Mes pas crissent. Les raquettes s’agrippent. Le vent se repose. La neige neige, le poète l’a dit*. Elle ne tombe pas, ne pleut pas. Elle neige. Avec ses mystères. Avec ses flocons aux formes fractales. Une goutte d’eau, un flocon. Les gouttes sont semblables. Pas les flocons. Chacun est unique. L’eau a son favori.
La neige neige donc, volage, hésitante. Elle danse. Un pas de côté, un pas en avant. Imprévisible. Des papillons blancs. La neige déjoue le temps, défie l’espace. Aucun itinéraire. La neige est libre.
Une fois au sol, la neige est lumière. La grisaille s’éclaire, les pupilles se contractent. Le sentier, un minuit de nouvelle lune, échappe aux ténèbres. Là où les pieds s’effraient la nuit d’été, la neige guide les pas, le chemin congédie la noirceur, s’ouvre au marcheur parmi les ombres.
Les flocons dans le vent ramènent aux joies naïves de l’enfance, à ce temps sauvagement emporté, à ces jours d’école perdus, à ces anges immaculés, à ces glisses sur le flanc d’un talus, au souffle court le nez au vent, au roi de la montagne.
Car la neige, nous l’avons dans la peau. Du moins, nous, les natifs du Nord. Pas l’hiver. Parce que, l’hiver, même le Sud en a un. Il fait juste plus chaud là-bas, trop chaud pour la neige. L’hiver y ressemble donc à l’été, au printemps, à l’automne. Parfois, tout au plus, il se prend pour un novembre sans fin. Ici, au Nord, la neige nous est gravée dans la chair. Par leur ténacité, par leur rage de vivre, à coups d’engelures et de souffrances, nos ancêtres l’ont apprivoisée, non sans quelques cicatrices dans les gènes, léguées d’une génération à l’autre, jusqu’à nous. Aujourd’hui, nous la maîtrisons. Ski, raquettes, patins, traîneau à chien, motoneige. Nous nous amusons avec la neige, quand elle ne se rit pas de nous, lorsqu’elle tempête. Infidèles, nous rêvons alors de Sud. La neige est notre souffre-douleur. Quand on ne sait plus où la déposer, nous grognons. Il n’y en a pas pour Noël, nous râlons. Ici, un Noël gris ou vert n’est pas Noël. Il doit être blanc. C’est la loi de nos traditions. Les Fêtes à peine consommées, nous espérons les chauds rayons de soleil.
La neige est si pure, un instant de grâce qui rend heureux. Mais attention. Elle nous leurre. Au printemps, elle fond. Comme il arrive parfois au bonheur. Ce n’est pas ici une fourberie. C’est une mise à l’épreuve. Pour tester notre confiance en la vie. La neige fond, certes. Mais elle ressuscite. Sous forme de fleurs.
Soir d’hiver, Émile Nelligan.
© Jean-Marc Ouellet 2016