Indian Creek

Par Marie-Claude Rioux

Y'a pas à dire, c'est toujours jouissif de prendre un livre en étant assuré de passer un excellent moment. Quand j'ai tiré Indian Creek de mes tablettes, je savais que le bon temps était arrivé. Il faisait frette dehors, une petite neige floconneuse tombait... J'étais due pour une histoire de retraite dans le bois en compagnie d'un chien. C'est immanquable, ce genre d'histoires, je les dévore et les vis par procuration.

Peter Fromm n'a pas besoin de présentation. Indian Creek non plus. Mais pour ceux qui n'aurait qu'une vague idée - ou pas d'idée pantoute - du bonhomme et de son livre, ça raconte l'histoire de Peter, dix-neuf ans, qui, par un concours de circonstance, part vivre de la mi-octobre à la mi-juin dans une grosse tente dans les bois des montagnes Rocheuses, avec, pour seule compagnie, son chien Boone.

Peter a deux semaines pour se préparer. Tout ce qu'il sait, il l'a lu dans des histoires d'aventuriers, de trappeurs, et les romans à la Walden. C'est d'ailleurs avec une "sorte d'hébétude" qu'il a lu de A. B. Guthrie. The Big Sky

Le jeune étudiant part de loin. Il a des croûtes à manger pour arriver à se débrouiller comme ses héros. Entre son fantasme et la réalité, il y a tout un fossé.

Le garde commença à parler de bois à brûler. Je hochais la tête sans arrêt, comme si j'avais abattu des forêts entières avant de le rencontrer. "Il te faudra sans doute sept cordes de bois, m'expliqua-t-il. Fais attention à ça. Tu dois t'en constituer toute une réserve avant que la neige n'immobilise ton camion". Je ne voulais pas poser cette question, mais comme cela semblait important, je me lançai: "Heu... C'est quoi, une corde de bois?"

L'apprentissage est rude: couper du bois à la chainsaw sans se scier un doigt, faire du pain, chasser - idéalement autre chose que des écureuils - , éloigner les prédateurs, ne pas mourir geler, ne pas virer fou. Les premiers temps sont durs. Il en bave, a quelques frayeurs, un peu de désenchantement, quelques coups de cafard. Sa rencontre avec des chasseurs vient mettre un baume sur son ennui. Le jour qu'il parvient à tuer un élan marque un tournant. Ça y est, il est un vrai de vrai aventurier!

Pendant quelques instants, je restai planté là. Le corps de l'animal était beaucoup plus grand que je l'avais imaginé, que j'aurais pu l'imaginer. Je finis par m'accroupir, ne sachant que faire. Je me relevai, prêt à fuir, et je lançai vers l'élan une boule de neige qui l'atteignit aux côtes dans un bruit sourd. Pas de réaction. J'avançai un peu en direction de sa tête. Je lui lançai une deuxième boule de neige, plus violemment cette fois. Je n'avais jamais vu quelque chose d'aussi énorme mort. Je me demandai s'il l'était vraiment. J'arrachai une branche de saule et m'approchai encore, à pas lents. Dans l'un de mes vieux livres, j'avais lu que si un animal ne cillait pas lorsqu'on lui touchait l'œil, cela voulait dire qu'il était bien mort. Je tentai de m'en assurer en tendant le bras et le bâton aussi loin que possible. Le bout de bois toucha le grand œil rond, ouvert et noir, qui ne cilla pas. Soulagé, je fis un pas de plus et plantai une nouvelle fois mon bâton dans l'œil de l'animal. J'avançai dans la neige jusqu'à lui et posai la main sur son énorme flanc. Il n'eut aucune réaction et je sus alors que je l'avais tué. Je m'assis sur l'élan.

Avec les mois qui passent, Peter apprivoise la solitude, devient attentif à son environnement, en apprécie de plus en plus la grandeur et la richesse.

Pendant tout ce temps passé à regretter ce que je manquais dans l'autre monde, jamais je ne m'étais rendu compte de ce que je manquerais en quittant Indian Creek. [...] Il me restait toute une vie à vivre dans la civilisation, mais à peine quelques mois à vivre ici.

Son retour à la civilisation lui fait réaliser à quel point son aventure a été formatrice et l'a transformé à tout jamais.

J'ai été franchement étonnée de découvrir à quel point l'humour était omniprésent entre ces pages. J'en ai ri une shot. Il faut de l'ingéniosité pour penser à réchauffer des crêpes sous ses aisselles ou pisser autour d'une carcasse d'élan pour ne pas se la faire piquer par des coyotes!

Pour la passionnée de récits de vie dans les bois que je suis, j'ai été servie. Indian Creek m'a captivée. L'écriture de Peter Fromm est limpide, teintée d'autodérision. J'avais une certaine appréhension en m'attaquant à ce monument du nature writing. Et si je n'aimais pas? Et si j'étais déçue? Rien de ça n'est arrivé. Maintenant que la glace est brisée, je vais poursuivre, rassurée, ma découverte de l'œuvre de Peter Fromm, Lucy in the sky et le prochain Nom des étoiles en tête.

Que ce récit vous intéresse ou non, que vous l'ayez lu ou non, il faut lire la chronique du Bison. Sa façon d'en parler m'a envoûtée, sans parler de sa fixation sur les serveuses aux poitrines généreuses qui m'a fait me torde de rire!

Indian Creek, Peter Fromm, Gallmeister, coll. "totem", 240 pages, 2010.

Dans le même élan, j'ai ouvert Julius Winsome de Gerard Donovan. Mal m'en a pris. Ça fait deux fois que je tente de le lire. Ça fait deux fois que je ne le termine pas.

C'est l'histoire d'un gars qui vit dans un chalet rempli de milliers livres, au coeur des forêts du Maine, avec son chien. Jusque là, c'était plus que tentant.

Dès le début, son chien se fait tuer par un chasseur. Il pète les plombs, fou de rage, et se met à tirer sur tout ce qui bouge. Après son deuxième meurtre, la coupe était pleine. Autant je peux sauter à pieds joints dans la folie de certains personnages, autant celle-ci m'a semblée sans queue ni tête. Je n'ai pas compris d'où venait cette folie et c'est ce qui m'a empêchée d'aller de l'avant. Je n'arrive pas à comprendre comment un homme en apparence sain d'esprit puisse virer son capot de bord aussi drastiquement lorsque son chien se fait tuer. J'ADORE les chiens et j'en ai eu plusieurs. Je peux comprendre l'amour inconditionnel qu'on leur voue. Mais y'a des maudites limites! Selon Geneviève, "Il y a quelque chose, une petite étincelle de folie qui dort dans sa tête depuis longtemps... La mort du chien la réveille." Cette interprétation m'a réconciliée, mais pas au point d'avoir envie de reprendre ma lecture. De toute façon, j'ai vendu le roman! À lire ici et là les posts sur ce roman, je suis de toute évidence une des seules à être passée à côté de la track. Ça arrive!