"Chacun par son talent cherche à faire fortune et peu de gens y peuvent parvenir".

J'ai longtemps hésité, choisir pour titre de ce billet une citation extraite du livre ou aller fouiner sur les moteurs de recherche pour trouver LA phrase qui claque. Finalement, je me suis décidé pour la première solution (un peu faute de ne pas avoir trouvé ailleurs ce que je cherchais) et, si vous lisez le livre, vous serez peut-être surpris de voir où se trouve notre titre. Pourtant, c'est elle qui m'a semblé bien coller à ce polar historique, deuxième volet d'une série entamée avec "le printemps des enfants perdus". Pour "Le fard et le poison" (en grand format aux Presses de la Cité), Béatrice Egémar ne s'est pas appuyé sur des faits réels, cette fois, mais mixe fiction et personnages historiques. A commencer par la Marquise de Pompadour, personnage-clé de cette deuxième enquête de Manon Dupré, qui porte désormais un nom de femme mariée on ne peut plus adapté : Vérité.
Juin 1751, le couvent de l'Assomption, situé en plein coeur de Paris, est en émoi. On vient de retrouver au bas du grand escalier, le corps sans vie de Soeur Agnès, une jeune novice de 18 ans. Une blessure au crâne est bien visible et tout semble indiquer qu'elle a chuté dans cet escalier, dont certaines soeurs ont souvent souligné la dangerosité.
Soeur Saint Jean Chrysostome, la Mère Supérieure du couvent, est aussitôt prévenue. C'est la première fois qu'un tel accident se produit en ce lieu et cela pourrait bien provoquer quelques remous. Car, le couvent de l'Assomption n'est pas tout à fait un couvent comme les autres. Outre les soeurs et les novices, il accueillent également des jeunes demoiselles issues de la plus haute aristocratie.
Ces jeunes filles, à qui l'on donne le meilleur enseignement possible, vivent dans des appartements au sein du couvent, le plus souvent, accompagnés par leurs gouvernantes. Une situation qui complique un peu la tâche de Soeur Saint Jean Chrysostome et de son économe, Soeur Dorothée, mais qui permet aussi d'obtenir de quoi entretenir l'établissement.
La mort de Soeur Agnès pourrait évidemment revenir aux oreilles des parents des jeunes filles et ce n'est jamais bon. Surtout lorsqu'on accueille, parmi ces demoiselles de la plus honorable société, une certaine Alexandrine Lenormant d'Etiolles, dont la mère n'est autre que la Marquise de Pompadour, favorite du roi Louis XV.
Mais le ciel s'assombrit encore un peu plus lorsque Soeur Antoine, une des autres religieuses de l'Assomption, vient témoigner de faits troublants. Elle affirme avoir nettoyé un chandelier portant des traces de sang, tout près de l'endroit où l'on a retrouvé Soeur Agnès... Se pourrait-il que l'accident n'en soit pas un ? Qu'il s'agisse d'un meurtre ?
Soeur Antoine n'est pas n'importe qui : elle est la soeur (le lien du sang, cette fois), du chirurgien François Vernet. Celui-ci, appelé sur les lieux, a constaté le décès de la novice, mais a aussi écouté le récit de sa soeur. Difficile de se prononcer avec certitude, mais cela préoccupe François qui, à son tour, confie son inquiétude à sa belle-soeur, Manon Vérité.
Quelques mois ont passé depuis la terrible affaire des enfants perdus, dans laquelle Manon a été impliquée bien malgré elle. La jeune parfumeuse a, depuis, convolé en justes noces avec Joseph Vérité, garde-française rencontré lors de ces tristes événements. Et la jeune femme, associée à son frère Claude, continue à faire prospérer sa boutique, "le Bouquet de Senteurs".
Une boutique, d'ailleurs située assez près du couvent de l'Assomption, où une clientèle toujours plus nombreuse, souvent issue de l'aristocratie, vient se ravitailler en fards, parfums et divers accessoires à ma mode pour satisfaire la coquetterie de ces dames. Et, parmi ces prestigieuses clientes, on trouve, là encore, la Marquise de Pompadour...
Manon est une remarquable parfumeuse, un nez expert et sa réputation ne cesse de grandir. Mais, c'est aussi une jeune femme éprise de justice et, disons-le, une petite curieuse. Le récit de François fait vibrer cette corde chez elle et la voilà qui se met en tête de découvrir ce qui a pu se passer à l'Assomption et qui pourrait avoir un mobile pour tuer Soeur Agnès.
Une volonté qui va être renforcée lorsque Soeur Antoine, dont le récit n'a guère trouvée d'écho auprès de sa Mère Supérieure, est soupçonnée du crime et envoyée dans cet endroit terrible qu'est la Salpêtrière. Un lieu sinistre où l'on enferme des femmes, mendiantes, folles ou présumées telles, dans des conditions exécrables, innommables...
Il devient donc urgent d'éclaircir les circonstances de la mort de Soeur Agnès car Soeur Antoine, déjà fragile, pourrait bien dépérir en ces lieux sinistres. Mais, alors qu'elle se démène, voilà que Manon doit affronter une autre épreuve : des clientes viennent au "Bouquet de Senteur" se plaindre. Certains fards ou parfums fabriqués par la boutique auraient eu des effets indésirables...
Voilà Manon et Claude accusé de vendre des produits dangereux, capables de défigurer les unes et d'empoisonner les autres... Manon n'en croit évidemment rien, elle sait que ses produits sont de qualité, mais si la nouvelle se répand, il en sera fini de la boutique familiale. Il va vite falloir comprendre qui leur en veut. A moins que la cible ne soit pas les Dupré, mais une de leurs plus célèbres clientes...
Je l'ai dit en introduction, l'intrigue du "Printemps des enfants perdus" s'inspiraient de faits bien réels et d'une affaire qui défraya la chronique à Paris en 1750, au point de susciter une vraie psychose. Le personnage de Manon, impliqué dans ces événements, revient cette fois dans une histoire entièrement fictive, même si des personnages réels viennent s'y mêler.
Deux intrigues viennent s'entrelacer dans "le fard et le poison", ce qui complique évidemment la tâche de notre enquêtrice amateur, Manon Vérité, obligée, encore une fois, d'agir pour défendre sa réputation et l'honneur de son commerce et de sa famille. Cela nous donne une histoire riche, qui par dans des directions bien différentes et nous entraîne dans des lieux remarquables.
J'ai déjà évoqué le couvent de l'Assomption et la Salpêtrière, qui apparaissent rapidement, mais il nous faut en citer un troisième, le château de Bellevue, à Meudon, que fit construire Mme de Pompadour, dit-on, pour une somme colossale. Pas vraiment de quoi arranger la réputation de la favorite, qui ne jouit pas, et c'est un euphémisme, d'une popularité exceptionnelle parmi les sujets de son royal amant.
Aperçue dans "le printemps des enfants perdus", la Marquise de Pompadour tient cette fois un rôle très important dans "le fard et le poison". On ne va évidemment pas en dire trop à ce sujet, mais Béatrice Egémar joue admirablement sur le contexte dans lequel se déroulent les événements que nous venons d'évoquer.
En effet, la relation entre Louis XV et sa favorite ont sensiblement évolué à cette période. La favorite demeure une intime du roi, mais elle n'est plus sa maîtresse, à son grand dam. Les appétits sensuels de Louis XV le poussent à multiplier les conquêtes, le plus souvent éphémères, mais la Marquise redoute qu'une autre finisse par prendre la place privilégiée qu'elle occupe auprès de lui depuis quelques années.
Aussi, cherche-t-elle par tous les moyens à le reconquérir... Quitte, pour cela, à se consacrer à plein temps à son rôle de favorite et à déléguer l'éducation de sa fille à d'autres, qu'il s'agisse de gouvernantes ou de religieuses. Voilà pour l'aspect personnel, mais ce n'est pas le seul qui doit être considéré.
Un mot de l'aspect public. Si Louis XV est surnommé le Bien-Aimé, nul doute sur le fait que Mme de Pompadour est, à cette époque, la femme la plus haïe du Royaume. A la Cour, où on la jalouse et la dénigre, où on lui reproche de vouloir gouverner à la place du roi et de placer ses hommes aux postes d'importance, comme dans le peuple qui n'accepte pas cette favorite ambitieuse, son image est déplorable.
Pamphlets, libelles, chansons insultantes et dégradantes fleurissent un peu partout la visant directement. Elle-même redoute sans cesse quelque agression, voire pire. Il faut dire que, depuis la Voisin et la Brinvilliers, 80 ans plus tôt, on connaît bien des recettes, et même parfois assez discrètes, de faire passer son prochain de vie à trépas...
Cette époque, le règne de Louis XV, est d'ailleurs marqué par ce paradoxe, que j'ai déjà souligné sur ce blog, en particulier à propos des romans d'Olivier Barde-Cabuçon : siècle des Lumières, où le pouvoir religieux se durcit pour conserver ses positions, le XVIIIe siècle voit aussi se multiplier les superstitions, croyances en la sorcellerie, en l'alchimie, en la magie...
Un siècle aussi où l'ambition est partout. Entre grâce et disgrâce, la chance de s'élever (mais aussi celle de chuter un jour, et plus dure est toujours la chute) est réelle et Jeanne Poisson, devenue marquise et favorite, en est l'exemple parfait. Voilà qui nous amène au titre de ce billet, en pensant à ceux qui, comme le dit Cyrano, grimpent par ruse au lieu de s'élever par force.
Ruse... ou séduction, en ce qui concerne la Marquise. Mais toutes les armes sont bonnes pour parvenir à ses fins, lorsque la naissance ne vous a pas permis de tout acquérir sans effort. On peut, évidemment, se faire une place de choix, comme Manon avec sa parfumerie, par sa compétence mais, dans une société où le paraître a largement surpassé l'être, on peut aussi réussir avec des qualités bien différentes...
Il y a donc, autour de Manon, une nouvelle fois embarquée sans vraiment le vouloir dans un enchaînement d'événements qui la dépassent ou que, tout du moins, elle ne maîtrisent pas, ce curieux mélange de tension, de peur et d'ambitions. De quoi faire émaner un parfum qui n'est certainement pas le meilleur qu'on puisse sentir...
Manon, elle, ne cesse de prendre confiance en elle. Sur le plan professionnel, jamais elle ne doute, ni ne se décourage, même lorsque sa boutique se retrouve dans l'oeil du cyclone. Pas d'internet et d'effet Streisand, au XVIIIe siècle, mais pas besoin de technologies très performantes permettant de toucher le monde entier pour pourrir une réputation dans une ville malgré tout assez peu étendue comme Paris.
La relation avec son nouvel époux tient une place qui n'est pas de premier plan mais qu'on ne doit pas non plus négliger, dans ce roman. L'indépendance de la jeune femme, si elle n'est pas empêchée par Joseph, crée parfois un peu de friture entre les deux jeunes mariés. Mais l'on sent aussi l'amour sincère qui les unit et la complémentarité qu'il peut y avoir entre eux.
Le paisible Joseph, bien que portant l'uniforme, va devoir se faire au caractère tout feu, tout flamme de sa jeune épouse, l'impétueuse Manon, qui, lorsqu'elle se met une idée en tête, va toujours jusqu'au bout, quitte à se mettre parfois en danger. Mais, lorsqu'on s'appelle désormais Vérité, ne se doit-on pas de tout mettre en oeuvre pour honorer ce patronyme ?
Cette deuxième enquête, menée par une enquêtrice atypique, frêle jeune femme fréquentant cette aristocratie à laquelle elle n'appartient pas, cherchant à démasquer des assassins et des personnages dangereux et néfastes. Il y a chez Manon quelque chose qui rappelle les justiciers de mon enfance, les Club des 5 ou Fantômette, même si là, on parle bien de polars destinés aux adultes.
Je lui trouve à la fois cette fraîcheur, cette naïveté, cette espièglerie et cette détermination qui en font un personnage attachant. Ce roman fait la part belle aux personnages féminins, j'en ai évoqué un certain nombre, mais il y en a d'autres, dans une société pourtant largement dominée par les hommes. Manon y tire parfaitement son épingle du jeu, simplement par sa perspicacité et sa volonté de comprendre... Et l'on a hâte de vite la retrouver.