Présentation
Durant les cinq premiers jours de novembre 1920, l'Angleterre attend l'arrivée du Soldat inconnu, rapatrié depuis la France. Alors que le pays est en deuil et que tant d'hommes ont disparu, cette cérémonie d'hommage est bien plus qu'un simple symbole, elle recueille la peine d'une nation entière.
À Londres, trois femmes vont vivre ces journées à leur manière. Evelyn, dont le fiancé a été tué et qui travaille au bureau des pensions de l'armée ; Ada, qui ne cesse d'apercevoir son fils pourtant tombé au front ; et Hettie, qui accompagne tous les soirs d'anciens soldats sur la piste du Hammer-smith Palais pour six pence la danse. Dans une ville peuplée d'hommes incapables de retrouver leur place au sein d'une société qui ne les comprend pas, rongés par les horreurs vécues, souvent mutiques, ces femmes cherchent l'équilibre entre la mémoire et la vie. Et lorsque les langues se délient, les coeurs s'apaisent.
Avis
Le roman d'Anna Hope se déroule sur cinq jours, cinq jour de 1920, du 7 au 11 novembre, les cinq jours avant la cérémonie en l'honneur du soldat inconnu, ce soldat choisi parmi les nombreux corps gisant sur les champs de bataille en France, parallèlement nous suivons trois femmes que la guerre a frappé, trois femmes touchées par le deuil et qui tente de vivre avec leur chagrin, avec la perte d'un être cher.
Evelyne Montfort est ce que l'on nommait une vieille fille, son amour a perdu la vie en France. Sa colère et son amertume lui ont fait prendre le risque de travailler dans les usines d'armement malgré leur dangerosité, aujourd'hui c'est au bureau des pensions militaires qu'elle travaille et y rencontre nombres d'anciens soldats, qu'elle y retrouve les dégâts de la guerre. C'est un personnage fort du roman qui m'a beaucoup intéressé, Evelyne se protège de la douleur et du chagrin par une colère sourde, se coupant du monde et de sa famille, pour elle il lui est totalement impossible de continuer à sourire.
Ada Hart est une mère de famille dont le fils unique a perdu la vie à la guerre, le corps n'ayant pas été rapatrié elle a du mal à faire son deuil et voit son fils partout, elle refuse ce qui est pourtant évident au point de devenir elle même un fantôme. Ce qu'elle attend c'est une explication, qu'est-il arrivé à son fils? mais surtout pourquoi l'avoir laissé partir. Le chagrin et la culpabilité ne font pas bon ménage. C'est un personnage très meurtri.
Henrietta Burns est une jeune femme de 19 ans danseuse de compagnie au Palais à Hammersmith où se réunissait la classe ouvrière, son père n'est pas revenu du front et son frère ne se remet pas des atrocités vues à la guerre. Elle rencontre toutes sortes de soldat sur la piste de danse et repère les faiblesses physiques de chacun, jusqu'à sa rencontre avec un homme qu'elle a du mal à cerner, ses blessures à lui sont d'un autre ordre. C'est le seul personnage qui porte un peu d'espoir en l'avenir.
Ces trois femmes vont être liées par un fil invisible pendant ces cinq jours qui leurs feront reprendre goût à la vie en osant enfin parler.
Ce livre est un hommage aux femmes de la classe ouvrière de cette époque qui n'ont pas pu faire entendre leur voix et crier leur chagrin; elles sont restées silencieuses car ça ne se faisait pas d'étaler ses émotions pourtant elles auraient aimé comprendre, auraient aimé qu'on leur explique pourquoi le corps d'un mari, d'un frère, d'un père n'a pas été rapatrié. Sans corps il est difficile de faire son deuil, la tombe du soldat inconnu, fil conducteur du roman, constitue donc la tombe de tous ceux qui n'ont pas pu rentrer chez eux et participe ainsi à la guérison de cette blessure collective. L'Angleterre toute entière sera désormais unie dans le deuil.
Un premier roman remarquable qui nous fait vivre l'époque difficile de la reconstruction, le climat social de l'époque est bien rendu, tous ces hommes revenus de la guerre souvent infirme obligés de mendier ou de devenir colporteur s'ils ont un peu de chance. L'intrigue est délicate et le récit poignant, le côté historique du roman m'a vraiment passionné, l'état d'esprit de tous ces survivants de la boucherie que fût la première guerre demeurent d'un grand intérêt.
Un grand merci à Babelio et aux éditions Gallimard pour cette fabuleuse découverte ainsi que pour la rencontre organisée avec Anna Hope, un moment très sympathique pendant lequel l'auteur a pu nous dire un petit mot sur son prochain roman.