Portrait de Daniel Clowes : des comics, du grunge, du soda et Shia LaBeouf

Par Noisybear @TheMightyBlogFR

Daniel Clowes est un illustre dessinateur de la scène de la bande-dessinée alternative américaine. Connu pour Ghost World, Wilson et David Boring, il s'est essayé à plusieurs autres formes d'arts. Voici le portrait de l'une des figures emblématiques des comics indépendants.

Clowes est né à Chicago en 1961 d'une mère mécanicienne et d'un père antiquaire. Après avoir fait des études d'art, il se lance dans la bande-dessinée satirique en œuvrant pour le magazine Cracked de 1985 à 1989. À ses débuts, il signe ses dessins par différents pseudonymes. Ce n'est qu'à la fin de collaboration avec le magazine qu'il utilise son propre nom. Avec l'auteur Mort Todd, Clowes co-crée The Uggly Family (bel et bien avec 2 G à Uggly), des personnages récurrents du magazine.

À côté de ça, sous son propre nom, il invente le personnage de Lloyd Llewellyn alias LLLL. Il s'agit d'une série humoristique reprenant les codes des films noirs des années 50. Llewellyn est un détective privé, il résout des énigmes grotesques avec son sidekick Ernie Hoyle aidé par le commissaire "Red" Herring (hareng rouge en français). Fantagraphics Books publie 6 numéros de 1985 à 1987. Un dernier épisode, dit spécial, sera publié l'année d'après. Le sixième épisode de Lloyd Llewellyn préfigure l'approche que prendra Clowes par la suite dans son anthologie Eightball en transformant le pastiche de film noir en satire sociale.

C'est en 1989 que Fantagraphics publie le premier épisode de Eightball. Clowes présente son oeuvre comme, je cite :

une orgie de rancune, de vengeance, de sans-espoir, de désespoir et de perversion sexuelle.

Eightball est une oeuvre des plus connue de la scène indépendante des comics indépendants et l'une des mieux vendues. Il s'agit d'une anthologie de courtes histoires soit en noir et blanc, soit en couleurs. Certaines n'étaient que des one-shots, d'autres étaient de véritables séries étalés sur plusieurs numéros. Like a Velvet Glove Cast in Iron, Ghost World et David Boring ont d'abord été publiés en épisodes dans Eightball. Les styles d'histoires variaient également. Il y a de satire sociale, des critiques de l'école d'art d'où il est diplômé, des réflexions sur lui-même ou des histoires humour crue.

Eightball compte 23 numéros, tous publiés chez Fantagraphics Books. La série s'arrête en 2004 après avoir emporté une vingtaine de prix différents. Il obtient le Harvey Awards de meilleur scénariste en 1997 et 2005, meilleure série en 1990, 1991, 1992 et 1997 et bien d'autres. La série a aussi été récompensée par les Eisner Awards.

Les trois histoires longues publiées au fil des numéros de Eightball ont été publiés par la suite en album par Fantagraphics Books. Ghost World est d'ailleurs la plus grosse vente jamais parue chez l'éditeur. Like a Velvet Glove Cast in Iron a été publiée en France sous le titre de Comme Un Gant De Velours Pris Dans La Fonte chez Cornelius. Il s'agit de l'histoire de Clay Loudermil qui tente de retrouver la piste de son ex-femme. Il la retrouve dans un cinéma porno comme dominatrice dans un film BDSM nommé "Comme un gant de velours pris dans la fonte". Avec cela comme seul indice, Clay continue sa traque. Cornelius a également publié David Boring, une histoire racontée complètement depuis le point de vue du héros éponyme. Ghost World, quant à lui, a été publié chez Vertige Graphic. Le récit suit deux adolescentes, récemment bachelières dans les années 90. Elles sont cyniques et critiquent absolument tout dans la culture populaire, se prétendant plus intelligentes que la moyenne. Enfin, les histoires courtes ont été rassemblées dans l'album Orgy Bound paru sous le nom de Eightball en France, toujours publié chez Cornelius.

Eightball s'arrête en 2004. Depuis, Clowes sort des albums entièrement colorisés. Tout d'abord, Ice Haven en 2005 qui est la suite d'une série de courtes histoires que l'auteur avait faites pour Eightball #22. Ces courtes histoires sont des portraits d'une petite bourgade nommée Ice Haven. Clowes utilise en guise de fil conducteur la disparition d'un garçon nommé David Goldberg.

En 2010, l'auteur sort Wilson, un ensemble d'histoires courtes d'une page mettant en scène le misanthrope Wilson. L'album est suivi de Mister Wonderful, une anthologie de strips que Clowes réalisait pour The New York Times Magazine.

La même année sort The Death-Ray, sorti sous le nom Le Rayon de la Mort chez Cornelius. Le comicbook nous raconte la vie d'Andy, un homme maigrichon qui découvre que fumer lui apporte une super-force. Armé d'un rayon de la mort, il combat les méchants. Bien entendu, Clowes ne nous raconte pas une vraie histoire de super-héros mais une satire terriblement drôle de notre société.

Clowes revient en 2016 avec un graphic novel de 180 pages publié par Fantagraphics Books. Patience est présenté comme une histoire d'amour et de science-fiction psychédélique. L'album sort outre-Atlantique au mois de mars.

La vision du monde qui l'entoure et le cynisme émanant de ses BD ont fait que bien souvent Clowes a été vu comme représentant de la Génération X, celle issue du baby-boom de l'après Seconde Guerre Mondiale qui a touché l'Occident. Elle est souvent nommé la Génération MTV qui prône la diversité, se dédouane des actes de guerre de ses ainés et se revendique laïque. Parmi les autres représentants, il y avait Kurt Kubain, Billy Idol, Quentin Tarantino, Douglas Coopland, Jane Champion, les héros des films de John Hughes ( Breakfast Club, Une Créature de Rêve, La Folle Journée de Ferris Buelher) ou, encore, Kevin Smith. Ainsi, le dessinateur a été appelé par le label de musique Sub Pop - celui qui a découvert Nirvana et a lancé Soundgarden et Sonic Youth - afin de réaliser quelques pochettes de disques. Clowes a réalisé la mascotte du label, Punky.

Clowes est aussi responsable de la pochette très kitch de I Don't Want to Grow Up des Ramones.

En 1993, il est chargé de créer le visuel de la marque de soda pour ceux de la Génération X, OK Soda. Il s'agit d'une marque de soft drink lancée par Coca-Cola et destinée à cette génération alors adolescente ou jeune adulte. Afin de redorer sa notoriété auprès de tous ces jeunes anti-capitalistes, le groupe Coca-Cola décide d'aller au total opposé des autres campagnes marketing prônant la transparence et voulant éviter la manipulation marketing. Afin de plaire à toute cette génération, la multinationale a décidé de faire appel à des artistes représentatifs de cette génération. Voilà comme lui et Charles Burns (Black Hole) ont créé des visuels pour la marque.

Dans les années 90, Clowes a commencé une carrière de scénariste pour le cinéma mais le premier film dans lequel il est crédité ne sort qu'en 2001. Il s'agit de l'adapation (apparemment très réussie) de Terry Zwigoff qui adaptera par la suite une autre oeuvre de Clowes Ghost World, sa BD culte. Le film a été mis en scène par , Art School Confidential. Cette année devrait sortir Wilson, écrit par par Clowes et réalisé par Craig Johnson ( True Adolescents...).

Clowes a eu une autre expérience cinématographique, mais à son insu cette fois. En 2012, Shia LaBeouf présente au festival de Cannes un court-métrage qu'il a écrit et réalisé, Howard Cantour.com. En décembre 2013, la star de Transformers diffuse gratuitement son film sur internet. Les fans de comics indépendants notent immédiatement une ressemblance plus que flagrante entre l'histoire de LaBeouf et Justin M. Damiano, une histoire que Clowes avait réalisé pour une anthologie caritative. L'acteur retire alors son film de la toile prétextant qu'il n'a pas "copié" mais qu'il s'est "inspiré".

Cette petite anecdote (ah Shia, toujours là pour nous faire rire) ne fait qu'accentuer le fait que Clowes est un artiste qui a influencé une génération. Son humour et sa manière d'écrire sont des exemples à suivre mais qui arriveront toujours à vous amener quelques réflexions sur la société dans laquelle on vit. Ce n'est pas pour rien que son prochain album, Patience, est déjà l'une des BD les plus attendues de cette année qui commence.