Old Pa Hermann a toujours le feu sacré

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

Old Pa Anderson (Hermann – Yves H. – Editions Le Lombard)

Une bourgade paumée dans l’Etat du Mississippi, au début des années 50. Une petite ville poussiéreuse, dans laquelle le shérif n’aime pas beaucoup voir ces « saletés de négros » traîner dans les rues. Pas de quoi offusquer Old Pa et Old Ma Anderson, un couple de vieux noirs retraités. Le racisme ordinaire, ils y sont habitués depuis toujours, comme tous les autres représentants de la communauté noire de la ville. Les journées d’Old Pa et Old Ma sont bien mornes depuis que leur petite-fille adorée Lizzie a disparu huit ans auparavant. Le seul plaisir que s’offre encore le vieil homme de temps en temps, c’est une bière bien fraîche et un bon moment avec la serveuse dans le café réservé aux personnes de couleur. « Où es-tu encore allé traîner? Je préfère ne pas entendre ta réponse, tu t’arrangeras avec notre Seigneur! », lui reproche Old Ma à son retour. Dans la soirée, la vieille femme ne se sent pas bien et décide d’aller s’allonger. Lorsqu’Old Pa la rejoint un peu plus tard, elle est morte. Son enterrement est triste et pluvieux, à l’image de la fin de sa vie. Old Pa est inconsolable, mais son chagrin va rapidement se transformer en colère. Le vieil homme apprend en effet par son ami Otis que la disparition de Lizzie n’est peut-être pas si inexplicable que ça. Huit ans plus tôt, Louise, la fille d’Emmet, a vu Lizzie se faire embarquer dans une voiture par trois blancs… Parmi eux, Louise a reconnu Dixie, un mécanicien qui travaille au garage Tulsa. En quelques secondes, la décision d’Old Pa est prise. Toute sa vie, il a courbé l’échine devant les blancs. Cette fois, il ne se laissera plus faire. Calmement, il s’empare de sa batte de base-ball et se rend au garage Tulsa pour faire cracher le morceau à Dixie et retrouver aussi les deux autres coupables. Puisque la justice ne condamne jamais les blancs quand ils s’en prennent aux noirs, il décide de se faire justice lui-même. Avec toute la détermination d’un homme qui n’a plus rien à perdre.

A presque 80 ans, Hermann garde le feu sacré. Comme le souligne son éditeur, les planches dessinées par l’auteur belge sont « physiques et intenses, parfois presque violentes », avec « un sens consommé des ambiances, un talent peu commun pour suggérer les matières, une énergie omniprésente ». Après avoir démontré au cours de sa carrière qu’il est à l’aise dans toutes les époques (le western avec Comanche, le futur post-apocalyptique avec Jeremiah, le médiéval avec Les Tours de Bois-Maury), Hermann se concentre sur les « one-shots » depuis quelques années, avec à chaque fois son fils Yves H. au scénario. C’est ce même tandem qu’on retrouve aux commandes de ce « Old Pa Anderson », une histoire dure et sans beaucoup d’espoir, comme souvent chez Hermann, qui se base sur des faits réels pour aborder la ségrégation et les crimes souvent impunis dont ont été victimes beaucoup de noirs dans le sud des Etats-Unis à cette époque-là. « Old Pa Anderson » est un album classique et efficace. Une réussite qui s’explique notamment par le dessin à l’aquarelle de Hermann, qui reste décidément d’une grande force, notamment dans les scènes où Old Pa est traqué dans les bois par des blancs qui rêvent d’en découdre avec lui. Hasard du calendrier: quelques jours à peine après la sortie de l’album « Old Pa Anderson », Hermann remportait le Grand Prix 2016 de la ville d’Angoulême, le prix le plus prestigieux du monde de la bande dessinée. Une sacrée récompense pour cet auteur autodidacte originaire du petit village de Bévercé, dans les Ardennes belges, pas loin de la frontière allemande. Depuis 1974, seuls quatre autres auteurs de BD belges ont reçu ce même Grand Prix. Leurs noms? Franquin, Jijé, Morris et Schuiten. Que du beau monde!