Modernité, par Clémence Tombereau…

Par Chatquilouche @chatquilouche

Lumière douce.  Chants d’oiseaux.  Bientôt :  même l’odeur de la forêt tropicale.  Bientôt.
Elle délaisse le lit et ses rêves, à moins que ce ne soit l’inverse.  Corps non volatil.  Corps ancré, trop ancré dans l’asphalte du monde.  Les yeux sont ouverts comme des fleurs bientôt fanées.

Vitamines.  Équilibre.  Cinq minutes – dix parfois, de mouvements appris, censés réveiller, révéler, harmoniser le corps.  Ça marche, oui.

Douche et maquillage :  l’éternel retour.  L’éternelle renaissance de la femme phénix.  Les cendres de la veille s’accumulent dans les cernes masqués de pâte beige.  Nous ne sommes après tout que des palimpsestes en perdition.

Sortir de l’appartement, de l’immeuble, de sa nature finalement.  Enfiler le costume ou l’armure.  L’amertume est niée par une mascarade.

Marcher.  Métro.  Marcher.  Bureau.
Boire une gorgée d’eau de coco.  Dans un mois, jus de bouleau.  On alterne.

S’asseoir, après avoir un peu parlé avec des gens.  Se mettre à l’écran, au clavier, à l’interface.  Au travail.  Le siège est dernier cri.  Les conditions de travail sont optimisées.  Pour le confort.  La rentabilité surtout.
Au déjeuner, de l’équilibre, toujours.  Et du plaisir, oui, oui.  Ni café ni cigarette.  Un thé vert puis des dents brossées, lustrées, saines et immaculées.

Puis bosser.  Parler.  Saluer.  Sourire ou anecdote ou truc du genre.  Bonsoir.  À demain !
Sortir.  Marcher.  Sac de sport sur l’épaule.  Fibre anti-transpirante.  Aérée et légère.  Couleurs vives.  Positives.  Motivantes et joyeuses.  Salle de sport.  Suer.  Se défouler.  Être bien.  Bien-être.  Vide.  Comme ces coquilles qui attendent sur la plage qu’un bambin les ramasse, les admire, les oublie finalement dans un tiroir demain.
Marcher.  Métro.  Ce soir, pas d’apéro :  un par semaine, et encore.

Immeuble puis appartement.  Aux beaux volumes et lumineux.  Beaucoup de cachet.
Douche.
Soupe légère.
Souffle léger.
Livre ou télé.
Une gélule.  Ou plusieurs.  Ou des comprimés.  Plantes douces ou brutale chimie.
Demain, on ne sait pas.
Si elle se réveillera.
Tout dépend du dosage
– de la modernité.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.  Récemment, elle a publié Débandade (roman) aux Éditions Philippe Rey.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)