Cette semaine, la chronique LGBT Heroes s'intéresse à Lucifer tel que l'a imaginé Neil Gaiman pour les besoins de la série culte The Sandman. Le personnage n'a rien du démon cornu tel qu'il est représenté ailleurs, il s'agit d'une personnage androgyne, à la voix suave, tout comme l'icône queer qu'on vient de perdre, David Bowie, qui a inspiré ses créateurs.
Lucifer est un personnage biblique et comme de nombreux autres personnages mythologiques, il est apparu sous de nombreuses formes dans divers comicbooks. Chez Marvel Comics, Stan Lee et Jack Kirby l'introduisent dans leur univers comme non pas un ange déchu mais un extra-terrestre ( X-Men #9 de 1965). Chez DC Comics, le personnage est apparu dans un cauchemar de Jimmy Olsen dans sa série solo de 1962. D'autres versions ont été aperçues aux côtés de The Demon et The Spectre. Mais, celui qui nous intéresse aujourd'hui est celui de l'univers Vertigo, Lucifer Morningstar, et qui a rejoint la continuité de DC il y a quelques années de ça.
Lucifer est apparu pour la première fois dans les pages de The Sandman #4 en 1989. Neil Gaiman, scénariste de la série, s'inspire du poème épique du poète anglais John Milton, Paradise Lost - Le Paradis perdu en français - pour créer sa version de l'ange déchu. Ce poème découpé en 12 livres, raconte comment Satan et d'autres anges rebelles ont été vaincus puis envoyés en Enfer. Le démon est le personnage principal de la première partie du poème. Il a un véritable don rhétorique et c'est la raison pour laquelle il part sur la Terre récemment créée afin de pervertir Adam et Eve.
Tout comme dans le poème de Milton, Lucifer est un personnage manipulateur. Il a régné pendant des siècles et siècles les Enfers avant la création du monde. Il a manipulé les démons des Enfers afin de les retourner les uns contre les autres afin de transformer les lieux en véritable torture pour les âmes des mortels. Il y a gouverné pendant 10.000.000 ans avant la Création. Mais, il s'est ennuyé. Il était surtout fatigué de l'image que ce font de lui les humains qui pensent que, depuis les enfers, il achète les âmes et les poussent à des actes machiavéliques. Lucifer pense que cette réputation est complètement injuste, lui qui a été exilé en enfer malgré lui, tout ça parce qu'il s'est rebellé.
Ce Lucifer a la particularité d'être un personnage androgyne, tel l'ange qu'il a été finalement. Gaiman demande au dessinateur de The Sandman, Sam Kieth, de donner à Lucifer les traits de l'icône du glam-rock et l'idole des queers, David Bowie.
Dans une interview sur son travail sur The Sandman, Kelley Jones a déclaré :
Neil [Gaiman] était catégorique, le Diable est David Bowie. Il a simplement dit : "Il l'est. Tu dois dessiner David Bowie. Trouve David Bowie ou je vais t'envoyer David Bowie. Parce que si ce n'est David Bowie, tu devra le refaire jusqu'à ce que ça soit Bowie." Alors j'ai dit : "Ok, c'est Davie Bowie."
Après avoir fait le bordel dans la série The Sandman, notamment en lâchant les démons et les âmes déchues sur Terre, puis en fermant les portes de l'Enfer à clef et en la cachant bien comme il faut, Lucifer décide de prendre sa retraite et s'exiler sur Terre. Il va d'abord vivre à Perth en Australie puis à Los Angeles.
C'est dans la ville des Anges que nous retrouvons d'ailleurs Lucifer dans sa série solo régulière qui débute en juin 2000. Écrite par Mike Carey ( X-Men, Neverwhere...), Lucifer y tient un piano bar du nom de Lux. Dans cette série, le scénariste s'intéresse au libre arbitre et comment il est opposé à la "tyrannie de la prédestination". Lucifer pense que la rébellion n'est pas le blasphème que le Paradis défend. Ses conseils qu'il prodigue à ses clients, sa manière de vivre, sa sexualité et son état d'esprit sont mis en parallèle aux actes de Dieu montré ici comme vengeur, intraitable, rigide et totalitaire.
La sexualité est donc à l'image du libre arbitre qu'il défend. Il est androgyne, à la fois doux et suave, bien loin du personnage à corne tel qu'on a tendance à le représenter. À vrai dire, sa sexualité n'est pas connue, ou plutôt non définie. Il n'est ni hétérosexuel, ni homosexuel, ni bisexuel. Cela pourrait être la définition du terme queer tel que l'entend le mouvement du même nom qui lutte contre l'hétéropatriarcat, à savoir le fait que la société actuelle s'est basée autour l'image de l'homme hétérosexuel exerçant le pouvoir.
Cela semble s'insérer parfaitement dans la logique même de The Sandman, une série pour laquelle Gaiman a créé de nombreux personnages LGBT forts. De la même manière, Carey a mis en avant le personnage de Mazikeen, l'alliée loyale et bisexuelle de Morningstar, dans la série Lucifer. De plus, l'utilisation de David Bowie comme muse n'est pas qu'un simple caprice de la part de Gaiman, le discours de son personnage est assez proche de la volonté du chanteur de dépasser des tabous et casser des convictions.
À noter que le personnage est le héros d'une série TV à venir pour la Fox et le premier épisode sera diffusé en mai 2016. Tom Ellis incarnera l'ange déchu, pas certain que la série soit une grande réussite malgré la volonté des créateurs de respecter l'essence du personnage.