Georges Simenon est un écrivain belge francophone (1903-1989). L'abondance et le succès de ses romans policiers (notamment les « Maigret ») éclipsent en partie le reste d'une œuvre beaucoup plus riche. Simenon est en effet un romancier d’une fécondité exceptionnelle, on lui doit 192 romans, 158 nouvelles, plusieurs œuvres autobiographiques et de nombreux articles et reportages publiés sous son propre nom et 176 romans, des dizaines de nouvelles, contes galants et articles parus sous 27 pseudonymes.
Le Petit Saint, roman paru en 1965, est une biographie fictive d’un peintre, Louis Cuchas, qui s’étend des dernières années du XIXème siècle à l’aube des années soixante, de la pauvreté de son enfance au succès de l’âge mûr.
Gabrielle, la mère, marchande de quatre-saisons, élève seule ses enfants issus de différents pères envolés. Quand le roman s’ouvre, Vladimir, l’aîné a douze ans, Alice neuf, les jumeaux deux ans de moins, Louis a quatre ans et il y a encore Emilie, bébé de six mois. Tout ce petit monde vit entassé dans une grande pièce, séparée en deux par un rideau, rue Mouffetard, quartier populeux de Paris. Les amants défilent dans le lit de la mère, Vladimir impose des rapports sexuels incestueux à Alice, les jumeaux traînassent à droite et à gauche, Emilie manque être violée par un amant de sa mère, le bébé vagit dans son berceau et au cœur de cette misère, il y a Louis. Un petit garçon introverti, calme et posé, gentil par nature, au point de ne jamais se rebiffer à l’école contre ceux qui le tabassent par jeu ou lui volent ses billes et ont fini par le surnommer « le petit saint ». Peu bavard, il observe, il écoute, emmagasine des images mentalement et avec le temps celles-ci vont chercher à ressurgir, le poussant inexorablement vers l’unique passion de sa vie, sa raison de vivre, la peinture.
Quel magnifique roman, d’ailleurs Simenon le tenait lui-même en haute estime et fût assez déçu par son tiède accueil public et critique à l’époque. Je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui, mais moi j’ai adoré car il ne manque pas d’atouts pour me plaire. Atouts personnels, ce Paris du début du XXème siècle en pleine mutation, n’est guère éloigné de ce que j’ai connu enfant dans les années cinquante, les marchandes des quatre-saisons de la rue Mouffetard du roman sont celles que j’ai connues rue Cadet, les Halles où Gabrielle se ravitaille, je les ai vues mourir au milieu des années soixante et ce quartier m’est très familier… Atouts littéraires, ces décors ne peuvent qu’évoquer le Zola du Ventre de Paris…
Alors que tout se prêterait à un roman très noir, pauvreté, promiscuité avec son cortège de délinquance et misère sexuelle, Simenon estompe ces horreurs pour en tirer un récit d’une grande beauté, où l’amour existe néanmoins, non conventionnel, comme ces petites fleurs qu’on voit parfois poindre entre les pavés. Gabrielle n’est pas une dépravée, une simple femme en quête d’amour, dur à la tâche pour élever sa marmaille, aimant profondément ses enfants et ceux-ci, finalement et à leur manière, le lui rendent. Il y a des passages superbes, comme celui où Gabrielle propose à Louis, encore enfant, de sortir avec elle « Tu veux que je m’habille ? Il n’osait répondre ni oui ni non. Elle s’habilla avec autant de soin que pour ses sorties amoureuses, mit le même parfum à base d’œillet, la poudre rosée, du rouge sur ses lèvres. « Tu ne me trouves pas trop vieille ? - Oh ! non », s’écria-t-il avec ferveur. »
Quant à Louis, sorte de doux rêveur, il traversera son époque riche en évènements sans jamais se plaindre, la Grande Guerre, l’arrivée de l’électricité, la construction du métro…, en témoin muet, éloigné des contingences de la vie (l’argent, les femmes…), mais animé d’une volonté farouche pour son art. Un regard optimiste sur les milieux défavorisés, oui, il y a toujours moyen de s’en sortir.
Un excellent roman, qui plus est pas bien long !