Le cœur de ceux qui nous ont foutu la vie ne devrait jamais être autorisé à cesser de battre. Et si un homme averti en vaut deux, celui à qui on est en train d’apprendre le départ d’un être cher, même s’il pèse aussi lourd que le ciel qui s’abat sur lui, ne vaut même plus ce clou qu’on vient de lui planter dans le palpitant. Depuis que tu es parti, je ne sais plus quoi faire de tout ce vide que j’avais fait en moi, pour accueillir tes papillons qui me faisaient des guilis dans le ventre et tes piranhas qui faisaient leur fête à tous ces clichés dont mon crâne s’était gavé. Les gens disent que c’est normal, que ça va passer, qu’il faut laisser le temps au temps et le deuil faire le taf pour lequel on le paye. Mais je n’ai plus de quoi rembourser les ardoises que je lui laisse depuis que le cœur de ceux qui ont su me réchauffer s’autorise une pause dans le congélateur ; mais je n’ai plus assez de force pour croire ni au silence des églises ni aux mots de ceux qui le brisent en y pleurant si fort que leurs larmes emportent avec elles tous les sourires que tu avais semés le long de leur existence.
Depuis que tu es parti, je ne sais plus comment je faisais avant toi pour aimer, ceux dont le torse porte un peu de ta sueur, mais préfèrent se parfumer pour la dissimuler et t’enterrent un peu plus à chaque fois qu’ils refusent de parler de toi, ceux dont le front n’a jamais su se creuser du manque comme ils n’ont jamais pris avant le temps de faire un pas vers toi. Les gens disent que c’est normal, que ça va passer, qu’il faut laisser le temps au temps et la douleur crever dans le caniveau que ton absence a creusé. Mais je n’ai jamais su me résigner, me trouver toutes les excuses du monde pour ne pas porter assistance à tous ces souvenirs en danger que les autres laissent se jeter dans l’oubli, construire une nouvelle histoire sur les fondations que tu avais posées et qui, depuis que tu es parti, ne savent plus porter que ce mur qui m’éloigne de ce monde que tu ne peuples plus.
Je t’avais promis de ne jamais te faire payer le prix de l’amour que je te portais ; tu es parti sans même prendre la peine de laisser un post-it sur le frigo dans lequel, depuis que ton cœur s’est autorisé à cesser de battre, je ne trouve plus de quoi remplir le vide que tu as laissé en moi. J’aurais aimé, comme ceux qui savent trouver les mots et tourner cette page qui pèse un kilo de plombs, pleurer dans les églises, te raconter à quoi ressemblent mes semaines chaque dimanche dans le cimetière, m’abandonner à Morphée même si, depuis que tu es parti, ton regard planqué derrière ce cadre que je n’ai jamais réussi à coucher sur la table de nuit brille même dans la nuit, et fait l’oreiller peser un kilo de plumes. Je t’avais promis de ne jamais prendre en otage ta tendresse ; tu avais posé des pièges à loups à l’orée de la forêt où ma raison se perdait à chaque fois que je ne savais pas tenir mes promesses. Tu avais peur de cette forêt, mais c’est toi qui t’y es perdu ; tu craignais que la fougue de mes vingt ans ne trouve jamais le repos ailleurs que dans la gueule de tous ces loups qu’elle abritait comme, depuis que tu es parti, mes épaules portent le poids de toutes ces années que je n’ai jamais su soulever, et que les seules cicatrices dont j’aurais pu me targuer, si j’avais su me foutre à poil devant d’autres yeux qui ne réfléchissent jamais les mêmes éclats que les tiens, viennent des crocs de ces chiens qu’on croisait chaque matin le long de la rue piétonne en pensant qu’ils souriaient, mais qui montraient les dents et n’attendaient que ton départ pour me sauter dessus.
Je n’ai jamais eu peur de m’enfoncer dans la forêt, mais, depuis que tu es parti, je laisse mon corps se draper des feuilles mortes que le vent, même s’il n’a plus la force de les emporter, leur murmure de quoi se souvenir de toi. C’est toi qui es parti, mais c’est moi brille par mon absence dans cette vie qui, depuis que tu as cessé d’y exister, ne m’intéresse plus.
Notice biographique
Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture. C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle. Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis, au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie : http://blogmaestitia.xawaxx.org/