François Mauriac (1885-1970) est lauréat du Grand Prix du roman de l'Académie française (1926), membre de l'Académie française (1933) et lauréat du prix Nobel de littérature (1952). Il est décoré de la Grand-croix de la Légion d'honneur en 1958.
Dans les années 20 François Mauriac s’intéresse aux meurtrières et empoisonneuses, collectant informations et documents sur diverses affaires qui firent grand bruit à cette époque comme le cas de Violette Nozières par exemple. De ce matériau l’écrivain va créer Thérèse Desqueyroux qui parait en 1927.
Le roman débute par la sortie du palais de justice d’une petite ville de province du Sud-ouest, de Thérèse Desqueyroux qui vient d’obtenir un non lieu pour tentative de meurtre par empoisonnement de son mari. Pour son avocat et son père venu la chercher afin de la raccompagner chez son époux, sa culpabilité ne fait pas de doute. Une longue partie du récit, toute la durée du trajet entre sa sortie du tribunal et son retour au domicile conjugal dans une autre ville, est un monologue de Thérèse Desqueyroux cherchant à mettre en mots ce qui s’est passé afin de l’expliquer à Bernard, son mari. Mise au point pour lui, comme pour elle, car la tentative d’homicide n’était pas préméditée, l’occasion s’est présentée et elle n’a pas résisté, cédant à une fatalité inexorable. Après avoir fait défiler toute sa vie en pensée pour tenter d’expliquer l’inexplicable, Thérèse rentre chez elle mais n’aura pas l’occasion d’avoir une discussion franche avec Bernard, aussitôt elle est consignée dans sa chambre avec interdiction d’en sortir, ses repas lui étant apportés par une domestique. A la fin du roman, Bernard accompagne sa femme à Paris et la « libère », la relâchant dans la grande ville comme on ferait d’un animal sauvage qu’on n’a pas su apprivoiser. Bernard ne saura jamais pourquoi se femme a tenté de le tuer et Thérèse est libre. Mais ne reste-t-elle pas néanmoins une femme perdue ? La fin ambiguë laisse la porte ouverte à toutes les interprétations.
François Mauriac excelle à dépeindre ces villes de province où la pression des convenances étouffe les êtres. Ne vivent que ceux qui se plient aux contraintes, que ce soit par faiblesse, par lâcheté ou bien par manque d’imagination, les autres doivent fuir ou bien se rebeller mais quelle est leur chance de réussir ? Le père de Thérèse tout comme les Desqueyroux sont de petits notables de province, sans imagination et tout imprégnés du poids des convenances, tout ce qui peut faire tort à leur réputation doit être étouffé. La tentative de meurtre de Thérèse n’échappe pas à ce raisonnement et Bernard ira même jusqu’à faire un faux témoignage pour innocenter sa femme afin que l’honneur familial ne soit pas terni. Cette même famille qui condamnera Thérèse à la réclusion dans sa chambre, avec comme seules exceptions, la sortie à la messe du dimanche au bras de son mari et les réunions nécessitant sa présence pour conserver au couple l’image de la respectabilité.
Thérèse n’est pas de cette espèce, inconsciemment elle sait qu’elle n’est pas faite pour ce genre de vie, sans pour autant savoir réellement à quelle existence elle voudrait se vouer. Mariée avec Bernard « selon le vœu des deux familles », elle aurait souhaité de la légèreté, une vie intellectuelle, lui n’a que la rusticité provinciale à lui offrir. Très vite elle va sombrer dans l’indifférence que même la naissance d’un enfant ne réveillera pas, « n’éprouves-tu jamais, comme moi, le sentiment profond de ton inutilité ? Non ? » s’interroge-t-elle. Cette chape de plomb qui pèse sur ses épaules n’est plus supportable, pourquoi faut-il que « les femmes de la famille aspirent à perdre toute existence individuelle ». Quand le hasard offrira une porte de sortie à Thérèse - son mari malade prend des médicaments qui surdosés peuvent lui être fatals - sans réfléchir et presque inconsciemment, elle ne cherchera pas à infléchir le cours du destin.
Roman de l’ambiguïté, Thérèse a tenté de tuer son mari, mais pourtant elle ne nous est pas antipathique, c’est plutôt Bernard son mari et toute la société qui ont le mauvais rôle, et les dernières lignes du livre nous laissent dans l’incertitude sur l’avenir de cette femme qui porte en elle les germes de la modernité, alors que nous ne sommes qu’en 1927, indépendance d’esprit et besoin de liberté, sans que ce soit formellement exprimé.
« Thérèse n’a plus peur ; elle a envie de rire ; il est grotesque ; c’est un grotesque. Peu importe ce qu’il dit avec cet accent ignoble et qui fait rire partout ailleurs qu’à Saint-Clair, elle partira. Pourquoi tout ce drame ? Cela n’aurait eu aucune importance que cet imbécile disparût du nombre des vivants. Elle remarque, sur le papier qui tremble, ses ongles mal tenus ; il n’a pas de manchettes, il est de ces campagnards ridicules hors de leur trou, et dont la vie n’importe à aucune cause, à aucune idée, à aucun être. C’est par habitude que l’on donne une importance infinie à l’existence d’un homme. »
François Mauriac Thérèse Desqueyroux Le Livre de Poche - 184 pages –