Rencontre avec Jean-Claude Servais, auteur des chemins de Compostelle

Par Bdencre @bdencre

Les Chemins de Compostelle fascinent. Nombreux sont les ouvrages, livres et récits à aborder le sujet.
Jean-Claude Servais s’est, lui aussi, lancé dans les chemins. Il revient avec nous sur ce projet humain et ambitieux.

Chroniques du tome 1 et du tome 2

Bulle d’Encre : Pouvez-vous nous parler un peu de la genèse de ce projet ?
Jean-Claude Servais :
Depuis 35 ans, je travaille sur un tout petit territoire : le sud de la Belgique, qui est ma région. Je me suis fait connaître avec Tendre Violette et La Tchalette, séries qui avaient cartonnées quand j’étais venu début des années 80 au festival Quai des Bulles (même si ça ne s’appelait pas encore comme ça à l’époque). Quand je me baladais, je voyais mon album dans toutes les librairies, puis j’ai appris qu’il était dans toutes les bibliothèques.
Il y a un lien très étroit entre ma région et la Bretagne : les mêmes racines celtiques.
J’ai été très connu à ce moment là en France, puis petit à petit, ça s’est tassé. En Belgique par contre, je suis toujours très connu. J’en ai parlé avec mon éditeur, car je constatais que lorsque j’allais en festival comme ici (NdlR : à Quai des Bulles), à Blois ou à Chambéry ; j’avais énormément de monde, le public se souvenait de moi et achetait beaucoup d’albums, qu’ils n’avaient pas trouvé en librairie, car non placés.
J’ai trouvé ça dommage et un peu triste de ne pas pouvoir toucher mon public car il ne trouve pas mes bouquins. C’est mon éditeur qui m’a tendu la perche et qui m’a proposé de faire « un truc sur les chemins de Compostelle » puisqu’on me reprochait d’être un peu trop ancré dans ma région.
C’était une bonne idée, puisque les chemins de Compostelle interpellent beaucoup les gens, ça évoque des images et qui correspondent à ce que je raconte habituellement.
Ça a commencé comme ça, sans trop savoir ce que j’allais faire.
J’ai beaucoup lu sur le sujet, j’ai beaucoup appris sur les chemins, j’ai notamment appris qu’un chemin passait par mon village…
Les chemins de Compostelle passent à 9km de chez moi dans le pays d’Orval. Je me suis rendu compte que les chemins de Compostelle sont partout.
Et ce qui est le plus intéressant, c’est qu’on fait le voyage à pieds comme mes personnages bien souvent dans la nature, dans les villages.
J’avais tout sous la main, il suffisait de partir.
Depuis le début de ma carrière professionnelle, je me préparais à partir. Mon premier rédacteur en chef de Tintin m’avait dit « Tu ne vas pas toujours raconter tes petites histories de village ».
Je l’ai fait pendant 35 ans et là je suis parti.
J’ai construit mon récit à partir de lectures, de récits de voyages de gens qui ont vraiment fait Compostelle, moi je ne l’ai pas fait.
Puis j’ai imaginé ces parcours et ne pas partir du Puy-en-Velay tout de suite mais de chez moi, comme si c’était moi qui partais à la découverte.
Ainsi, pour les passages qui se passent en Bretagne, mes personnages découvrent les lieux et je fais raconter les légendes et les histoires par l’Ankou ; je ne me sentais pas légitime de le faire par mes propres yeux.

BDE : D’où le côté didactique du livre. On chemine en même temps que les personnages, on découvre en même temps qu’eux et on vit les surprises à leur rythme.
JCS :
C’est une invitation au voyage. Ce n’est pas un polar ou une série, mais il y a un tueur en série sur le chemin et on se demande qui c’est. Ça va venir progressivement. Tout est lié avec les décors, les légendes, les pays que les personnages traversent. Je jongle entre ces éléments.
Si mon scénario est écrit, il est toujours en mouvance.
J’ai prévu un cycle de quatre albums avec mes quatre premiers personnages et j’arriverai à Tours. Puis je ferai un album sur chacun des quatre chemins : Tours, Vézelay, le Puy-en-Velay et Arles.

BDE : Au bout de 8 albums, vous serez toujours en France.
JCS :
Oui, parce que je veux ratisser la France.
Après, j’aurai la traversée des Pyrénées et l’Espagne.

BDE : C’est un projet très ambitieux.
JCS :
C’est ce qui me faisait peur au début, je ne savais pas très bien comment maîtriser les choses et j’ai laissé aller mes personnages. Petit à petit, tout s’est mis en place.
De toute façon, les chemins de Compostelle c’est quoi : un entonnoir ! Les gens partent de chez eux et finissent par se croiser puisqu’ils vont tous vers la même direction, c’est un goulot.

BDE : Vous êtes déjà allé à Saint-Jacques-de-Compostelle ?
JCS :
Non, j’irai quand j’y serai dans l’histoire. Je suis mes personnages. Je chemine en même temps qu’eux. J’ai de nombreuses documentations sur l’Espagne mais je ne les lis pas maintenant, j’ai lu bien sûr les expériences de différentes personnes, notamment le livre de Jean-Christophe Rufin qui a pratiqué tout le nord de la côte espagnole (ndlr : Immortelle randonnée : Compostelle malgré moi) pour voir l’esprit. Mais pour les détails, je verrai quand je serai sur place.

BDE : Vos personnages aux caractères si différents, vous avez voulu les faire tous accidentés de la vie ?
JCS :
C’est un peu pour ça qu’on part. Et pour donner de la force aux personnages. Il y a de la découverte mais pour leur donner de la profondeur, c’était plus intéressant. Et puis, il ne faut pas oublier les dangers de ce chemin. Quand on remonte au Moyen-Âge, c’était très dangereux de faire les chemins de Compostelle et nombreux sont ceux qui se faisaient égorger pour leur bourse.

BDE : Vous n’avez pas un personnage plus fort que l’autre.
JCS :
Oui, Blanche avec son grand-père dans le premier tome, dans le second, c’est Céline avec un personnage qui ressemble un peu à un Diable et qui vient la perturber. Dans le troisième, Blanche va revenir et Alexandre qui vient de Suisse ; ils vont se retrouver autour de Notre-Dame-de-Paris. Dans le quatrième, je ferai sortir le tueur en série. Ça se fait petit à petit, c’est la première fois que je travaille comme ça, d’habitude je travaille avec une histoire en diptyque, c’est écrit à l’avance. Là je ne peux pas tout prévoir… Je suis parti pour 10 ans.
C’est stressant et motivant de bosser comme ça, et ça me permet d’aller plus loin. Ça me rebooste !

BDE : Le but des Chemins de Compostelle, c’est de montrer les chemins de la vie ?
JCS :
Oui mais aussi de visiter le patrimoine rural et architectural avec des personnages humains et qui ont vécu. Ce ne sont pas des touristes japonais qui viennent faire une photo du Mont-Saint-Michel… Ce sont des gens qui respectent les lieux et qui ressentent tout ce qui en émane.

BDE : Vous cheminez en même temps que vos personnages, vous vous rendez sur tous les lieux ?
JCS :
Oui, même si je ne suis pas allé jusqu’à la pointe Saint-Matthieu, c’était trop loin, j’ai regardé beaucoup de photos.
Sinon, pour ce deuxième album, surtout consacré à la Bretagne, j’ai passé une semaine dans la région pour sillonner les lieux. J’ai commencé par chercher les endroits sur internet mais il ne faut pas se contenter de ça, il faut connaître les lieux pour pouvoir les mettre en scène.

BDE : On avance donc à petits pas.
JCS :
C’est l’hymne de la lenteur, c’est là qu’on voit les choses autrement. Pourquoi les gens vont sur les chemins de Compostelle aujourd’hui ? Parce que nous sommes dans une société où l’on court en permanence, on a le temps de rien, pas même de réfléchir. Ici, on est posé. On prend le temps.

BDE : Merci beaucoup. On a hâte de découvrir la suite.
JCS :
On se retrouvera fin d’année…

Propos recueillis par Anna Sam le 24/10/2015 au salon Quai des Bulles.
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