J'entends d'ici ceux qui me connaissent "en vrai". Ils diront que je ne peux pas être objective. Et peut-être auront-ils raison. Parce que Balavoine, c'est sans doute une grande part d'irrationnel. C'est l'un de ceux qui ont vraiment compté pour moi. Et un de mes plus grands regrets. C'est un peu une histoire d'amour qui dure depuis plus de 30 ans. Je crois qu'en fait je suis tombée amoureuse de lui plusieurs fois. Et j'ai un peu l'impression de l'avoir "perdu" deux fois (entre guillemets, parce que je ne voudrais pas manquer de respect à ses proches qui, eux, l'ont réellement perdu) : une première fois quand j'ai pleuré la mort d'un chanteur qui m'avait tapé dans l'oeil et dans l'oreille, une seconde quelques années plus tard quand j'ai pris conscience de l'homme engagé, entier et important qu'il avait été et qu'il aurait encore pu être.
J'avais 5 ans quand il est mort. J'étais amoureuse de sa voix et de ses chansons. De leur musicalité, disons, parce que j'imagine que je ne devais pas comprendre grand chose à ses textes à l'époque. J'adorais Le chanteur (même si j'étais loin de déceler toute la maturité qu'elle renfermait), et j'étais persuadée que L'Aziza, c'était moi (ce qui confirme bien que je n'avais pas tout compris, finalement). Je garde un souvenir vraiment vif et très précis du moment où j'ai appris son décès (je pense que les céréales de mon petit déjeuner, ce matin-là, c'était des smacks: une sorte d'arrêt sur image, en quelque sorte). Je me souviens vraiment d'une grande tristesse, et puis d'avoir continué à aimer ses chansons. Je suppose que nous avions ses cassettes à la maison, parce que j'ai le souvenir d'avoir toujours entendu Vivre ou survivre, Tous les cris les SOS, et d'autres.
Je suis retombée amoureuse de lui quelques années plus tard, de son côté rebelle, de sa rage, de sa sortie (dans tous les sens du terme) face à François Mitterrand. Et puis, au fil du temps, de ses textes, auxquels j'ai prêté plus d'attention. J'ai pleuré comme une madeleine la première fois que j'ai réécouté Mon fils ma bataille après la naissance de mon loulou. Revolucion (que j'ai écoutée souvent, ces derniers jours) ne prend tout son sens que lorsque l'on sait qui sont les mères de la place de Mai. Et plus je l'écoutais, plus je regrettais qu'il ne soit plus là. Parce que ses chansons et ses coups de gueule sont toujours d'actualité.
(Au fait, B., si tu me lis, je veux "Partir avant les miens" à mon enterrement. Je sais que tu n'aimes pas sa voix, mais tu feras un effort : je veux une chanson de Balavoine. Ou de Goldman. Mais choisis-la bien.)Il faut rester à la lumière
Dansez buvez en me berçant
Que je vous aime en m'endormant
J'ai catégoriquement refusé de voir et d'entendre les reprises commises par la "fine fleur de la chanson française" (pour reprendre les termes de Joann Sfar), et les commentaires lus le lendemain ont confirmé que j'avais bien fait. Parce qu'on ne touche pas à Balavoine, bon sang! Il avait une voix si particulière, je n'en connais pas beaucoup qui seraient capables de reprendre ses titres sans que ça tourne au massacre.
Par contre, vous connaissez ma manie de vouloir me pencher par-dessus l'épaule des écrivains. Alors pourquoi ne pas tenter de me glisser -un tout petit peu- en studio, aux côtés de Daniel et de son équipe?
Rédigé par un journaliste radio qui l'avait rencontré à plusieurs reprises au cours de ses trois dernières années, Génération Balavoine mêle ses souvenirs personnels, des traces de ces rencontres, des retranscriptions d'émissions télévisées ou radiophoniques, ainsi que des entretiens plus récents avec des membres de l'entourage familial ou professionnel du chanteur, mais aussi avec des artistes actuels qui évoquent "leur" Balavoine et la manière dont il fut ou reste une source d'inspiration pour eux. On retrouve alors des extraits de l'émission "J'me présente, je m'appelle Daniel",diffusée sur France 3 le 30 décembre dernier. De ce fait, l'ouvrage peut présenter un aspect un peu "oral", un peu décousu, plus qu'un récit parfaitement organisé. Mais il suit un fil conducteur général et est divisé en chapitres relatifs d'une part aux différents albums de Balavoine, aux étapes successives l'ayant mené jusqu'au succès que l'on connaît, et d'autre part à son caractère engagé, à ses choix, ses projets et -brièvement- à sa vie privée. Et j'ai apprécié que cette dernière n'occupe pas davantage de place : l'auteur l'aborde parce qu'elle est en lien avec son évolution, ses textes, ses projets, mais sans virer au people ni à la psychologie de comptoir quant à son enfance.
J'ai aimé découvrir un peu (trop peu...) l'envers du décor et la façon de travailler de Balavoine, parfois bien différente de ce que j'imaginais. J'aime tellement ses textes que je pensais, sans vraiment m'être jamais posé la question, que les paroles précédaient la musique et l'arrangement. J'ai découvert que c'était l'inverse : ce n'est qu'une fois satisfait des arrangements que Daniel se penchait sur la chanson en elle-même, ce qui pouvait parfois aller très vite. Sur le plan musical, justement, il était un novateur, un expérimentateur, enthousiaste face aux nouvelles possibilités offertes sur le plan sonore par les nouvelles technologies (je vous épargne ma piètre compréhension des détails techniques, j'en ai retenu qu'il serait le premier à avoir intégré dans ses chansons des sons qui étaient non musicaux à la base; j'ai d'ailleurs trouvé des vidéos dans lesquelles on le voit expliquer comment ça fonctionne).
J'ai appris (je l'ignorais totalement) qu'il avait le projet de former un groupe anglophone et de repartir de zéro en Angleterre, puis de nouveau en France mais cette fois en anglais. Lui qui avait tellement ramé à ses débuts, qui avait tellement espéré être reconnu, ne plus être considéré comme un simple chanteur de variété, n'avait donc pas peur de prendre des risques sur le plan artistique notamment. Qu'il est frustrant de penser que ce projet n'aura jamais pu voir le jour...
Novateur sur le plan musical, il l'était également quant aux thèmes qu'il abordait. Quand on creuse un peu Mon fils ma bataille, il était quand même sacrément en avance sur la question du droit de garde. Par là, n'en déplaise à Monsieur Zemmour, on peut le qualifier de féministe, au sens profond du terme, c'est-à-dire quelqu'un qui réclame des droits égaux pour tous, hommes ou femmes.
J'ai été intriguée par la filiation revendiquée par des rappeurs. Le rap n'étant pas ma tasse de thé, je n'y connais rien et ne me prononcerai pas sur ce sujet, mais en tout cas les analyses d'Orelsan ou de Soprano notamment, quant à ses textes ou à sa vision de la vie et de son rôle en tant qu'artiste, m'ont paru très justes. Quand Orelsan dit que quelque chose passe dans sa musique, qu'on ressent "l'émotion directement, sans passer par la case cerveau, alors qu'il dit des choses censées", ou quand Youssoupha raconte qu'il a dû écouter Tous les cris les SOS des dizaines de fois sans savoir exactement de quoi ça parlait, mais en étant touché rien que musicalement, ça rejoint tout à fait que je tentais d'exprimer plus haut en disant que j'étais amoureuse de ses chansons alors même que (à 5 ans) je ne les comprenais pas vraiment. Et encore aujourd'hui, je fredonne souvent ses chansons juste pour le côté musical, ou pour le refrain que tout le monde prendra au sens premier sans en décortiquer le contenu, avant de me reprendre en pleine face le sens de ses phrases ou ce à quoi elles renvoient.
C'était, j'en suis persuadée, un homme à la fois intelligent et sensible, qui n'acceptait pas les inégalités et qui avait à coeur de les dénoncer. Et il le faisait avec brio, que ce soit dans ses chansons ou en interview, voire en coups de gueule. Et même si ceux-ci ont pu irriter ou le faire passer peut-être pour un sale gosse, il avait le courage de ses convictions et il les défendait de façon extrêmement construite et argumentée, et sans irrespect. Quand on lui a reproché d'avoir dit qu'il "emmerdait les anciens combattants", il faut bien se dire que son message était bien entendu plus développé que cela, qu'il visait certaines personnes en particulier et qu'il l'avait dit dans un contexte particulier. Cela dit, s'il s'est excusé auprès de ceux qui se sont sentis visés à tort, il n'est en tout cas pas revenu sur sa phrase en elle-même, parce qu'il exprimait une réelle conviction. Je vous mets la vidéo de son intervention complète face à François Mitterrand, dont on ne retient généralement qu'un extrait, mais qui s'adressait d'abord aux journalistes présents, et dans laquelle il s'en prenait avant tout au système d'information en vigueur, avant d'interpeller l'homme politique et de poser sur la situation un regard qui est encore dramatiquement d'actualité aujourd'hui.
Colère de Daniel Balavoine face à François Mitterrand
La façon dont il a perçu le monde, les gens et notre rôle à tous, surtout dans ses dernières années, m'a vraiment touchée. Pour lui, il n'est nul besoin de se pencher sur ce qui a été, sur ce qui ne fonctionne pas ou plus pour décider d'avancer. Se dire qu'il faut monter la pente est plus positif et motivant que de dire qu'il faut la remonter. Il estimait que le monde est à faire et non pas à défaire, parce qu'il se défait tout seul, que ce soit religieusement, idéologiquement, politiquement... Mais, pensait-il, "ce n'est pas une raison pour avoir peur. C'est au contraire une motivation pour avancer". Dans ses derniers mois, plus apaisé, moins enragé bien que toujours engagé, il a décidé d'être plus positif, de ne plus être "contre ceci" mais "pour cela". Connaissant son tempérament, voila qui n'a pas dû être facile (mais ça m'encourage à essayer aussi ^^ ). Il y a du carpe diem dans sa réflexion, et une sacrée dose de reconnaissance pour tout ce à quoi on a droit, pour tout ce qui nous est épargné, juste par le simple fait d'être né ici et maintenant.
Balavoine, c'était un homme fait de désespoir, de lucidité, d'envie, de rage, d'(hyper)sensibilité. Un homme interpellé par les inégalités, quelles qu'elles soient, et par la misère, et qui avait décidé de jouer son rôle, de prendre sa part de responsabilité en s'engageant comme il le pouvait et en interpellant à son tour avec talent par des textes à la fois populaires et engagés, comme L'Aziza par exemple. Il le faisait avec intensité, dans l'instant, sans remettre à plus tard. Je trouve qu'on le voit souvent dans une posture qui reflète son caractère, son tempérament : les poings serrés, parfois un peu gauche, mais les yeux qui pétillent quand il sourit. Pas un ange, non, un peu volage paraît-il avant de rencontrer la mère de ses enfants, et puis participer au Paris-Dakar était sans doute critiquable. Je n'ai moi-même jamais été très à l'aise avec cette course qui, outre les risques qu'elle implique (mais c'est une question de responsabilités individuelles, après tout), m'a toujours gênée par rapport à sa signification, à ses implications possibles par rapport aux populations locales et au continent africain. Mais au moins en avait-il, à son niveau, fait quelque chose de beau, après avoir été choqué par ce qu'il avait vu en y participant.
Je regrette de n'être pas née 15 ans plus tôt. Pour vivre ses débuts, pour le suivre et m'emporter lors de ses apparitions télé. J'aurais tellement aimé avoir la chance de le voir sur scène. N'existe-t-il donc aucun enregistrement d'un concert? Quel bel hommage cela aurait été, bien plus que ces fameuses reprises, à mes yeux. Et quel cadeau ce serait pour ses fans...
Le 14 janvier dernier, on nous a demandé, sur les réseaux sociaux, quelle était notre chanson préférée de Balavoine. J'avais choisi (difficilement) d'en citer deux : L'Aziza (inutile de vous expliquer pourquoi - même si j'ai enfin admis qu'elle ne parlait pas de moi, j'aurais tellement voulu être celle pour qui une telle chanson fut écrite) et Tous les cris les SOS, parce qu'elle représente, à mes yeux, tout ce que fut Daniel Balavoine. Elle mêle les sonorités particulières, la douceur du début, l'envolée de sa voix par la suite, et son texte condense tout ce qu'il était, ce qu'il ressentait et voulait transmettre. Tout ce qui manque aussi, aujourd'hui. Le monde actuel manque d'hommes comme lui.
Putain d'hélico...
Merci aux Editions Fayard et à pour ces quelques heures passées en compagnie de celui qui restera un de mes artistes préférés.