Le rêveur qui rêvait.
Vous savez, Pierrot, ce petit être pâle et fragile de notre enfance. Une comptine raconte ses mésaventures au clair de lune. Son regard reste vide, même du haut de son magnifique croissant blanc. Il est comme moi, je me reconnais en lui. Sur les images il est toujours triste, il doit lui aussi s’imaginer une autre vie. Je suis assis au fond de la classe, l’air taquin avec mes taches de rousseur et mon regard bleu ciel. Un temps j’écoute ce que mon professeur explique au tableau et, quelques minutes plus tard, je me raconte une histoire par-delà la fenêtre. Il fait beau, il fait chaud, les oiseaux chantent, oups !
— Pierre, tu n’écoutes pas !
— Euh… oui madame !
— Alors, explique-moi comment on additionne des nombres à deux chiffres.
— Heu…
(Rires)
Le quotidien l’ennuyait,
Le rêveur… rêvait,
Pour lui un rien avait mille couleurs,
Ne sachant que faire, il pleure,
Ainsi rêve… le rêveur.
Je suis gêné, j’ai chaud, la pression me monte aux joues. Mes compagnons de classe me regardent, rient de plus en plus. Comme toutes les fois, je ne me sens pas à ma place, comme si je ne venais pas de ce monde. Je m’en imagine alors un bien meilleur. Un monde dans lequel les gens ne me disent pas tout le temps : Ça c’est Pierre tout craché, s’il n’avait pas les fesses et les bras bien attachés, il les oublierait eux aussi.
Comme tous les soirs, je pars à pied de l’école avec ma sœur d’un an ma cadette. J’entre dans la maison avec une seule mitaine à la main, mon foulard a disparu comme par enchantement dans l’après-midi et ma tuque ne protège que le bout de ma tête. Mon menton, comme à l’habitude, rappelle toujours mon dernier repas, ma mère me nettoie avec amour me reprochant la mitaine manquante. Ce n’est que la troisième paire cette semaine.
— L’hiver commence, mon amour ! soupire ma mère en direction de mon père.
Pauvre de moi, je sais, je m’en veux, mais que puis-je répondre, mis à part…
— Désolé, Maman, avec un air repentant.
Le quotidien l’ennuyait,
Dans la lune tout s’ensoleillait,
Mais la réalité le hantait,
Le rêveur, lui, rêvait…
Les devoirs sont une corvée, ah non ! Pas encore, pas ce soir ! J’aime mieux jouer aux blocs l’Égo dans ma chambre ou faire crier ma sœur, c’est bien plus drôle. Mais bizarrement, mes parents et mes professeurs ne comprennent pas mon humour en herbe et je ne gagne généralement que des retraits. Quelle misère, je pleure un peu, je crie et je retourne à mes constructions.
— Pierrot vient manger !
— Oui, atta-peu !
— Non, on n’attend pas Pierre, tout de suite !
— Oui ! Oui ! (Soupir.)
Au souper, mes parents semblent découragés, ils sont souvent tristes. Je ne comprends pas pourquoi ma mitaine perdue les a atteints à ce point.
— Ah, non ! Pas du spaghetti, yark !
— Pierre, on ne dit pas yark. C’est ce qu’on mange ce soir et c’est tout. Prends au moins quelques bouchées.
— Oooké ! (Soupir.)
— Pierrot, tu sais que demain matin on commence ta médication. Ça va t’aider à te concentrer. Comme t’a expliqué le médecin ce matin.
— Ouais ! Ouais ! (Je m’en fous, j’veux juste aller jouer. J’ai rien compris de son charabia. De toute façon, on verra bien.)
Le rêveur veut rêver,
Mais il ne sait comment y arriver,
Il veut aimer, il veut tout simplement rêver.
Le lendemain, étrangement, je suis revenu avec mon lunch et mes mitaines et tous mes devoirs étaient dans mon sac à dos. Je suis fière de moi, et maman aussi. J’ai réussi à terminer mes travaux en classe, même si Thomas riait derrière moi. Je me suis même surpris à me retourner pour lui demander d’arrêter. Mon professeur voit mes efforts et m’encourage. Mes parents sont plus calmes et heureux. J’ai moins de punitions. Mes notes à l’école montent et on rit beaucoup moins de moi. Pierrot la lune est devenue tout simplement Pierre. Il a juste troqué son beau croissant d’argent contre une nouvelle confiance en or. Il a échangé la tempête dans sa tête contre une immense bibliothèque, ou les informations sont plus facilement accessibles.
Mais, il garde la capacité de retourner sur sa belle lune quand cela lui chante et sans que ça déstabilise son entourage et son for intérieur…
Le rêveur sait maintenant rêver,
Sa vie à complètement changé,
Laissons les peurs et le passé passer…
Connaissez-vous, ou reconnaissez-vous cet enfant ?
Notice biographique
Karine St-Gelais est une écrivante qui promet. Nous avons aimé ce conte plein de fraîcheur et de naïveté enfantinesqu’elle nous offre. Laissons-la se présenter. « Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des frasques de l’enfance et des coups d’œil sur ma région. Je suis mariée depuis dix ans. J’ai trois beaux enfants, un affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet de 21 ans. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout. Au plaisir de vous rencontrer sur mon blog:http://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphey »