Tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler, ça te laisse peut-être le temps de cogiter un peu, mais ça laisse surtout le même temps aux autres pour balancer un paquet de conneries. À grandir avec vos proverbes pour tuteurs, alors qu’ils ont tellement vieilli qu’ils ne peuvent plus sortir sans leur troisième patte et leur culotte tanga, j’ai la langue qui a acquis tellement de souplesse qu’elle sait faire le nénuphar (et même si ça sert à rien, ça fait toujours son petit effet en soirée) mais j’ai surtout choppé une putain de migraine au passage.
Je ne sais pas qui a un jour décrété que le silence était notre ennemi, mais c’était probablement le même type qui avait pris l’option latin parce que ça faisait bien, mais que c’était tellement une quiche en version qu’il a fini par croire que tonton René avait dit « je parle donc je suis ». Et il l’a répété à tout le monde, le con. Et avec sa grande verve et quelques postillons, il a si bien réussi à faire passer la méprise que, depuis, les parents se sont mis à s’extasier devant les premiers mots de leur môme, même s’ils ne veulent jamais rien dire. L’école a créé des cours d’expression, s’est mise à noter la parole, et qu’importe le verbe pourvu que la bouche s’ouvre. Le monde a ouvert des groupes de parole parce que le long de ses rues qui débordent d’un brouhaha désordonné nos mots ne résonnaient plus assez. Le problème, c’est qu’on nous a tellement fourré les tympans de rumeurs qu’on a prises pour paroles d’évangile, qu’on a fini par nous persuader, tous seuls comme des grands, que le silence, ça faisait des bleus aux genoux et des nœuds dans le ventre, ça creusait des tranchées le long des avant-bras et un trou béant dans le crâne.
Ne me demandez pas d’arrêter de voyager parce que vous avez peur en avion ; n’obligez pas ceux qui se taisent à prendre la parole avant qu’elle ne vienne de son plein gré parce que leur silence vous angoisse. Dans leur silence il n’y a rien qui puisse blesser votre ego, mais leurs épaules en chient déjà assez pour le porter, alors n’étalez pas en plus de tout son long votre regard accusateur dessus. Parce qu’il en faut, du courage et du sang-froid, pour garder la bouche fermée au risque de crever de faim juste parce qu’on refuse de gober les chansonnettes et qu’on n’en peut plus d’en chopper à chaque fois une indigestion. Parce qu’il en faut des couilles et des biceps, pour écouter ce silence qui, parce qu’on ne lui a jamais laissé la place pour s’exprimer, n’a plus que la colère les coups et le fusil de pépé pour se faire entendre de l’autre côté des portes qu’on a fermées à double tour et dont on a jeté la clé loin de tous ces lieux communs où, même si les sourires sonnent faux, au moins ils savent rassurer.
Il y a des jours, franchement, où vous m’emmerdez, gentiment, affectueusement, avec amour, mais vous m’emmerdez : à jouer aux pions dans cette partie où le monde est toujours le seul héros parce que c’est lui qui invente les règles au fur et à mesure ; à bomber le torse et à vous prendre pour des adultes, avec vos titres, vos thunes et vos certitudes, et à pointer du doigt les mômes comme moi qui n’ont que leurs yeux pour épée et leur humour pour bouclier, alors que les blessures de poupons que vous traînez à vos pieds, même si vous les avez enveloppées dans du coton, résonnent plus fort que nos rires innocents contre les murs de vos prisons argentées.