L’histoire commence en Chine avec un papillon. On dit que si, en Chine, un papillon bat des ailes à un certain moment, cette action peut déclencher une catastrophe en Amérique. C’est l’effet papillon, façon de dire que tout est interrelié, interdépendant. Le papillon en question dans cette histoire est une bombycidée, une maman prête à pondre et qui vit dans une ferme à bombyx, le vers à soie. Elle a déjà commencé, mais s’interrompt, inquiète. Combien survivront jusqu’au cocon ? Et après, jusqu’à l’âge adulte ? Elle n’est pas dupe. Elle sait bien qu’elle n’est qu’une maille dans un camp de travail forcé. Le travail continue. Une lumière à la fenêtre. Elle bat des ailes pour s’y rendre. Son dernier œuf tombe en plein vol, parcourt une parabole précise pour aboutir à un endroit incongru : à l’extérieur. Il est passé par une fente très mince dans la paroi. Il manquera donc un œuf à sa récolte et un fil à l’étoffe.
Sans les soins méticuleux des récolteurs, la mère papillon ne donne pas cher de la peau de son petit dernier. Elle le chasse de son esprit pour s’occuper des centdextuplés restants. Elle trouve toute la nourriture nécessaire à un battement d’ailes, sans effort et sans laisser ses petits plus d’une seconde. Ça grouille de vers ici. Les travailleurs chinois ramassent la manne et amènent la progéniture en un lieu plus propice à leur croissance : l’orphelinat des vers à soie. Ils donnent à leur précieux bétail le parfait matériau du « cocooning », car chacune de leur digestion est un ruisseau d’or, qui, uni à d’autres en rivière, coule vers une mer de tissu aux vagues très douces et miroitantes. Mais il manque un ruisseau, un cocon non récolté, tout juste à l’extérieur. Une maille est tirée, qui n’a jamais été là. Personne ne s’en aperçoit. Le tissu est vendu parmi cent autres, est cousu en joli foulard rouge et vendu à Paul Grégoire. Il l’achète dans une boutique de l’avenue Mont-Royal, à Montréal, pour sa femme Georgette, à l’occasion du dixième anniversaire de sa demande en mariage.
— Oui !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Ils sont toujours en amour, comme un vieux couple qui baise encore souvent. Ils n’ont pas d’enfant, pourtant, mais désirent procréer, avoir un bébé à torcher, à toucher et à aimer. La chambre est prête, remplie de dessins de papillons, car Paul est un collectionneur.
Le bombyx unique prépare son cocon, le dur passage de l’adolescence, dans la chaleur de l’été chinois. Une branche près du sol et le temps est suspendu pour la transformation.
Paul se prépare à son rendez-vous avec sa femme. Son cadeau joliment emballé sous le bras, il se dirige vers leur restaurant préféré, une rose blanche à la boutonnière, en signe de reconnaissance… Georgette est assise seule à une table, dégustant un café au lait et un croissant. Elle lui sourit ; il s’assoit. Ils flirtent comme au premier jour, ce jour béni ou Internet les a réunis. Il lui touche les mains, premier contact. Elle est belle !
Il déguste un verre de vin et quelques fromages, puis offre à sa belle son présent. Elle est éblouie par la finesse du tissu, la clarté des couleurs, le dessin. Tout va bien. Soudain, elle remarque la faille, la maille manquante !
— Il est bien beau ton foulard, mais il a un défaut !
— Excuse-moi, mais je ne l’avais pas vu.
Il ne le voit toujours pas.
— Tu l’as eu en spécial, j’espère ! Parce que si tu penses me séduire en m’insultant…
Ce soir-là, ils auraient dû concevoir Julie ; tout était prêt. Georgette était en pleine ovulation et tout en désir. Mais elle ne le prenait pas et ils ne font pas l’amour. Julie aurait été une grande chercheuse qui aurait découvert un remède définitif au SIDA. Sans cette découverte, Pierre Leblond, sidéen, mourra et ne réalisera pas son chef-d’œuvre.
En Chine un enfant chasse un papillon et capture un bombycidé mâle, très rare parce qu’ils ne les laissent pas parvenir à la maturité. Des ouvrières, dont sa tante, trouvent le fil du cocon et le déroulent pour le tisser. Si la tante vend le papillon à un touriste ou un collectionneur, elle pourra peut-être manger à sa faim aujourd’hui. Pierre, frère de Paul, sera heureux de le ramener à Montréal.
Paul et Georgette concevront plus tard, et cette combinaison particulière de gènes produira celui qui deviendra « Yvon le terrible » selon l’appellation consacrée dans les médias, un tueur de masse et en série. Une de ses victimes s’appellera Diane et aurait dû partager sa vie avec Serge qui se reproduira plutôt avec Lucie, donnant au monde Guillaume, le conquérant des étoiles, qui trouvera la façon de battre la lumière à la course et permettra les vols intersidéraux.
La légende raconte que le chercheur eut son coup de génie en examinant un foulard rouge que sa mère avait trouvé dans un marché aux puces. « Il manque un fil ! » Sa théorie sera connue sous le nom de « la théorie du fil manquant »…
Quelque part au Mexique un monarque prend son envol. Un peu trop vigoureusement pour le vent qui l’emporte en direction opposée des autres. Confusion. Son sens de l’orientation magnétique lui indique qu’il est dans la mauvaise direction, mais il poursuit. L’équilibre est tout près et dans la direction de l’Argentine plutôt qu’au Québec, où il aurait dû, normalement, porter ses petits-enfants. D’une façon ou d’une autre, il ne survivra pas assez longtemps pour voir la terre promise, où qu’elle fût.
Ce subtil changement rompra l’équilibre des champs magnétiques. Chaque corps, chaque objet a un champ magnétique, le monarque également. Nous vivrons une inversion des pôles magnétiques, la première depuis 300 000 ans ! Les outardes ne passeront pas au printemps ; les tortues des îles vertes s’égareront en Afrique.
Tous les moteurs, tous les appareils électriques s’arrêteront au même moment, comme lors d’une explosion nucléaire, semant la pagaille. Par contre, les satellites, de même que les dix stations spatiales permanentes continueront de fonctionner normalement, hors des caprices du champ magnétique de la Terre. Et ils prendront alors, durant cette crise particulière, la décision de coloniser les planètes des autres systèmes stellaires.
Un seul battement d’ailes ouvre les choix. Imaginons deux !
Restons-nous à la maison ou partirons-nous ?
Notice biographique
L’auteur se présente ainsi :
« Né à Victoriaville dans un garage où sa famille habitait, l’école fut la seule constante de son enfance troublée. Malgré ses origines modestes, où la culture était un luxe hors d’atteinte, Denis a obtenu un bac en sociologie. Enchaînant les petits emplois d’agent de sécurité ou de caissier de dépanneur, il publia son premier ouvrage chez Louise Courteau en 1982 :La lumière différente, un conte fantastique pour enfants. Il est un ardent militant d’Amnistie Internationale et un rédacteur régulier dans des journaux universitaires et communautaires. Finalement, après plusieurs manuscrits non publiés, il publiera chez LÉR Les chroniques du jeune Houdini. D’autres romans sont en chantier… »