Liré, ça vous parle ? Mais si, voyons, réfléchissez bien… mon petit Liré… Bah oui, Joachim du Bellay et ses regrets. Il est parti en voyage à Rome et il s’ennuie, il se languit de son Anjou natal (actuel Maine et Loire). On peut trouver ça incroyable quand on n’est pas natif de cette région et pourtant, tous ses sonnets disent son désappointement d’être en Italie, si loin de son pays, si triste.
J’ai passé une petite heure dans son château, enfin, ce qu’il en reste, et j’avoue que ce moment fut très agréable. C’est un petit coin paisible, serein et qui m’a donné envie de relire quelques poèmes de Joachim du Bellay. Cela m’a rappelé mes années étudiantes, en lettres modernes, où j’ai suivi un cours passionnant sur les auteurs du seizième siècle. Cependant, il ne faut point trop en lire si on ne veut pas sombrer dans une profonde dépression…
Allez, une petite plongée dans le passé littéraire de la France :
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?
Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :
Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la doulceur angevine.
France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m’as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.
Si tu m’as pour enfant avoué quelquefois,
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle.
Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix.
Entre les loups cruels j’erre parmi la plaine,
Je sens venir l’hiver, de qui la froide haleine
D’une tremblante horreur fait hérisser ma peau.
Las, tes autres agneaux n’ont faute de pâture,
Ils ne craignent le loup, le vent, ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.
Malheureux l’an, le mois, le jour, l’heure et le point,
Et malheureuse soit la flatteuse espérance,
Quand pour venir ici j’abandonnai la France :
La France, et mon Anjou, dont le désir me point.
Vraiment d’un bon oiseau guidé je ne fus point,
Et mon cœur me donnait assez signifiance
Que le ciel était plein de mauvaise influence,
Et que Mars était lors à Saturne conjoint.
Cent fois le bon avis lors m’en voulut distraire,
Mais toujours le destin me tirait au contraire :
Et si mon désir n’eût aveuglé ma raison.
N’était-ce pas assez pour rompre mon voyage,
Quand sur le seuil de l’huis, d’un sinistre présage,
Je me blessai le pied sortant de ma maison ?