Sándor Márai : Les Braises

Sándor Márai, stefan zweig, Sándor Márai né en 1900 à Kassa qui fait alors partie du Royaume de Hongrie dans l'Empire austro-hongrois (aujourd'hui en Slovaquie) et mort en 1989 à San Diego aux États-Unis, est un écrivain et journaliste hongrois. La vie de l’écrivain fut itinérante, européenne et quasi-vagabonde dans sa jeunesse pour fuir la Terreur Blanche de 1919, hongroise pendant vingt ans, américaine et italienne après le passage de la Hongrie dans la sphère soviétique et le choix par Márai de l’exil. Au-delà des circonstances politiques, le voyage est un mode d’être pour Sándor Márai. De plus en plus solitaire et difficile matériellement, mais fertile sur le plan littéraire, l’exil mènera Márai de New York à Salerne, en Italie, puis en Californie où il se donnera la mort à 89 ans, quelques mois avant la chute du mur de Berlin. Les Braises, qui date de 1942, a été traduit chez nous en 1995.

Après quarante et un ans de séparation, deux hommes devenus des vieillards se retrouvent. Ils sont amis d’enfance - depuis leur rencontre à l’Académie militaire quand ils avaient dix ans - malgré leur différence d’origine sociale. Henry, aujourd’hui Général, originaire d'une famille aristocratique et fortunée tient ses principes moraux de son père militaire lui aussi ; Conrad, de famille plus modeste, a un caractère plus artiste, la musique est sa grande passion. Le Général a été marié à Christine, décédée depuis de nombreuses années, une amie commune. Conrad lui, s’est expatrié en Malaisie, parti sur un coup de tête, sans explication aucune et sans jamais donner de ses nouvelles. Revenu temporairement au pays, il a répondu favorablement à l’invitation du Général le conviant à venir dîner dans son château à la campagne.

Le roman va s’étaler le temps d’une nuit où les deux hommes vont s’affronter à fleuret moucheté, en un huis-clos sous la directive du Général qui veut enfin faire la lumière sur ce qui s’est passé à l’époque du départ de Conrad. Superbe roman, qui allie le mystère, le lecteur comprend tout de suite qu’il s’est passé un évènement très important il y a plus de quarante ans mais quoi ? l’enquête policière, le Général se livre à un interrogatoire de Conrad en délivrant des indices et des preuves non vérifiables afin de lui faire avouer quelque chose. La discussion – nous sommes entre gens de bonne compagnie – s’avère une dissection méticuleuse du sentiment d’amitié avec ce qu’il implique de points positifs et négatifs. Petit à petit, la proclamée amitié entre les deux hommes va laisser place à des révélations tues jusqu’à ce jour, mettant en évidence que ce qui a maintenu en vie le Général c’est la vengeance.

Remarquable roman psychologique, Sándor Márai explore les tréfonds de l’âme humaine et les ressorts de nos actions et sentiments avec une profondeur et une justesse renversante. Il est question ici, de mémoire et de souvenirs, d’amitié (« un dérivé de l’amour (…) le lien humain le plus noble ») et d’honneur, de vieillesse et de solitude (« le pire, c’est de refouler les passions que la solitude a accumulées en nous »). Un roman qui entre en écho avec l’œuvre de Stefan Zweig, la même époque et une certaine nostalgie à la vue de cette vieille Europe qui change de siècle.

Si certains vins se boivent après plusieurs années de cave, il est des livres – comme celui-ci - qu’on doit lire quand on a atteint un certain âge, pour en apprécier au mieux la subtile puissance et le poids du sens caché derrière les mots. Un bouquin incontournable, à lire absolument.

« - Nous n’en avons plus pour longtemps à vivre, déclare le général en guise de conclusion à ses réflexions muettes. Une ou deux années, peut-être même pas autant. Nous ne vivrons plus longtemps, puisque te voilà revenu. Tu le sais toi-même parfaitement. – Oui, je le sais, dit Conrad tranquillement. Le général reprend : - Quarante et une année, c’est long ! Tu as bien réfléchi avant de prendre ta décision, n’est-ce pas ?... Mais, finalement tu es revenu, parce que tu ne pouvais pas faire autrement. Et moi, je t’ai attendu, car je ne pouvais pas non plus faire autrement. Et, nous savions, l’un comme l’autre, que nous nous reverrions une fois encore, puis que ce serait la fin. Est-ce bien cela ?  - Oui, c’est bien cela, répond Conrad. »

Sándor Márai, stefan zweig, Sándor Márai  Les Braises  Albin Michel  - 189 pages –

Traduit du hongrois par Marcelle et Georges Régnier