Au début, tu ne sauras pas. Le corps comme un boulet. Pas autonome. La coordination. Les gestes. L’équilibre fragile.
Au début, tu apprendras à respirer. À ne pas respirer. À retenir. À doser. Ton souffle. Ton corps. Ton cœur. Tu es au bord et tu as peur. On te comprend. Nous aussi, passés par là, pas le choix, tu sais. La fluidité de ce monde t’effraie et t’hypnotise. Tu devines ses monstres. Tu devines son abyssal mystère et ses courants trop froids. Tu espères, peut-être, des chimères aux écailles miroir et aux cheveux liquides.
Il y aura du Beau. Il y aura des déchets : l’Eden aseptisé deviendra souvenir — ou oubli.
Tes yeux. Tes yeux, surtout, au début seront clos car le chlore du monde brûlera tes paupières. Ils écloront, timides, mus par la soif et l’envie de connaître, voire même de comprendre.
Petit, tu resteras en surface, la belle surface des choses, soutenue on l’espère par des proches comme des bouées. Ta peau appréciera les caresses légères. Tu riras aux éclats en barbotant. Tu seras la joie.
Il faudra bien un jour te défaire des bouées. Prendre le risque, ne compter que sur toi, ton corps, tes yeux, ta force.
Tu plongeras. Ligne de flottaison pareille à l’horizon. Du mal à respirer. Tout ce bleu. Ce beau liquide voudra te dévorer. Des milliers, des milliards d’autres corps à tes côtés. Dessous, dessus, partout : certains te doubleront, t’écorcheront avec leurs ongles sans jamais s’excuser, ne t’en étonne pas. Tu trouveras ça immonde avant de t’habituer, d’apprivoiser la fourberie des eaux.
Alors tu avanceras. Les bras les jambes le cœur. Tu trouveras un bonheur à bouger de la sorte, même en buvant la tasse.
Tes larmes couleront à ta place. Tu nageras.
Un saut dans le grand bain.
Un grand saut dans la vie.
Dans la piscine monde.
Notice biographique
Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan. Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes. Récemment, elle a publié Débandade (roman) aux Éditions Philippe Rey.