En musique, il y a ce qu'on appelle des "albums concepts", voici un livre que je qualifierais volontiers de "roman concept", tant il sort de l'ordinaire et propose quelque chose, dans le fond et dans la forme, d'inédit. Je vais être franc d'emblée, c'est un livre très déroutant que j'ai en main, une démarche littéraire assez gonflée de la part de l'auteur mais aussi de l'éditeur, qui a choisi de relever le gant. Un livre dans lequel il faut entrer, car tous les repères traditionnels sont volontairement brouillés. Avec "Schlott" (en grand format aux Editions Héloïse d'Ormesson), Eleona Uhl, romancière suisse, nous plonge dans un univers complètement éclaté, sens dessus dessous, changeant... Ne vous attendez pas à une construction classique, une histoire que vous pourrez raconter facilement, car vous serez enfermé dans un huis clos étouffant... à l'intérieur d'un esprit en pleine crise...
Elle s'appelle Schlott, elle se définit elle même comme une femme triste, grise, terne. On la découvre épouse soumise, dans une vie qui la laisse indifférente, dans une maison qui lui ressemble, toute aussi triste, grise et terne qu'elle. C'est cette femme, dont le nom est inscrit en lettres rouge sur sa boîte aux lettres, une de ses rares touches colorées, qui parle et déverse un long monologue.
Schlott commence essentiellement par cracher sa haine pleine d'aigreur et de jalousie à l'encontre d'une autre femme : Bernadette. Comme elle s'appelle elle-même Schlott, elle n'appellera jamais l'autre femme autrement que par son prénom : Bernadette. Une femme qui n'a absolument rien à voir avec elle-même.
Bernadette est libre, séductrice (trop, aux yeux de Schlott, une allumeuse, oui !), elle est joyeuse, colorée, pleine de vie et habite dans une superbe maison ornée d'un vitrail aussi colorée que la maîtresse des lieux. Quand Schlott s'attife, Bernadette, elle, porte des tenues à la mode, bien coupées, qui font aussi son charme.
On comprend alors que Schlott passe son temps à espionner Bernadette, qu'elle la suit partout, parfois l'apostrophe vertement, qu'elle lui crache sa haine au visage... Elle réfléchit aux façons de lui nuire et semble faire de Bernadette son unique sujet de réflexion au quotidien. Une telle fixette en devient même effrayant.
Ce n'est pas la seule chose qui inquiète, lorsqu'on écoute (enfin, lorsqu'on lit) le récit de Schlott. Le ton, agressif, virulent, chargé de tant de ressentiment, d'auto-dénigrement aussi, gifle le lecteur. Bernadette et Schlott sont les deux seuls patronymes qu'elles prononcent, tous les autres intervenants, son époux, par exemple, ou son (ses ?) interlocuteur(s) n'ont pas cet honneur.
D'autres éléments intriguent, certains passages du monologues paraissent complètement incohérents, on se croirait dans un cauchemar alors que Schlott décrit la réalité... Des éléments matériels, qu'on remarque, au détour d'une phrase, d'une doléance de la narratrice, parfois exaucée, parfois non... Il se passe des choses bien étranges, ici...
Et d'ailleurs, où sommes-nous ? A quoi assistons-nous ? A qui Schlott parle-t-elle ? Aucun point de repère ne nous est donné, ni temporel, ni géographique, pas même social, si je puis dire. Et l'on ne peut pas compter sur Schlott pour nous éclairer, car, plus ça va, moins ce qu'elle raconte semble clair, moins sa pensée paraît organisée.
De ce grand déballage, une quelconque vérité sortira-t-elle ? Faudra-t-il que le lecteur la reconstitue par lui-même, faute de mieux ? Oui, c'est ça, l'idée. Ne vous attendez pas au final à une histoire détaillée, un début, un milieu, une fin, mais on va deviner que Schlott n'est pas là pour le plaisir et que, manifestement, ce qu'elle a fait est grave.
En lisant "Schlott", j'ai eu l'impression de me tenir face à un miroir qu'on aurait brisé d'un coup de poing. Un trou au milieu et, tout autour, des éclats qui reflètent une multitude d'images comme un kaléidoscope. Tout est là, mais brouillé, mélangé, passé à la moulinette... Et le lecteur, lui, plonge dans cette réalité fragmentée, dont on doute qu'elle puisse se reconstituer un jour pour donner une image précise.
Alors, que se passe-t-il, dans ce court roman d'environ 150 pages ? Je ne crois rien déflorer en écrivant ce que vous allez lire maintenant, puisque le mot apparaît sur la quatrième de couverture et pas dans le texte, me semble-t-il : "Schlott" est une plongée en apnée dans l'esprit d'une schizophrène en pleine crise. Crise dont on devine qu'elle a abouti à un ou des drames.
Et ça remue, il faut le dire. On suit Schlott dans son récit, sans jamais vraiment savoir ce qu'elle a réellement fait ou ce que fabrique son esprit malade. Je pèse mes mots, car une expression la met systématiquement en rogne, c'est "santé mentale". Deux mots dont elle semble refuser le mariage, sans doute parce qu'elle l'a trop souvent entendue, et dans des contextes désagréables pour elle.
Comme on ne connaît pas vraiment la trame des événements qui ont amené Schlott là où on la rencontre, on ne distingue pas les moments où son histoire dérape, si elle a réellement vécu ce qu'elle nous raconte et jusqu'à quel point, comme lorsqu'elle évoque son chat, par exemple, et que l'on ne retombe pas vraiment sur ses pattes.
J'ai bien conscience que ce que j'écris ici risque de ne pas être très encourageant pour certains lecteurs. Mais, si vous avez l'esprit livresque aventureux, alors, voici un roman à découvrir, parce qu'il sort de l'ordinaire en proposant quelque chose de tout à fait original. Cette plongée dans cet esprit perturbé, violent mais aussi séducteur, manipulateur, est dérangeante et addictive.
Aucun critère traditionnel de lecture ne s'applique vraiment à "Schlott", puisque tout est brouillé, encore une fois. Il n'y a aucun contre-champ qui pourrait nous aider à y voir plus clair. De la première phrase, "Je me souviens, hommage à un fameux oulipien, Georges Pérec, sans doute pour bien signifier qu'on aborde un texte à contrainte, jusqu'à la dernière, on se retrouve enfermé dans la tête de Schlott et on n'en sort pas.
Mais les souvenirs de Schlott n'ont rien d'une madeleine de Proust. Ne s'y exprime que ce mal qui la ronge et altère sa vision du monde, jusqu'à la pousser à commettre le pire. Jusqu'à faire imploser sa personnalité. Car qui est vraiment Schlott ? L'auto-portrait qu'on a d'elle est aussi flou, imprécis, délirant que le reste.
Quant à Bernadette, cible préférée, bouc émissaire désignée, qui semble, contre toute logique, être la responsable de tout le mal dont souffre Schlott, on a l'étrange impression qu'elle est à la fois partie prenante et complètement étrangère à cette affaire. Là encore, on est dérouté, même si, peu à peu, une idée germe, tout aussi dérangeante, tout aussi problématique, tout aussi peu propice aux repères.
Cet élément fait d'ailleurs partie d'une des rares certitudes qu'on acquiert au fil du récit de Schlott, avec d'autres faits ponctuels et indépendants d'elle. Ah oui, je n'ai pas donné l'élément en question... Non, en effet, il est au coeur de ce récit et, s'il est difficile d'en tirer des conclusions, on peut se dire qu'il y a là un élément forts à défaut d'être explicatif, de l'état de Schlott.
Il faut bien, pour finir, parler d'émotions... Car on en ressent au cours de cette lecture, forcément. Et on ressort là encore brouillé, sans repère véritable. Que penser de Schlott ? Si on s'en tient à la strict impression qu'elle donne, difficile de ressentir de l'empathie, encore moins de la sympathie. Schlott est une harpie, dangereuse et violente, capable de faire mal à ceux qui lui font face.
On se rend compte de cette violence jusqu'au derniers mots que prononce Schlott. Et peut-être même plus encore dans ces ultimes phrases que dans tout le reste. La prise de conscience que cette violence n'est pas juste verbale ou imaginaire, mais qu'elle s'est exercée, est un choc. Un choc qu'on redoutait, même si on n'a pas de moyen d'en mesurer la véritable ampleur.
Mais on ne peut pas s'arrêter là : ce monstre haineux qu'on a face à soi n'est pas la véritable Schlott. C'est, qu'elle me pardonne, une femme à la santé mentale très altérée qu'on écoute, et cela fait toute la différence. J'ai parlé de violence, à l'encontre de Schlott, mais elle-même est victime de la violence qu'elle s'inflige et de l'effroyable violence que représente sa maladie.
Alors, doucement, on compatit, on ressent aussi une certaine culpabilité à l'avoir jugée sans doute trop vite. L'empathie naît, mais vis-à-vis de la véritable Schlott, celle que l'on ne connaît pas, ou à peine, qu'on devine sans la cerner, sans pouvoir l'atteindre. Et l'on termine profondément touché par cette détresse qui a fait dérailler cette femme, certainement une femme bien, à l'origine, en tout cas, ordinaire.
Evidemment, tout cela est un ressenti de lecteurs. D'autres iront dans mon sens ou me contrediront. Je ne crois pas que "Schlott"soit un livre qui laisse indifférent, en revanche, je suis certain qu'il demande concentration et efforts de la part du lecteur parce qu'on est expulsé (tiens, et si on employait une expression à la mode ?) de sa zone de confort.
"Schlott" est une expérience de lecture, quoi qu'on en pense au final. Je me garderais bien de dire ici si c'est crédible, si ça reflète effectivement les symptômes de la schizophrénie. On garde évidemment une licence romanesque qui, avant tout, s'inscrit dans ce choix délibéré et gonflé de nous faire vivre cela frontalement, sans nous envelopper au préalable dans un cocon protecteur.
Elle s'appelle Schlott, elle se définit elle même comme une femme triste, grise, terne. On la découvre épouse soumise, dans une vie qui la laisse indifférente, dans une maison qui lui ressemble, toute aussi triste, grise et terne qu'elle. C'est cette femme, dont le nom est inscrit en lettres rouge sur sa boîte aux lettres, une de ses rares touches colorées, qui parle et déverse un long monologue.
Schlott commence essentiellement par cracher sa haine pleine d'aigreur et de jalousie à l'encontre d'une autre femme : Bernadette. Comme elle s'appelle elle-même Schlott, elle n'appellera jamais l'autre femme autrement que par son prénom : Bernadette. Une femme qui n'a absolument rien à voir avec elle-même.
Bernadette est libre, séductrice (trop, aux yeux de Schlott, une allumeuse, oui !), elle est joyeuse, colorée, pleine de vie et habite dans une superbe maison ornée d'un vitrail aussi colorée que la maîtresse des lieux. Quand Schlott s'attife, Bernadette, elle, porte des tenues à la mode, bien coupées, qui font aussi son charme.
On comprend alors que Schlott passe son temps à espionner Bernadette, qu'elle la suit partout, parfois l'apostrophe vertement, qu'elle lui crache sa haine au visage... Elle réfléchit aux façons de lui nuire et semble faire de Bernadette son unique sujet de réflexion au quotidien. Une telle fixette en devient même effrayant.
Ce n'est pas la seule chose qui inquiète, lorsqu'on écoute (enfin, lorsqu'on lit) le récit de Schlott. Le ton, agressif, virulent, chargé de tant de ressentiment, d'auto-dénigrement aussi, gifle le lecteur. Bernadette et Schlott sont les deux seuls patronymes qu'elles prononcent, tous les autres intervenants, son époux, par exemple, ou son (ses ?) interlocuteur(s) n'ont pas cet honneur.
D'autres éléments intriguent, certains passages du monologues paraissent complètement incohérents, on se croirait dans un cauchemar alors que Schlott décrit la réalité... Des éléments matériels, qu'on remarque, au détour d'une phrase, d'une doléance de la narratrice, parfois exaucée, parfois non... Il se passe des choses bien étranges, ici...
Et d'ailleurs, où sommes-nous ? A quoi assistons-nous ? A qui Schlott parle-t-elle ? Aucun point de repère ne nous est donné, ni temporel, ni géographique, pas même social, si je puis dire. Et l'on ne peut pas compter sur Schlott pour nous éclairer, car, plus ça va, moins ce qu'elle raconte semble clair, moins sa pensée paraît organisée.
De ce grand déballage, une quelconque vérité sortira-t-elle ? Faudra-t-il que le lecteur la reconstitue par lui-même, faute de mieux ? Oui, c'est ça, l'idée. Ne vous attendez pas au final à une histoire détaillée, un début, un milieu, une fin, mais on va deviner que Schlott n'est pas là pour le plaisir et que, manifestement, ce qu'elle a fait est grave.
En lisant "Schlott", j'ai eu l'impression de me tenir face à un miroir qu'on aurait brisé d'un coup de poing. Un trou au milieu et, tout autour, des éclats qui reflètent une multitude d'images comme un kaléidoscope. Tout est là, mais brouillé, mélangé, passé à la moulinette... Et le lecteur, lui, plonge dans cette réalité fragmentée, dont on doute qu'elle puisse se reconstituer un jour pour donner une image précise.
Alors, que se passe-t-il, dans ce court roman d'environ 150 pages ? Je ne crois rien déflorer en écrivant ce que vous allez lire maintenant, puisque le mot apparaît sur la quatrième de couverture et pas dans le texte, me semble-t-il : "Schlott" est une plongée en apnée dans l'esprit d'une schizophrène en pleine crise. Crise dont on devine qu'elle a abouti à un ou des drames.
Et ça remue, il faut le dire. On suit Schlott dans son récit, sans jamais vraiment savoir ce qu'elle a réellement fait ou ce que fabrique son esprit malade. Je pèse mes mots, car une expression la met systématiquement en rogne, c'est "santé mentale". Deux mots dont elle semble refuser le mariage, sans doute parce qu'elle l'a trop souvent entendue, et dans des contextes désagréables pour elle.
Comme on ne connaît pas vraiment la trame des événements qui ont amené Schlott là où on la rencontre, on ne distingue pas les moments où son histoire dérape, si elle a réellement vécu ce qu'elle nous raconte et jusqu'à quel point, comme lorsqu'elle évoque son chat, par exemple, et que l'on ne retombe pas vraiment sur ses pattes.
J'ai bien conscience que ce que j'écris ici risque de ne pas être très encourageant pour certains lecteurs. Mais, si vous avez l'esprit livresque aventureux, alors, voici un roman à découvrir, parce qu'il sort de l'ordinaire en proposant quelque chose de tout à fait original. Cette plongée dans cet esprit perturbé, violent mais aussi séducteur, manipulateur, est dérangeante et addictive.
Aucun critère traditionnel de lecture ne s'applique vraiment à "Schlott", puisque tout est brouillé, encore une fois. Il n'y a aucun contre-champ qui pourrait nous aider à y voir plus clair. De la première phrase, "Je me souviens, hommage à un fameux oulipien, Georges Pérec, sans doute pour bien signifier qu'on aborde un texte à contrainte, jusqu'à la dernière, on se retrouve enfermé dans la tête de Schlott et on n'en sort pas.
Mais les souvenirs de Schlott n'ont rien d'une madeleine de Proust. Ne s'y exprime que ce mal qui la ronge et altère sa vision du monde, jusqu'à la pousser à commettre le pire. Jusqu'à faire imploser sa personnalité. Car qui est vraiment Schlott ? L'auto-portrait qu'on a d'elle est aussi flou, imprécis, délirant que le reste.
Quant à Bernadette, cible préférée, bouc émissaire désignée, qui semble, contre toute logique, être la responsable de tout le mal dont souffre Schlott, on a l'étrange impression qu'elle est à la fois partie prenante et complètement étrangère à cette affaire. Là encore, on est dérouté, même si, peu à peu, une idée germe, tout aussi dérangeante, tout aussi problématique, tout aussi peu propice aux repères.
Cet élément fait d'ailleurs partie d'une des rares certitudes qu'on acquiert au fil du récit de Schlott, avec d'autres faits ponctuels et indépendants d'elle. Ah oui, je n'ai pas donné l'élément en question... Non, en effet, il est au coeur de ce récit et, s'il est difficile d'en tirer des conclusions, on peut se dire qu'il y a là un élément forts à défaut d'être explicatif, de l'état de Schlott.
Il faut bien, pour finir, parler d'émotions... Car on en ressent au cours de cette lecture, forcément. Et on ressort là encore brouillé, sans repère véritable. Que penser de Schlott ? Si on s'en tient à la strict impression qu'elle donne, difficile de ressentir de l'empathie, encore moins de la sympathie. Schlott est une harpie, dangereuse et violente, capable de faire mal à ceux qui lui font face.
On se rend compte de cette violence jusqu'au derniers mots que prononce Schlott. Et peut-être même plus encore dans ces ultimes phrases que dans tout le reste. La prise de conscience que cette violence n'est pas juste verbale ou imaginaire, mais qu'elle s'est exercée, est un choc. Un choc qu'on redoutait, même si on n'a pas de moyen d'en mesurer la véritable ampleur.
Mais on ne peut pas s'arrêter là : ce monstre haineux qu'on a face à soi n'est pas la véritable Schlott. C'est, qu'elle me pardonne, une femme à la santé mentale très altérée qu'on écoute, et cela fait toute la différence. J'ai parlé de violence, à l'encontre de Schlott, mais elle-même est victime de la violence qu'elle s'inflige et de l'effroyable violence que représente sa maladie.
Alors, doucement, on compatit, on ressent aussi une certaine culpabilité à l'avoir jugée sans doute trop vite. L'empathie naît, mais vis-à-vis de la véritable Schlott, celle que l'on ne connaît pas, ou à peine, qu'on devine sans la cerner, sans pouvoir l'atteindre. Et l'on termine profondément touché par cette détresse qui a fait dérailler cette femme, certainement une femme bien, à l'origine, en tout cas, ordinaire.
Evidemment, tout cela est un ressenti de lecteurs. D'autres iront dans mon sens ou me contrediront. Je ne crois pas que "Schlott"soit un livre qui laisse indifférent, en revanche, je suis certain qu'il demande concentration et efforts de la part du lecteur parce qu'on est expulsé (tiens, et si on employait une expression à la mode ?) de sa zone de confort.
"Schlott" est une expérience de lecture, quoi qu'on en pense au final. Je me garderais bien de dire ici si c'est crédible, si ça reflète effectivement les symptômes de la schizophrénie. On garde évidemment une licence romanesque qui, avant tout, s'inscrit dans ce choix délibéré et gonflé de nous faire vivre cela frontalement, sans nous envelopper au préalable dans un cocon protecteur.