Résumé :
« Échoués à la suite d’un naufrage sur une île gouvernée par des esclaves fugitifs, une coquette et un petit-maître perdent la liberté tandis que leurs esclaves désormais affranchis deviennent maîtres et leur font subir diverses épreuves.
En 1725, c’est un monde social renversé que Marivaux donne à voir sur la scène du Théâtre-Italien : la fragilité du pouvoir peut ainsi se dévoiler, les rancœurs enfouies se libérer, et le malheur d’une condition servile s’éprouver. Mais si l’inversion est bien politique, elle est également ludique, et cette pièce sérieuse aux faux airs d’utopie est aussi une comédie : le spectateur s’y amuse aux dépens des maîtres que leurs valets caricaturent, et il rit autant des maladresses que commettent ces valets lorsqu’ils tiennent le rôle des maîtres. »
Mon avis :
Au début du second semestre, j’ai été étonnée de voir que j’aurais des cours de littérature française alors que je fais une licence d’anglais… Mais j’étais tout de même pressée de découvrir ce que nous allions étudier. Lorsque le professeur nous a dit qu’on allait travailler sur le théâtre, j’ai tout suite été enchantée à l’idée de passer des heures sur des textes de Sartre (auteur dont je me sens diamétralement opposée et qui pourtant réussi toujours à me captiver avec ses écrits). Et là… c’est le drame! Au revoir Sartre, bonjour Marivaux. Et oui, nous n’irons pas plus loin que le dix-huitième siècle à mon grand malheur. La première pièce que nous devons lire est L’Île des esclaves, de Marivaux donc. C’était la première fois que je lisais une de ses pièces et c’était plutôt une bonne découverte.
Avant de vous parler de l’oeuvre en elle-même, j’aimerai aborder la préface. Dans mon édition du Livre de Poche, elle a été rédigée par Jean Goulemot. En général, quand je lis une oeuvre classique, j’évite de lire les préfaces, dossiers et autres fioritures ajoutées à l’oeuvre initiale. Mais bon, étant à la fac, je dois approfondir mes connaissances sur ces classiques, donc j’ai fait le choix, cette fois-ci, de lire la préface. Grave erreur de ma part! L’histoire y est racontée avec force détails et même la fin est dévoilée, même plus, développée. Ce fut une grande déception car après cela, je ne voyais plus l’intérêt de lire l’oeuvre, je connaissais déjà toute l’histoire…
De plus, je ne suis pas contre l’idée même d’une préface, mais quand celle-ci est rédigée par une autre personne que l’auteur, il me semble que cela a moins d’intérêt. Par exemple, dans Jane Eyre, j’ai apprécié les deux courtes préfaces rédigées par Charlotte Brontë. Mais ce que je n’aime pas, c’est quand une personne, autre que l’auteur, se permet de dire « Ici, l’auteur voulait dire que… », « Ici c’est évident que l’auteur nous fait comprendre ceci… ». Premièrement, vous n’êtes pas dans sa tête, vous n’en savez strictement rien, et deuxièmement, l’époque a changé, même en connaissant le contexte, on ne peut que s’imaginer ce qu’était la vie à ce temps-là. On ne peut pas réellement être convaincu de ce qu’un auteur voulait dire, tant que l’on a pas vécu la même expérience que lui.
Enfin bref, ce que je dis là n’est évidemment pas propre à ce livre ou à Jean Goulemot, je n’ai rien contre cet homme, d’ailleurs je ne le connais même pas. Je parle ici des préfaces en général et du fait que certaines personnes s’approprient un peu trop les grands classiques en affirmant les comprendre dans leurs moindres détails alors qu’en réalité, même en étudiant avec minutie la vie de l’auteur, on ne pourra jamais s’immiscer dans sa tête et découvrir ce que celui-ci pensait précisément au moment où il a écrit ces lignes.
Passons maintenant à l’oeuvre elle-même : Arlequin et Iphicrate sont des rescapés du naufrage de leur navire. Tandis qu’Arlequin, au début, ne sait où il se trouve, Iphicrate fait la grave erreur de lui révéler qu’ils ont échoués sur l’Île des esclaves, autrement dit, une île sur laquelle des anciens esclaves et valets, se retrouvent libres et maîtres de leurs anciens maîtres. D’ailleurs, plus que leurs maîtres ils deviennent leurs bourreaux. Arlequin y voit donc une chance pour lui de s’affranchir de l’autorité d’Iphicrate et décide donc d’abandonner ce dernier à son triste sort pendant que lui va chercher ses fameux esclaves libres pour se joindre à eux. C’est alors qu’il va tomber sur Trivelin, « chef » de cette île. Il retrouve aussi Euphrosine et sa suivante Cléanthis.
C’est sur les conseils de Trivelin que les rôles vont s’inverser. Cléanthis devient Euphrosine, Arlequin devient Iphicrate, et inversement. Cela va mener à des situations et discussions assez cocasses.
Dans le pays d’Athènes j’étais ton esclave, tu me traitais comme un pauvre animal, et tu disais que cela était juste, parce que tu étais le plus fort : eh bien, Iphicrate, tu vas trouver ici plus fort que toi : on va te faire esclave à ton tour ; on te dira aussi que cela est juste, et nous verrons ce que tu penseras de cette justice là, tu m’en diras ton sentiment, je t’attends là.
Comme je vous l’avais déjà dit dans une de mes chroniques, j’adore lire des pièces de théâtre. Donc je n’avais aucun a priori sur cette lecture. Et au final, bien que cette pièce soit très courte, on prend le temps d’apprécier les personnages, de rire de leurs comportements ou au contraire d’avoir de la compassion pour eux. J’ai bien aimé le personnage d’Arlequin, bouffon très populaire dans la Comedia dell’arte, qui ici est sûrement le personnage le plus censé de toute la pièce. Même quand il prend la place de son maître, il n’abuse pas de son pouvoir et savoure juste le fait d’être libre, contrairement à Cléanthis qui n’a qu’une seule envie : se venger. Le fait que Cléanthis soit si virulente m’a empêché de ressentir une quelconque compassion pour elle, au contraire, j’ai plutôt eu pitié d’Euphrosine à qui, il faut le dire, elle fait subir un véritable supplice.
Nous ne nous vengeons plus de vous, nous vous corrigeons, ce n’est plus votre vie que nous poursuivons, c’est la barbarie de vos cœurs que nous voulons détruire ; nous vous jetons dans l’esclavage pour vous rendre sensibles aux maux qu’on y éprouve ; nous vous humilions, afin que, nous trouvant superbes, vous vous reprochiez de l’avoir été.
J’ai aussi apprécié l’histoire en elle-même. Comme la pièce est très courte, on ne s’attarde pas sur des détails inutiles. Les personnages vont droit au but. On sait quelles sont leurs intentions, l’auteur n’y va pas par quatre chemins, ce qui fait qu’on a pas le temps de s’ennuyer. On se laisse porter par l’histoire, et on tourne les pages sans difficultés.
Le style de l’auteur est agréable à lire. Même si cette pièce date de 1725, le vocabulaire employé est très simple, même les « vieilles expressions » sont faciles à comprendre. J’aime aussi le fait qu’il n’y ait pas de grande tirade à la Shakespeare, car je perds souvent le fil quand un personnage parle sur une ou deux pages entières. Ici les répliques sont relativement courtes et cela nous permet de nous plonger aisément dans la pièce.
En bref, c’est une pièce de théâtre très simple et très sympathique à lire. Cela m’encourage à découvrir d’autres œuvres de cet auteur. Je sais que beaucoup de gens ont lu ce livre au lycée, mais si vous ne l’avez pas fait, je vous encourage vivement à le découvrir!
Note : 16/20
Ne persécute point une infortunée, parce que tu peux la persécuter impunément. Voix l’extrémité où je suis réduire ; et si tu n’as point d’égard au rang que je tenais dans le monde, à ma naissance, à mon éducation, du moins que mes disgrâces, que mon esclavage que ma douleur t’attendrissent. Tu peux ici m’outrager autant que tu le voudras ; je suis sans asile et sans défense, je n’ai que mon désespoir pour tout secours, j’ai besoin de la compassion de tout le monde, de la tienne même, Arlequin ; voilà l’état où je suis, ne le trouves-tu pas assez misérable ? Tu es devenu libre et heureux, cela doit-il te rendre méchant ? Je n’ai pas la force de t’en dire davantage ; je ne t’ai jamais fait de mal, n’ajoute rien à celui que je souffre.