de son peuple, c'est bien l'aura de Fatimata qui brille de mille feux dans la noirceur de ce roman. Elle s'empare de l'opportunité qui se présente à elle non seulement pour sauver son peuple de l'hécatombe mais aussi pour rappeler que, parfois, c'est la raison du plus faible qui est la meilleure.
Le défi qu'elle envoie aux puissants est loin d'être facile à relever. D'ailleurs, la question de savoir si elle va réussir ou échouer est l'un des axes centraux de ce roman. Et l'on oscille un long moment. Mais, c'est là que l'unanimité qu'est parvenue à créer Fatimata Diallo autour d'elle (et qui englobe aussi Laurie et Rudy, par exemple) et son autorité naturelle vont jouer à plein.
On ne peut s'empêcher, au fil des pages, de se dire que l'Afrique, mais aussi tous les autres continents, auraient bien besoin de voir se lever des personnalités politiques de la trempe de Fatimata. Indépendamment des idéologies, simplement concernée par le bien-être de son peuple et cherchant à apporter les réponses aux problèmes très concrets qui se posent à elle, elle est une véritable femme politique... Et un personnage de fiction, hélas !
Je ne dois pas oublier un aspect très important d' "Aqua TM". On le classera évidemment en anticipation, ou en science-fiction, si on veut voir plus large. Et pourtant, on y croise un aspect typiquement fantastique qui prend de l'ampleur au fil des chapitres pour devenir central. Je ne vais pas en dire trop à ce sujet, mais il faut tout de même l'évoquer.
Cette dimension fantastique vient en effet parfaitement servir l'intrigue. D'abord, par les formes qu'elle prend, dans chacun des camps qui s'opposent. D'une certaine façon, ils sont symboliques des cultures qui s'affrontent là. Je ne vais pas dire l'opposition de la tradition et de la modernité, parce que, cette modernité-là, on s'en passerait volontiers...
Mais, malgré tout, ces forces qu'il faut bien qualifier de surnaturelles, faute de mots plus appropriés, sont au coeur du conflit de l'eau entre le pays africain et le consortium américain et cela donne lieu à des scènes à la fois très spectaculaires et très impressionnantes. La maîtrise de ces pouvoirs ainsi libérés sera une des clés de l'intrigue.
Derrière le fantastique, on trouve la question de la foi. D'un côté, une foi pure, enracinée, nourrie de l'expérience et de la sagesse, maîtrisée et raisonnée ; de l'autre, une foi galvaudée, transformée en idéologie mortifère, au service de l'intolérante et du rejet de l'autre, mais aussi d'intérêts bassement matériels et d'un pouvoir uniquement terrestre.
"Aqua TM" est une intéressante synthèse entre le page-turner, qui nous captive, et un roman fort par les thèses qu'il expose et les idées qu'il défend. Avec Ligny, la SF réaffirme son côté revendicatif, sa mission de lanceur d'alerte et nous sensibilise à ces questions majeures qu'on néglige trop ou qu'on instrumentalise.
Mais, il souligne aussi de façon très habile des questions qui ont été au coeur des différends entre Etats lors de la récente COP21 : déterminer des enjeux mondiaux quand les enjeux régionaux diffèrent et même, parfois, s'opposent, cela peut relever de la quadrature du cercle. Il en faudra, de la bonne volonté, pour que le monde de 2030 ne ressemble pas à celui qu'on trouve dans "Aqua TM".
L'équilibre entre le divertissement, qu'on recherche très souvent, quand on lit, et la profondeur qu'apportent les questions de fond abordées à travers l'intrigue, tient bien la route. A chacun ensuite, selon ses sensibilités, ses goûts, de s'y retrouver ou non. Mais, il faut reconnaître quelque chose de très important : publié en 2006, "Aqua TM" voit certaines de ses prévisions se réaliser dangereusement...
Oh, tout n'est pas exact à la lettre près. Mais la Divine Légion n'a pas grand-chose à envier à Daesh, c'est vrai, même si la religion n'est pas la même. En revanche, les méthodes sont fort semblables, et les objectifs aussi... Les dérèglements climatiques s'affirment et, si l'Europe, heureusement, n'est pas encore aussi touché, la désertification de l'Afrique n'est pas un phénomène nouveau, Ligny ne fait que l'amplifier.
Roman d'imaginaire, "Aqua TM" s'inscrit pourtant avec force dans notre réalité quotidienne. Les auteurs de SF ont ce privilège d'imaginer l'avenir. Peut-être leur vision restera-t-elle définitivement une fiction, et peut-être auront-ils contribué à la prise de conscience. Malheur à nous si cet imaginaire vient à se confirmer, car il est rarement optimiste et sans aucun nuage (métaphoriquement parlant).