Plus doux que la solitude, Yiyun Li

Par Sara
Publié en août 2015, Plus doux que la solitude avait un synopsis intriguant : il était question de la révolte de la place Tien'anmen, d'émigration aux Etats-Unis, et d'un accident terrible.
J'ai pensé à tous les romans que ces thèmes invoquaient, depuis ceux de Ma Jian jusqu'au singulier Certaines n'avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka ou Taro, un vrai roman de Minae Mizumura, et j'ai eu soudain très envie d'un voyage de part et d'autre de l'Océan Pacifique.

Le synopsis
Ruyu est une enfant étrange et solitaire, lorsqu'elle est recueillie par tante Lan et sa famille.
Elle fait la connaissance de leur fille Shaoai, révoltée et idéaliste, de Moran, à l'intelligence vive, et de Boyang, qui nourrit bientôt à son égard des sentiments qui le trahissent.
Mais l'intégration de Ruyu n'est pas aisée, du fait de son caractère singulier, impassible et parfois dur, dans une Chine agitée par les manifestations étudiantes de 1989.
Un accident suspect va venir bouleverser l'existence des protagonistes de cette fresque.
Mon avis
A présent que vous avez un petit aperçu du tableau, rentrons dans le vif du sujet : le roman m'a laissée un peu partagée.
Il y a deux points qui ont fait de cette lecture un moment intéressant : le contexte, bien sûr. La Chine des années 1990 (qui sert de toile de fond à la majeure partie de l'intrigue) est un contexte qui ne manque pas de piment, disons. J'avais déjà exploré le sujet à travers le Beijing Coma de mon idole Ma Jian, et à cet égard, j'avais à l'esprit dès le départ ce point de comparaison qui serait défavorable à 99% des livres, étant donné le succès qu'a été cette découverte. Néanmoins, la période m'intéresse, si bien que le contexte jouait plutôt, au final, au bénéfice du bouquin.
Deuxième point : le personnage de Ruju, bien entendu, s'éloigne de tous les protagonistes un peu fades et conformistes dont la littérature moderne regorge, coucou Guillaume et Marc. Ruju exerce, malgré elle, une fascination sur son entourage, et cette fascination est assez bien décrite : il ne s'agit pas d'être impressionné par Ruju, Moran est par exemple dépeinte comme plus intelligente, et Shaoai est plus vibrante, mais Ruju est à la fois solitaire et impassible : traversant des événements qui sortent de l'ordinaire et qui devraient l'affecter (après avoir été élevée en quelque sorte à l'écart du monde par ses deux tantes très croyantes, elle est envoyée dans une famille et une ville qu'elle ne connaît pas), elle fait bonne figure, ou, en tout cas, ne laisse transparaître, ce qui laisse par exemple Shaoai interloquée, au point de tâcher de la pousser dans ses retranchements, et de la brusquer parfois.
On ne sait jamais trop ce que pense Ruju, peut-être ne pense-t-elle rien du tout? Mais lorsque certaines de ses pensées se dévoilent, elles font parfois un peu froid dans le dos.
Ruju est, d'une certaine manière, aussi lunaire que Shaoai est solaire, vivante, révoltée. Le duo fonctionne bien, et, finalement, les personnages de Moran et Boyang m'ont donné l'impression d'être là pour faire du lien entre elles, surtout.
Cependant, en dépit de ces qualités, l'intrigue m'a parfois semblé un peu "molle", et a peiné à me captiver du début à la fin (ou même du début au milieu...).
Je n'ai donc été qu'à moitié convaincue par ce roman, sans doute du fait de l'ombre tutélaire de Ma Jian qui a su décrire, à mon sens, la période mieux qu'aucun autre.
Pour vous si...
  • L'idée d'un roman qui combine l'histoire de la Chine moderne et un mystère vous interpelle
  • Vous en avez assez de ces romans dont les protagonistes sont toujours de gentils mièvres innocents aux intentions résolument pures et altruistes - est-ce que c'est à cela que ça ressemble, la vie??

Morceaux choisis
"Et si vous viviez dans un sous-sol avec trois autres garçons venus de province et n'aviez pas un sou de côté? Si vous travailliez six jours et demi par semaine en sachant que jamais vous n'aurez les moyens d'acheter un appartement, même bas de gamme, dans cette ville? Si vous n'aviez rien d'autre à offrir que vous-même et ne pouviez rien faire d'autre qu'être vous? Feriez-vous quand même la cour à une fille?
Non, se dit-il ; ce monde n'est pas propice aux jeunes gens sans moyens."
"_Quand j'étais petite, je n'avais jamais imaginé que le monde où je vivrais plus tard ressemblerait à ça, vous savez.
Elle n'était pas la première à faire ce constat. En quoi différait-elle des autres âmes désenchantées? Tous les jeunes commençaient leur vie avec une cargaison de rêves intacts, mais combien conserveraient la capacité de rêver? Combien pourraient s'empêcher de détruire les rêves des autres? Nous sommes tous des geôliers et des bourreaux attendant leur heure ; ce que l'on nous a pris, ce que l'on a tué en nous, nous nous en vengerons, notre tour venu."
Note finale2/5(pas mal)