La façon dont les auteurs nomment leurs protagonistes me paraît parfois fascinante.
Comment s'y prennent-ils, au juste? Est-ce qu'ils dressent une liste de possibilités en farfouillant sur les sites de prénoms? Est-ce qu'ils cherchent parmi les noms de leurs proches? Est-ce qu'ils font un tirage au sort?
Dans le cas présent, le mystère reste entier, mais partons donc à la découverte d'Emma.
Le synopsis
A la fin des années 1860, le gouvernement français offre à Emma Picard, veuve et mère de quatre garçons, 20 hectares de terre algérienne. Ainsi part-elle s'installer, avec ses fils, dans une ferme désaffectée entre Sidi Bel Abbès et Mascara. Mais la réalité de la vie et de la terre algériennes est bien plus aride que ce qu'elle imaginait.
Mon avis
Ce que j'ai remarqué en premier, c'est le style : les phrases s'enchaînent, alertes, sans point, sans possibilité de reprendre son souffle, ce n'est que succession de paragraphes où la ponctuation est réduite à son plus simple apparat.
L'histoire d'Emma Picard est celle d'une descente aux enfers, annoncée, inéluctable.
La lecture n'a donc rien d'une promenade de santé ou d'un moment agréable : on ne peut s'empêcher de guetter avec anxiété les signes de la chute, et la naissance d'espoirs est toujours suspicieuse, tant on s'attend à ce qu'ils soient éphémères et déçus. Ainsi, l'arrivée à Alger, puis à la ferme, ainsi le travail acharné dont la famille se languit de recueillir les fruits, et peu à peu, chaque fois, les obstacles, les coups durs, les désillusions. Emma perd son fils Joseph.
Puis, un drame lui arrache deux de ses fils survivants. Il ne reste bientôt que Léon, le benjamin, auquel elle raconte les épreuves qu'ils ont traversées, avec lequel elle remonte le fil de l'histoire, jusqu'à l'erreur, le faux pas, qui lui a valu de se condamner et de condamner les siens sans s'en douter, lorsqu'elle a accepté les vingt hectares de terre algérienne.
J'ai apprécié le roman qui est bien construit, mais, vous l'avez compris, ne le réservez pas pour les soirs de grisaille, il se pourrait bien que vous finissiez plus mort que vif tant le ton est noir et la prospérité inaccessible.
Pour vous si...
- Vous vous méfiez des cadeaux empoisonnés
- Vous ne comprenez pas que l'on s'encombre de détails comme la ponctuation (Mathieu Belezi est visiblement réfractaire aux points et aux majuscules)
- Vous n'accordez aucune confiance aux sauterelles
- Vous pensez qu'il est important de savoir se ménager une sortie (en sautant dans un trou, par exemple)
Morceaux choisis
"après les sauterelles c'est le soleil qui nous est tombé dessus, un soleil de plomb qui a grillé tout ce qui cherchait à repousser, les maigres feuilles sur les branches des arbres, la mauvaise herbe des prés, les sarments rabougris des pieds de vigne, un soleil qui chauffait à blanc la terre dénudée, qui l'entaillait en profondeur, la fouaillait du matin au soir comme si les mandibules des sauterelles ne lui avaient pas fait assez de mal"
"et depuis je raconte
en attendant que tu veuilles bien te réveiller, mon fils
je raconte dans quel enfer on nous a jetés, nous autres colons, abandonnés à notre sort de crève-la-faim sur des terres qui ne veulent et ne voudront jamais de nous"
Note finale3/5(cool, mais pas guilleret)