Depuis quelque temps, je marche en forêt. Une vieille forêt. Avec ses vieux arbres, ses chicots, ses mystères, son savoir. Le matin, avant le petit-déjeuner, une tasse thermos à la main et remplie de café, je marche, avec mon amoureuse, avec mes labradors. Parfois seul. J’enjambe les branches et les racines. Je hume l’air humide, imprégné de sapins, d’épinettes, de cèdres, de fougères, de fleurs sauvages, de pourriture, de toute cette nature de fibres et de sève comme de chair et de sang. J’écoute le gazouillis des oiseaux, le croassement des corneilles, le murmure du vent, l’écoulement de l’eau du ruisseau. Je m’arrête devant les pistes de lièvres et de cervidés. Je marche, marche, marche. Je sue, je vis. Sur le sentier qui me sépare de mes biens, de ce pour quoi j’échine pourtant mes jours, je m’enrichis du pouvoir des arbres, des bêtes sauvages, du vent, du ciel… Et je pense. Beaucoup. Car les insondables secrets de la nature engendrent un état d’âme riche en fantaisies et en illuminations. Les problèmes s’allègent, les réponses surgissent. « Penser, c’est chercher des clairières dans une forêt. » écrivait Jules Renard. Et penser dans la forêt, c’est enchâsser nos vies de jets de lumière. De l’ombre d’un arbre, des univers se créent. Et chaque arbre étant unique, imaginez l‘infini des possibles d’une promenade en forêt. Les pensées se bousculent donc. Les écureuils ne les voient pas. Mes labradors non plus. Malgré leur ouïe prodigieuse, ils ne les entendent pas. Mon amoureuse non plus, à moins que, parce qu’elles en valent la peine, je les lui partage. Les autres… Elles m’habiteront en exclusivité, me hanteront peut-être plus tard. Les arbres les sentent peut-être. Qui sait ? Je soupçonne même qu’ils en soient la source. De Gonzague St-Bris écrivait : « Lors de mes vagabondages dans les verdures éternelles, j’avais l’impression de lire l’univers et la forêt était pour moi la plus belle des bibliothèques. »
Alors, je marche, et je pense. À quoi ? Eh bien… à tout. Au quotidien, à mon travail, à mes joies, à mes misères. Je pense à mon amoureuse qui me précède ou me suit, à mes enfants, à mes proches, à mes chiens qui gambadent à mes côtés. Des projets d’écriture germent. Je pense aux injustices, à la science, à l’ivresse d’être là, à cet instant, je pense à hier, à demain. Les motifs ne manquent pas, le pouvoir inspirant des arbres étant sans limites.
C’est donc un certain matin, le thermos de café penchant dangereusement alors que j’enjambais un chicot échoué à travers le sentier, qu’une pensée singulière traversa mon esprit. Pourquoi confiner des pensées en soi, dans l’éthérisme du je-ne-sais-où ? Pourquoi vivre, penser, si la vie n’est qu’un ramassis de secrets ?
J’ai le bonheur d’écrire. Et j’ai la chance d’avoir un bon ami qui publie des textes dans un blogue devenu magazine littéraire électronique, Le Chat qui louche, des textes qui sont lus. Un ami qui, deux fois déjà, m’a fait confiance. Jamais deux sans trois, dit l’adage.
Ce matin-là, mes pensées m’ont conduit à cet ami, à son blogue, à ma nostalgie du temps où j’y publiais des textes. J’ai donc pensé reprendre du service, une fois par mois, y graver ces impressions de matins de randonnées parmi les arbres.
Tout y passera. Réflexions, science, fiction…
Des secrets ?
Qui sait ?
© Jean-Marc Ouellet 2016
Notice biographique
Jean-Marc Ouellet grandit dans le Bas-du-Fleuve. Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, il pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, de janvier 2011 à décembre 2012, il a tenu une chronique bimensuelle dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche. En avril 2011, il publie son premier roman, L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis un article, Les guerriers, dans le numéro 134 de la revue Moebius. Chroniques d’un seigneur silencieux, son second roman, paraît en décembre 2012 aux Éditions du Chat Qui Louche. En août 2013, il reprend sa chronique bimensuelle au magazine Le Chat Qui Louche.