Watertown (Jean-Claude Götting – Editions Casterman)
« Demain, je ne serai plus là. » Ces quelques mots vont suffire à bousculer la vie particulièrement tranquille de Philip Whiting, un modeste employé d’une société d’assurances dans la petite ville de Watertown, près de Boston. La personne qui lui fait cette confidence inattendue s’appelle Maggie Laeger. Elle est vendeuse dans la boutique de muffins de M. Clarke, où Philip s’arrête tous les matins avant de se rendre à son travail. Dans un premier temps, il ne prête pas trop d’attention à la petite phrase de Maggie. Mais lorsqu’il découvre le lendemain que M. Clarke a été retrouvé mort dans sa cuisine, écrasé par une étagère, tandis que Maggie s’est évaporée dans la nature, il ne peut s’empêcher de penser que la vendeuse a forcément joué un rôle dans la mort de son patron. Deux ans plus tard, les choses deviennent encore plus étranges lorsque Philip retombe par hasard sur Maggie dans un magasin d’antiquités à Stockbridge, à l’autre bout du Massachusetts. Le problème, c’est que Maggie s’appelle dorénavant Marie Hotkins et qu’elle prétend n’avoir jamais mis les pieds à Watertown. Il n’en faut pas plus pour aiguiser la curiosité de Philip, qui va se muer en véritable enquêteur pour essayer de comprendre ce qui s’est réellement passé dans la boutique de muffins de M. Clarke. Pour lui, c’est certain: Maggie et Marie sont une seule et même personne. Le point de départ de son enquête, qui va progressivement virer à l’obsession, est un vieil album photos acheté par Philip dans la boutique d’antiquités de Marie et dans lequel il croit déceler la trace de Maggie… Fantasme ou réalité? Une chose est sûre: pour le petit employé d’assurances, cette enquête est une occasion en or d’enfin briser l’insupportable monotonie de son existence.
Grand amateur de romans noirs américains, l’auteur français Jean-Claude Götting a eu l’idée du roman graphique « Watertown » en faisant l’acquisition d’un vieil album photos d’une famille américaine dont il ne savait rien. En achetant cet album, son objectif était avant tout de se documenter sur la vie quotidienne aux Etats-Unis dans les années 30 à 50, mais finalement ces photos sont devenues pour lui une véritable source d’inspiration. Certaines d’entre elles se retrouvent d’ailleurs telles quelles dans « Watertown ». Au-delà de la culpabilité ou non de Maggie, qui est finalement presque secondaire dans cet album, c’est surtout la psychologie des personnages qui intéresse Götting. Il préfère d’ailleurs le terme roman noir à celui de polar. « Ce qui m’intéresse, c’est le côté tragique, plus que l’aspect criminel avec flics et voyous », explique-t-il. « J’emprunte surtout au polar le côté enquête, qui est une forme de narration intéressante. Mais, dans ce livre, elle est au moins autant le moyen d’élucider un mystère qu’une manière de raconter la psychologie de celui qui la mène. » La personnalité un peu ambigüe de Philip Whiting est effectivement l’un des points forts de ce roman graphique, qui parvient à accrocher très rapidement le lecteur grâce à une utilisation habile de la « voix off », comme dans les films noirs américains. Son autre atout majeur, c’est son graphisme à la fois raffiné et élégant. Normal: avant de revenir vers la BD il y a une dizaine d’années, Jean-Claude Götting s’est longtemps consacré à l’illustration et la peinture. C’est lui, par exemple, qui a réalisé les couvertures françaises de la série « Harry Potter ». « Dans Watertown, j’ai employé ma technique habituelle mise au point à mes débuts: un trait noir au pinceau et un travail de grisés réalisés avec un petit rouleau à gouache, modulés à la gouache blanche pour les lumières », raconte Götting, qui a veillé également à soigner le côté « vintage » des couleurs de ses planches. Le résultat est superbe: « Watertown » est un excellent choix BD pour démarrer l’année 2016 en force!