Ceux qui disent que c’est la beauté intérieure qui compte ont dû louper le cours de SVT où on disséquait une grenouille. Parce qu’un cœur, même quand il bat encore, c’est franchement aussi ragoûtant que toutes les trouvailles qu’on fait en nettoyant le siphon de la baignoire. La beauté intérieure, c’est surtout une excuse que se sont trouvés tous ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir une gueule photoshopée à la naissance, et sont trop paresseux pour prendre le burin, pour tailler la chair et se façonner un corps dans le moule de ces ambitions qu’ils ont laissées sous le canapé.
Le miroir de ma salle de bain ne m’a jamais fait les yeux doux en m’assurant que j’étais la plus belle, et dans la rue personne ne s’est jamais retourné sur mon cul ; alors, la beauté intérieure, j’avoue, longtemps j’en ai fait ma religion pour pouvoir avoir ma place dans les pages de ce monde dont les yeux ne voient et les oreilles n’entendent jamais que ce qui brille le long de ses ruelles sombres. J’ai passé des heures à transpirer dans les salles d’il faudrait, à enchaîner les exercices de gentillesse pour faire fondre ma colère de patience et d’indulgence ; pour affiner ma sensibilité, j’ai musclé mon imagination et gainé mon esprit critique ; je me suis épuisée, nuit et jour, à faire la poussière, astiquer le parquet, briquer les carreaux et nettoyer le siphon de cette douche qu’on aurait dit qu’une bande de mâles, dont le torse velu servait de garde-manger, s’amusait à squatter à mon insu.
Mais c’est fou, la vitesse à laquelle les mauvaises herbes repoussent, le paillasson se souille de la crasse de souliers qui n’ont jamais été invités à entrer. Alors, pour me faire une idée du design et de la décoration d’intérieur, j’ai visité une flopée d’intimités et, crois-moi, la beauté intérieure j’en suis vite revenue. Parce qu’à force de la chercher, la beauté n’existe plus : l’œil se pose surtout sur les traces de moisissure que cachent les portes, l’oreille entend bêler les moutons sous le lit, et le doigt se glisse l’air de rien au-dessus des étagères pour y traquer les toiles d’araignées.
On porte tous en nous des petits chatons trop mignons que des gosses sadiques se sont amusés à torturer, des chiens enragés qui montrent les dents et attendent le premier promeneur qui se pointera pour lui faire payer le prix fort pour tous ces chasseurs qui les ont traqués et perdus dans la forêt ; alors si tu veux mon avis, ceux qui exhibent avec fierté leur intérieur, aussi beau que leur panier à linge sale reste désespérément vide, ont forcément quelque chose à cacher, ne serait-ce qu’une belle-mère sous le terrain de pétanque ou un môme trop bruyant dans le congélateur.