Pour une fois, je ne suis pas allé chercher le titre de ce billet bien loin, j'ai pris la première phrase du livre dont nous allons parler. Parce qu'elle me semble à la fois exactement illustrer ce que l'on peut penser avant d'en attaquer la lecture puis, une fois qu'on a refermé le livre, on se dit que ce n'est pas aussi évident qu'il n'y paraît. Qu'il y a, en tout cas, un décalage entre l'opinion publique et la documentation officielle, nettement plus nuancée. Oui, c'est bel et bien à une icone que Marie-Laure Le Foulon s'est attaquée en rédigeant "Lady Mensonges" (paru chez Alma Editeur), anti-biographie de la résistante franco-britannique Mary Lindell. Un nom qu'il m'est arrivé de croiser dans des romans mais aussi dans des récits historiques, mais qui semble avoir quelque peu enjolivé son expérience de résistante. Marie-Laure Le Foulon nous dresse un portrait presque inquiétant d'un personnage entre ombre de plus en plus épaisse et lumière tamisée...
Connaissez-vous Mary Lindell ? Née en 1895, cette Anglaise grandit dans un milieu aisé avant de suivre la voie tracée par Florence Nightingale, lorsque la Première Guerre Mondiale éclate. Cette expérience comme infirmière sur le front lui vaut la Croix de Guerre et d'autres décorations, ainsi qu'une certaine considération.
Peu après la fin de la guerre, elle épouse un aristocrate française, le comte de Milleville, avec qui elle aura trois enfants, Maurice, Octave, dit Oky, et Ghita. La voilà installée de ce côté-ci de la Manche avec sa famille, jusqu'à ce que la Deuxième Guerre Mondiale se déclenche. On connaît l'issue de cette drôle de guerre, l'envahissement du pays, la coupure entre zone occupée et zone non-occupée, l'exode, la traque des juifs, la résistance, etc.
Mary Lindell devient très tôt une résistance, en liaison avec Londres. Elle est chargée d'organiser un réseau permettant à des personnes fuyant la zone occupée, de franchir la ligne de démarcation, mais surtout, de récupérer des soldats britanniques, parachutés ou abattus lors d'un vol au-dessus de la France, pour leur permettre, via l'Espagne, de regagner le nid.
Sous le pseudonyme de Marie-Claire, qu'elle donnera à son réseau, ou encore sous le titre de Comtesse de Moncy, elle a lutté contre les nazis sur le sol français, au péril de sa vie. Emprisonnée une première fois au début de la guerre, du côté de Fresnes, elle est condamnée à mort, arrêtée et déportée à Ravesbruck, dont elle reviendra à la libération de ce sinistre camp.
Sa famille aussi, engagée à ses côtés, a payé cher cette lutte contre le totalitarisme nazi. Son fils aîné, Maurice, emprisonné à son tour à Lyon, connaît les geôles du boucher Klaus Barbie et est torturé. Oky, lui, ne rentrera pas de déportation... Après la guerre, Mary Lindell sera reconnue en Angleterre comme une figure de cette résistance.
Une image qui va aussi s'imposer à travers des livres et des films, écrits et réalisés à son sujet, afin de témoigner de cette vie bien remplie, qui s'achève à Paris, en 1986, à 90 ans. Longtemps encore après sa disparition, Mary Lindell reste une des figures, en Grande-Bretagne, de la lutte civile contre la barbarie nazie.
Mais, en 2014, une journaliste française, Marie-Laure Le Foulon, qui s'intéresse au personnage, commence à rassembler des témoignages qui ne vont pas tout à fait dans ce sens. D'anciens résistants ayant côtoyé Mary Lindell sous l'Occupation ne sont pas aussi louangeurs envers la Comtesse et estiment qu'elle a beaucoup exagéré son rôle dans la résistance.
Commence alors une enquête pour en savoir plus, qui va aboutir à la rédaction de "Lady Mensonges", car les recherches de Marie-Laure Le Foulon vont montrer que ses exagérations n'ont pas uniquement concerné la période du réseau "Marie-Claire", mais que bien des éléments biographiques et familiaux la concernant ont été maquillés pour en faire une icone...
Plus grave, ce qui apparaît sous le fard et sous l'opération de communication savamment orchestrée par Mary Lindell elle-même dans les années qui ont suivi la guerre, est nettement moins reluisant et pourrait laisser penser que non seulement Mary Lindell n'a pas été la grande résistante qu'elle prétendait être mais que sa famille et elle-même auraient pu jouer des rôles bien différents...
Avant de donner certains exemples, mais évidemment, sans tout vous raconter, une petite précision : j'ai parlé d'anti-biographie, parce que Marie-Laure Le Foulon enrobe son enquête dans des descriptions contextuelles et historiques intéressantes, comme la partie sur la vie des infirmières sur le front en 14-18 et, évidemment, tout ce qui tourne autour de la IIe Guerre Mondiale.
La difficulté, c'est évidemment de trouver des éléments concrets pour étayer la théorie. Les années ont passé, les témoins sont âgés et moins nombreux, les documents difficiles à ressortir des cartons, etc. En fait, les seules biographies existantes de Mary Lindell sont des autobiographies, instaurant le personnage qu'a voulu montrer Mary Lindell.
Alors, ne vous attendez pas, en ouvrant le livre de Marie-Laure Le Foulo, à lire une biographie pleine et entière, de sa naissance à sa mort de Mary Lindell. La vérité a sans doute été enterrée avec elle il y a une trentaine d'années... Ce qu'il reste, ce sont surtout des présomptions, des impressions, des éléments discordants. Et des récits autobiographiques qui confinent parfois au grotesque et à l'incroyable.
Dès son titre, on s'en doute, "Lady Mensonges"se présente comme un livre à charge. Marie-Laure Le Foulon ne ménage pas Mary Lindell tout au long de son livre, mais cherche aussi à comprendre la démarche, à démêler le vrai du faux, mais aussi le vrai de l'exagérément vrai. Une enquête dont le but est aussi de cerner ce que Mary Lindell a pu rechercher dans l'embellissement de son autobiographie.
Au final, elle nous offre un portrait extrêmement différent de Mary Lindell de celui que l'on pouvait connaître jusque-là. Une biographie incomplète, on l'a dit, mais surtout, pour la première fois, non-autorisée. Une enquête qui s'élargit à toute la famille de Mary Lindell, et ce n'est guère plus reluisant... Enfin, elle essaye de répondre à cette impossible question : mais qui était donc Mary Lindell ?
Je reste assez prudent, car il ne faudrait pas basculer dans l'exagération inverse, alors qu'on dispose de peu d'éléments. C'est une chose de montrer que ce que raconte Mary Lindell, que les titres de gloire qu'elle s'attribue sont loin d'être aussi glorieux qu'elle le dit, c'en est une autre de porter des accusations qui ne sont pas démontrées solidement.
Pour être clair : il semble évident à la fin de "Lady Mensonges" que "Marie-Claire" n'a pas été un réseau aussi efficace que Mary Lindell a bien voulu le dire, qu'elle a exagéré l'importance que lui prêtaient les nazis et qu'elle a été une héroïne sans peur et sans reproche. Mais, et malgré les doutes qui pèsent sur son époux (qui ne l'était pas vraiment) et ses enfants, il me semble que les preuves sont insuffisantes pour envisager qu'elle ait pu être une agent double au service des nazis.
A vous de juger, en fonction du matériel que met à votre disposition Marie-Laure Le Foulon. Ce qui frappe, c'est le décalage entre ce que Mary Lindell raconte publiquement et ce que découvre la journaliste, à différents niveaux. D'abord, les témoignages des résistants survivants, tous nonagénaires ou presque, mais qui gardent un souvenir acide de Mary Lindell.
Un souvenir qui se teinte un peu plus d'amertume quand Anise Postel-Vinay, elle aussi résistante et déportée, découvre les documentaires consacrés à Mary Lindell (dans lesquels elle se met habilement en scène) ou quand elle lit des passages de la biographie autorisée rédigée par Barry Wynne, intitulée "No drums, no trumpets".
De même, la colère de certains résistants charentais, qui n'ont toujours pas digéré son passage à Ruffex, 70 après, et encore moins, sa visite peu discrète dans la ville, lors de l'inauguration d'une plaque commémorative, ne peut être feinte. Mary Lindell, dans ce coin de France, n'est pas une héroïne...
Petite digression, il se trouve que nous avons évoqué cette histoire-là, dans laquelle Mary Lindell et son réseau étaient impliqués : l'opération Frankton, dont on se souvient pour ses cockleshell heroes, ses héros à la coque de noix. Je me souvient très bien de ce livre (qui n'est pas un roman) auquel j'ai consacré un billet et d'y avoir croisé la résistante anglaise... Mais, pour Marie-Laure le Foulon, son rôle est bien moindre que ce qui a été retenu par la suite...
Malgré le temps qui passe, il semble bien que la grande majorité des résistants français encore en vie garde une dent contre Mary Lindell, surtout ceux et celles qui l'ont connue, mais aussi, qu'ils ne la considèrent pas du tout comme une des leurs. Aussi troublants soient-ils, ces témoignages, directs ou indirects, restent soumis aux sentiments humains.
Pourtant, ces impressions sont renforcées par une certain nombre de documents redécouverts par Marie-Laure Le Foulon, rédigés ou signés après la guerre. Là encore, un matériau incomplet (et c'est vraiment dommage pour certaines pièces qui éveillent la curiosité), qui ne permet pas d'avoir de certitudes absolues.
Mais, des deux côtés de la Manche, ces papiers officiels, ces correspondances, ces échanges montrent que Mary Lindell et son fils aîné Maurice ont eu bien du mal à faire reconnaître officiellement leur statut de résistants et de victimes du nazisme... Décorations demandées, refusées ou reçues puis retirées, demandes d'indemnisations refusées, alors qu'elles ont été distribuées avec largesse à cette époque...
Manifestement, ni en France, ni en Angleterre, on a donné de crédit à la Comtesse, et l'impression qui résulte des commentaires peu amènes retrouvés laissent même penser qu'on les prenaient déjà pour des affabulateurs voire des escrocs. Ou en raison d'un proximité jugée un peu trop forte avec l'occupant... Là encore, on retrouve cette idée, qui vise plus ses enfants qu'elle-même...
Mais alors, pourquoi ? Mon prochain billet sera consacré au livre de Javier Cercas, "l'Imposteur", paru à l'automne dernier, qui se penche sur le cas d'un Espagnol ayant, lui aussi, embelli la première partie de sa vie pour se faire passer pour un antifranquiste et un ancien des camps nazis... Avec le sentiment que cet homme a voulu réécrire sa vie parce qu'il la jugeait trop commune, trop médiocre.
Je n'ai pas eu du tout ce sentiment avec Mary Lindell et Marie-Laure Le Foulon non plus. Narcissique, c'est certain, la manière dont elle a fabriqué et promu son image après la guerre ne laisse aucun doute. Mais, si Enric Marco, l'imposteur catalan, a un côté assez sympathique, malgré ses mensonges, on ressort de "Lady Mensonges" avec une image atroce et très négative de Mary Lindell.
Son anti-biographe va jusqu'à la qualifier de psychopathe, là encore, il me semble que c'est aller un peu vite en besogne. Mais, il est vrai que l'ego de Mary Lindell apparaît gigantesque. Et, là, c'est un sentiment personnel que j'exprime, j'ai été mis très mal à l'aise par l'impression qu'elle y recherchait non seulement une espèce de pouvoir, au-delà de la notoriété, mais aussi de l'argent...
A la différence de résistants que j'ai pu rencontrer, il n'y a absolument aucune trace de modestie chez Mary Lindell. Au contraire, plus elle peut se mettre en avant, plus elle le fait. Non contente de se donner un beau rôle même dans les pires situations, elle ne semble chercher que son propre profit lorsqu'elle évoque son passé de résistante...
Il faut le dire, l'enquête de Marie-Laure Le Foulon a fait grand bruit en Angleterre, peut-être même plus qu'en France, lorsque le livre est sorti au printemps 2015. Il faut dire que Mary Lindell n'a pas la même notoriété des deux côtés de la Manche. Alors, s'il ne faut pas forcément tirer de conclusions trop nettes, il faut bien dire que les révélations de "Lady Mensonges" ont été prises très au sérieux en Angleterre.
Un signe ? La fiche Wikipedia, reprenant le discours officiel "made in Lindell", a depuis été modifiée, aussi bien dans sa version française que dans sa version anglaise, et un article reprenant les thèses développées dans "Lady Mensonges" y a été ajouté. Bien sûr, tout dépend du contributeur, mais c'était déjà le cas avant la sortie du livre...
Mary Lindell n'a pas été de son vivant une héroïne très discrète, pour paraphraser le titre du roman de Jean-François Deniau, adapté par Jacques Audiard au cinéma. Au contraire, elle a tout fait pour "sculpter sa propre statut", comme le titrait le JDD, en introduction d'une interview de Marie-Laure Le Foulon, à l'occasion de la sortie du livre.
Une statue patiemment déboulonnée par Marie-Laure Le Foulon, des décennies après les faits. Qu'on soit en phase avec sa démonstration ou qu'on y mette certains bémols comme je l'ai fait (attention, je ne dit pas que je ne suis pas convaincu ou que je suis en désaccord, juste que les preuves me paraissent insuffisantes), on a en main une histoire passionnante et des personnages qui feraient de formidables personnages de romans, ambigus à souhait et auréolés de mystère.
A défaut d'héroïsme.
Connaissez-vous Mary Lindell ? Née en 1895, cette Anglaise grandit dans un milieu aisé avant de suivre la voie tracée par Florence Nightingale, lorsque la Première Guerre Mondiale éclate. Cette expérience comme infirmière sur le front lui vaut la Croix de Guerre et d'autres décorations, ainsi qu'une certaine considération.
Peu après la fin de la guerre, elle épouse un aristocrate française, le comte de Milleville, avec qui elle aura trois enfants, Maurice, Octave, dit Oky, et Ghita. La voilà installée de ce côté-ci de la Manche avec sa famille, jusqu'à ce que la Deuxième Guerre Mondiale se déclenche. On connaît l'issue de cette drôle de guerre, l'envahissement du pays, la coupure entre zone occupée et zone non-occupée, l'exode, la traque des juifs, la résistance, etc.
Mary Lindell devient très tôt une résistance, en liaison avec Londres. Elle est chargée d'organiser un réseau permettant à des personnes fuyant la zone occupée, de franchir la ligne de démarcation, mais surtout, de récupérer des soldats britanniques, parachutés ou abattus lors d'un vol au-dessus de la France, pour leur permettre, via l'Espagne, de regagner le nid.
Sous le pseudonyme de Marie-Claire, qu'elle donnera à son réseau, ou encore sous le titre de Comtesse de Moncy, elle a lutté contre les nazis sur le sol français, au péril de sa vie. Emprisonnée une première fois au début de la guerre, du côté de Fresnes, elle est condamnée à mort, arrêtée et déportée à Ravesbruck, dont elle reviendra à la libération de ce sinistre camp.
Sa famille aussi, engagée à ses côtés, a payé cher cette lutte contre le totalitarisme nazi. Son fils aîné, Maurice, emprisonné à son tour à Lyon, connaît les geôles du boucher Klaus Barbie et est torturé. Oky, lui, ne rentrera pas de déportation... Après la guerre, Mary Lindell sera reconnue en Angleterre comme une figure de cette résistance.
Une image qui va aussi s'imposer à travers des livres et des films, écrits et réalisés à son sujet, afin de témoigner de cette vie bien remplie, qui s'achève à Paris, en 1986, à 90 ans. Longtemps encore après sa disparition, Mary Lindell reste une des figures, en Grande-Bretagne, de la lutte civile contre la barbarie nazie.
Mais, en 2014, une journaliste française, Marie-Laure Le Foulon, qui s'intéresse au personnage, commence à rassembler des témoignages qui ne vont pas tout à fait dans ce sens. D'anciens résistants ayant côtoyé Mary Lindell sous l'Occupation ne sont pas aussi louangeurs envers la Comtesse et estiment qu'elle a beaucoup exagéré son rôle dans la résistance.
Commence alors une enquête pour en savoir plus, qui va aboutir à la rédaction de "Lady Mensonges", car les recherches de Marie-Laure Le Foulon vont montrer que ses exagérations n'ont pas uniquement concerné la période du réseau "Marie-Claire", mais que bien des éléments biographiques et familiaux la concernant ont été maquillés pour en faire une icone...
Plus grave, ce qui apparaît sous le fard et sous l'opération de communication savamment orchestrée par Mary Lindell elle-même dans les années qui ont suivi la guerre, est nettement moins reluisant et pourrait laisser penser que non seulement Mary Lindell n'a pas été la grande résistante qu'elle prétendait être mais que sa famille et elle-même auraient pu jouer des rôles bien différents...
Avant de donner certains exemples, mais évidemment, sans tout vous raconter, une petite précision : j'ai parlé d'anti-biographie, parce que Marie-Laure Le Foulon enrobe son enquête dans des descriptions contextuelles et historiques intéressantes, comme la partie sur la vie des infirmières sur le front en 14-18 et, évidemment, tout ce qui tourne autour de la IIe Guerre Mondiale.
La difficulté, c'est évidemment de trouver des éléments concrets pour étayer la théorie. Les années ont passé, les témoins sont âgés et moins nombreux, les documents difficiles à ressortir des cartons, etc. En fait, les seules biographies existantes de Mary Lindell sont des autobiographies, instaurant le personnage qu'a voulu montrer Mary Lindell.
Alors, ne vous attendez pas, en ouvrant le livre de Marie-Laure Le Foulo, à lire une biographie pleine et entière, de sa naissance à sa mort de Mary Lindell. La vérité a sans doute été enterrée avec elle il y a une trentaine d'années... Ce qu'il reste, ce sont surtout des présomptions, des impressions, des éléments discordants. Et des récits autobiographiques qui confinent parfois au grotesque et à l'incroyable.
Dès son titre, on s'en doute, "Lady Mensonges"se présente comme un livre à charge. Marie-Laure Le Foulon ne ménage pas Mary Lindell tout au long de son livre, mais cherche aussi à comprendre la démarche, à démêler le vrai du faux, mais aussi le vrai de l'exagérément vrai. Une enquête dont le but est aussi de cerner ce que Mary Lindell a pu rechercher dans l'embellissement de son autobiographie.
Au final, elle nous offre un portrait extrêmement différent de Mary Lindell de celui que l'on pouvait connaître jusque-là. Une biographie incomplète, on l'a dit, mais surtout, pour la première fois, non-autorisée. Une enquête qui s'élargit à toute la famille de Mary Lindell, et ce n'est guère plus reluisant... Enfin, elle essaye de répondre à cette impossible question : mais qui était donc Mary Lindell ?
Je reste assez prudent, car il ne faudrait pas basculer dans l'exagération inverse, alors qu'on dispose de peu d'éléments. C'est une chose de montrer que ce que raconte Mary Lindell, que les titres de gloire qu'elle s'attribue sont loin d'être aussi glorieux qu'elle le dit, c'en est une autre de porter des accusations qui ne sont pas démontrées solidement.
Pour être clair : il semble évident à la fin de "Lady Mensonges" que "Marie-Claire" n'a pas été un réseau aussi efficace que Mary Lindell a bien voulu le dire, qu'elle a exagéré l'importance que lui prêtaient les nazis et qu'elle a été une héroïne sans peur et sans reproche. Mais, et malgré les doutes qui pèsent sur son époux (qui ne l'était pas vraiment) et ses enfants, il me semble que les preuves sont insuffisantes pour envisager qu'elle ait pu être une agent double au service des nazis.
A vous de juger, en fonction du matériel que met à votre disposition Marie-Laure Le Foulon. Ce qui frappe, c'est le décalage entre ce que Mary Lindell raconte publiquement et ce que découvre la journaliste, à différents niveaux. D'abord, les témoignages des résistants survivants, tous nonagénaires ou presque, mais qui gardent un souvenir acide de Mary Lindell.
Un souvenir qui se teinte un peu plus d'amertume quand Anise Postel-Vinay, elle aussi résistante et déportée, découvre les documentaires consacrés à Mary Lindell (dans lesquels elle se met habilement en scène) ou quand elle lit des passages de la biographie autorisée rédigée par Barry Wynne, intitulée "No drums, no trumpets".
De même, la colère de certains résistants charentais, qui n'ont toujours pas digéré son passage à Ruffex, 70 après, et encore moins, sa visite peu discrète dans la ville, lors de l'inauguration d'une plaque commémorative, ne peut être feinte. Mary Lindell, dans ce coin de France, n'est pas une héroïne...
Petite digression, il se trouve que nous avons évoqué cette histoire-là, dans laquelle Mary Lindell et son réseau étaient impliqués : l'opération Frankton, dont on se souvient pour ses cockleshell heroes, ses héros à la coque de noix. Je me souvient très bien de ce livre (qui n'est pas un roman) auquel j'ai consacré un billet et d'y avoir croisé la résistante anglaise... Mais, pour Marie-Laure le Foulon, son rôle est bien moindre que ce qui a été retenu par la suite...
Malgré le temps qui passe, il semble bien que la grande majorité des résistants français encore en vie garde une dent contre Mary Lindell, surtout ceux et celles qui l'ont connue, mais aussi, qu'ils ne la considèrent pas du tout comme une des leurs. Aussi troublants soient-ils, ces témoignages, directs ou indirects, restent soumis aux sentiments humains.
Pourtant, ces impressions sont renforcées par une certain nombre de documents redécouverts par Marie-Laure Le Foulon, rédigés ou signés après la guerre. Là encore, un matériau incomplet (et c'est vraiment dommage pour certaines pièces qui éveillent la curiosité), qui ne permet pas d'avoir de certitudes absolues.
Mais, des deux côtés de la Manche, ces papiers officiels, ces correspondances, ces échanges montrent que Mary Lindell et son fils aîné Maurice ont eu bien du mal à faire reconnaître officiellement leur statut de résistants et de victimes du nazisme... Décorations demandées, refusées ou reçues puis retirées, demandes d'indemnisations refusées, alors qu'elles ont été distribuées avec largesse à cette époque...
Manifestement, ni en France, ni en Angleterre, on a donné de crédit à la Comtesse, et l'impression qui résulte des commentaires peu amènes retrouvés laissent même penser qu'on les prenaient déjà pour des affabulateurs voire des escrocs. Ou en raison d'un proximité jugée un peu trop forte avec l'occupant... Là encore, on retrouve cette idée, qui vise plus ses enfants qu'elle-même...
Mais alors, pourquoi ? Mon prochain billet sera consacré au livre de Javier Cercas, "l'Imposteur", paru à l'automne dernier, qui se penche sur le cas d'un Espagnol ayant, lui aussi, embelli la première partie de sa vie pour se faire passer pour un antifranquiste et un ancien des camps nazis... Avec le sentiment que cet homme a voulu réécrire sa vie parce qu'il la jugeait trop commune, trop médiocre.
Je n'ai pas eu du tout ce sentiment avec Mary Lindell et Marie-Laure Le Foulon non plus. Narcissique, c'est certain, la manière dont elle a fabriqué et promu son image après la guerre ne laisse aucun doute. Mais, si Enric Marco, l'imposteur catalan, a un côté assez sympathique, malgré ses mensonges, on ressort de "Lady Mensonges" avec une image atroce et très négative de Mary Lindell.
Son anti-biographe va jusqu'à la qualifier de psychopathe, là encore, il me semble que c'est aller un peu vite en besogne. Mais, il est vrai que l'ego de Mary Lindell apparaît gigantesque. Et, là, c'est un sentiment personnel que j'exprime, j'ai été mis très mal à l'aise par l'impression qu'elle y recherchait non seulement une espèce de pouvoir, au-delà de la notoriété, mais aussi de l'argent...
A la différence de résistants que j'ai pu rencontrer, il n'y a absolument aucune trace de modestie chez Mary Lindell. Au contraire, plus elle peut se mettre en avant, plus elle le fait. Non contente de se donner un beau rôle même dans les pires situations, elle ne semble chercher que son propre profit lorsqu'elle évoque son passé de résistante...
Il faut le dire, l'enquête de Marie-Laure Le Foulon a fait grand bruit en Angleterre, peut-être même plus qu'en France, lorsque le livre est sorti au printemps 2015. Il faut dire que Mary Lindell n'a pas la même notoriété des deux côtés de la Manche. Alors, s'il ne faut pas forcément tirer de conclusions trop nettes, il faut bien dire que les révélations de "Lady Mensonges" ont été prises très au sérieux en Angleterre.
Un signe ? La fiche Wikipedia, reprenant le discours officiel "made in Lindell", a depuis été modifiée, aussi bien dans sa version française que dans sa version anglaise, et un article reprenant les thèses développées dans "Lady Mensonges" y a été ajouté. Bien sûr, tout dépend du contributeur, mais c'était déjà le cas avant la sortie du livre...
Mary Lindell n'a pas été de son vivant une héroïne très discrète, pour paraphraser le titre du roman de Jean-François Deniau, adapté par Jacques Audiard au cinéma. Au contraire, elle a tout fait pour "sculpter sa propre statut", comme le titrait le JDD, en introduction d'une interview de Marie-Laure Le Foulon, à l'occasion de la sortie du livre.
Une statue patiemment déboulonnée par Marie-Laure Le Foulon, des décennies après les faits. Qu'on soit en phase avec sa démonstration ou qu'on y mette certains bémols comme je l'ai fait (attention, je ne dit pas que je ne suis pas convaincu ou que je suis en désaccord, juste que les preuves me paraissent insuffisantes), on a en main une histoire passionnante et des personnages qui feraient de formidables personnages de romans, ambigus à souhait et auréolés de mystère.
A défaut d'héroïsme.