Vous vous trouvez actuellement dans une saga en 3 volumes sur la dystopie. Veuillez consulter le plan :
- La dystopie : Les origines (C'est le passage pas forcément intéressant mais nécessaire aux développements suivants, un peu comme la présentation des personnages dans un roman, v'voyez)
- La dystopie jeunesse aujourd'hui 1. Un phénomène culturel (Je t'assure, c'est la folie, ils ne parlent que de ça à Charleville !)
- La dystopie jeunesse aujourd'huiI 2. Qu'est-ce que c'est, et pourquoi ça marche ? (Ici, nous pratiquons la dissection sans diplôme de médecine.)
- La dystopie jeunesse aujourd'hui 3. La stratégie éditoriale (C'est là que les Athéniens s'atteignirent. Je joue au grand gourou mais, la vérité, je ne vois pas plus loin que mes cils)
Vous êtes donc ici :
Mon but avoué est de vous démontrer, au cas où, que la dystopie en littérature jeunesse est rageusement à la mode, et même plus que ça.
1/ Des lecteurs (de plus en plus) nombreux a/ Les ventesJe vais prendre un exemple parlant. Tout à fait au hasard :
- Les ventes d'Hunger Games.
- Aux US, Hunger Games a d'abord été imprimé, en 2008, à 50 000 exemplaires, puis boosté deux fois à 200 000. En 2010 le livre s'était vendu à 800 000 exemplaires. Il est resté 135 semaines (plus de 2 ans) sur la liste du NYT Best Seller. Suzanne Collins est le 1er auteur jeunesse à vendre plus d'1 million d'ebooks (via Amazon), elle a pris la 1ère place du classement d'auteurs best-sellers sur Kindle en 2012.
- En France en 2012 au moment du lancement du film, les ventes d'Hunger Games totalisaient 440 000 exemplaires, un succès de librairie relancé par l'adaptation cinématographique qui l'a propulsé à la 2e place du classement de meilleures ventes de livres tous genres confondus.
À titre de comparaison...
- Hunger Games totalisait (en 2012), 16 millions de ventes ;
- Twilight 84 millions ;
- et Harry Potter 400 millions.
Les best-sellers ne jouent pas tous dans la même catégorie. (Et, pourtant, comme on l'a vu, HG est un énorme succès de librairie et arrivait presque partout en tête des ventes).
Aujourd'hui, à cette place de choix, on a la trilogie (augmentée d'une préquelle, because why not ?) L'épreuve (Plus connue sous le nom Le Labyrinthe). Les chiffres sont dans le même ordre d'idée, mais je préfère ne pas trop en parler, parce que je n'en pense pas que du bien. (Raison pour laquelle tout au long de mon analyse, je reste sur Hunger Games, étendard de la dystopie moderne.)
Mais pour ce qui est des chiffres, regardez quand même de plus près :En 2014, les meilleures ventes du rayon jeunesse comptaient, dans leur Top 10, pas moins de cinq titres issus de sagas dystopiques, et en bonne place, s'il vous plaît :
- Nos étoiles contraires, de John Green
- Divergente 1, de Veronica Roth
- Divergente 2, de Veronica Roth
- Divergente 3, de Veronica Roth
- L'épreuve 1. Le Labyrinthe, de James Dashner
- Un livre pratique dédié à la mode des bracelets en élastiques, Rainbow Loom
- Un Violetta dans la Bibliothèque Rose (qui s'appelle peut-être " Violetta ou les larmes amères du libraire ", je ne suis plus sûre du titre)
- L'épreuve 2. La Terre Brûlée, de James Dashner
- Vendredi ou la vie sauvage, de Michel Tournier (joli classique qui se retrouve ici surtout grâce à la prescription scolaire)
- Un autre Violetta dans la Bibliothèque Rose (qui s'appelle peut-être " Violetta ou la triste fin du petit auteur-huitre ", mais je crois que j'écorche le titre)
(Chiffres GFK 2015 sur l'année 2014)
En 2015, le même Top 10, que nous ne connaissons pas encore, comptait à vue de nez les 3 tomes de la trilogie de James Dashner. J'en mettrais ma main à couper, et tous les libraires de France et de Navarre devraient vous le confirmer : les trois tomes étaient là toute l'année, ils n'ont pas bougé de leur podium, tels d'indéboulonnables Staline aux joues bienveillantes, ne laissant grimper personne.
Qu'est-ce que ça veut dire, que d'année en année, les meilleures ventes soient colonisées par des dystopies ? que c'est un sacré phénomène de librairie, voilà ce que ça veut dire.
b/ La multiplication des référencesOn pourrait se dire que le fait que deux ou trois sagas se vendent bien ne signifie pas que c'est un phénomène de genre particulièrement représentatif. Mais le plus impressionnant, ce ne sont pas les chiffres de ventes, mais bien la multiplication des références. Depuis Hunger Games, on assiste à une grrrraaaande vague, belle et terrible comme un tsunami.
L'écriture des dystopies modernes n'apparaît pas avec Hunger Games, of course ! Mais, comme pour Twilight pour les vampires ou Harry Potter pour les sorciers avant, c'est le roman à succès qui (re)lance un engouement pour ce genre. Depuis 2008, la communauté Goodreads a vu le nombre de ses titres classés " dystopie " pour " jeunes adultes " exploser : plus de 42 000 titres correspondent à cette recherche. Quand j'ai fait la même recherche l'an dernier (début 2015), je trouvais 1 400 titres. En un an, le nombre a été multiplié par...?
En 2008, les seuls titres " visibles " dans ce genre étaient Hunger Games, Uglies (2005) et Le Passeur (1993), mais très vite " il y a eu tout un flot littéraire (...) dans ce genre là ", " qui est venu surtout des pays anglosaxons ". (N. Derevitsky, directrice Pocket Jeunesse).
2/ Un phénomène de masseParlons d'un truc tout à fait propre à notre temps, et qui m'impressionne : l'influence des adaptations cinématographiques. C'est ce qu'on appelle le t ransmedia, que Dystopienne développe davantage ICI.
Par l'adaptation cinématographique, on a :- Agrégation d'une nouvelle base de fans
Avant la sortie du film, on avait déjà une communauté de fans de Hunger Games sur les réseaux sociaux ( Tumblr, notamment), mais elle s'est réellement développée pendant la période de sortie des films. Je parle de fanarts, de fanfictions, et de toutes les activités de relai informatif et de création qui alimentent les sites et blogs de fans.
- Influence culturelle étendue aux non-lecteurs
Sans présumer de la force véritable d'un tel signe, son utilisation contribue à montrer le phénomène culturel mondial qu'est Hunger Games, notamment pour les non-lecteurs. M'étonnerait que tous les manifestants thaïlandais aient lu la trilogie, mais les films ont permis à l'univers de Suzanne Collins de s'insinuer jusque dans une manifestation à caractère politique. Dingue, non ?
- Des films qui dopent les ventes des livres
Ça, ça, c'est LE truc qui rend fébrile les éditeurs. Parce que c'est juste hallucinant. Bien sûr, ce n'est pas une surprise : une affiche de cinéma est une publicité facile et terriblement efficace pour le livre adapté. Ce qui est vertigineux, c'est que les livres classés dans le top des ventes jeunesse 2015 sont tous des livres adaptés au cinéma dans l'année (ou, dans le cas de Violetta, issus de la télé). Il semble qu'il ne soit plus possible, actuellement, de faire un succès de librairie (j'entends, une percée dans les meilleures ventes) sans un film.
Ce n'était pas le cas il y a 15 ans. Le Livre des Étoiles, Harry Potter, Artemis Fowl, L'Épée de Vérité, Ewilan, etc., tous ces titres se sont classés dans les meilleures ventes sans (ou avant) le support d'un film.
Pourquoi cela rendrait-il fébriles les éditeurs, me direz-vous ? Au contraire, ils doivent se réjouir, non ? Hé bien, quand l'un de leurs titres est adapté, oui : champagne.
Mais, comment prévoir, lorsque l'on achète ou refuse un titre étranger, s'il va être, ou non, adapté ? (Car, ne nous mentons pas, les adaptations à gros budgets concernent presque uniquement des romans anglophones) Il y a parfois des rumeurs, des fuites, des intuitions, mais la plupart du temps... Les éditeurs en sont réduits à un bel exercice de devinette astrale.
Ce qui n'est peut-être pas plus mal car, ainsi, ils conservent leur qualité de juges du fond (#le réveil de la juriste).
Fin de la partie 1/3Vous ai-je bien brossé le tableau du phénomène culturel dystopique ? Êtes-vous prêts à ce que je vous explique tout bien la recette de la dystopie, les ingrédients et la cuisson ? Si oui, rendez-vous demain pour le prochain épisode, La dystopie jeunesse aujourd'hui 2. Qu'est-ce que c'est, et pourquoi ça marche ?