Toujours intéressant de découvrir de nouveaux livres sur des thèmes et des sujets qui ont déjà été traités par d'autres. Pas pour faire des comparaisons, c'est vain et un peu puéril, mais tout bonnement pour changer d'angle. Notre livre du soir va permettre cet exercice de façon idéale. Quelques années après avoir été au centre de "la princesse effacée", d'Alexandra de Broca, on retrouve Marie-Thérèse Charlotte, Duchesse d'Angoulême dans un premier roman mettant sa vie en scène : "Mousseline la sérieuse", de Sylvie Yvert (en grand format aux éditions Héloïse d'Ormesson). Cette fois, la Duchesse elle-même se raconte, jeune fille emportée dans les vents de l'histoire et qui peinera toute son existence à s'en remettre, ayant traversé un siècle tourmentée, avec la fin de la monarchie de droit divin, trois révolutions, la Terreur, l'Empire, la Restauration, la Monarchie de Juillet et même la République. Elle va s'éteindre peu avant que ne soit instauré un Second Empire qui, n'en doutons pas, l'aurait particulièrement agacée et désolée... Portrait d'une femme forte, discrète, influente, "le seul homme de sa famille", pour reprendre la formule de Napoléon.
1851, au crépuscule de son existence, Marie-Thérèse Charlotte, Duchesse d'Angoulême s'astreint à écrire ses mémoires avant de s'éteindre. Une manière de raconter une existence hors norme qui ne l'a pas ménagée, mais aussi de donner son point de vue sur 70 années d'une histoire très mouvementée. Une histoire qu'elle a vécu, pour le pire, aux premières loges.
Marie-Thèrèse Charlotte, qu'on a appelé un temps Madame Royale mais qui préférait l'affectueux surnom de Mousseline la sérieuse dont on l'a affublée dans son enfance, est la fille aînée de Louis XVI et Marie-Antoinette. Elle est surtout la seule survivante de sa famille, décimée sous la Terreur, et sera, plus tard, et pour quelques jours à peine, la dernière Reine de France. Une reine en exil et sans trône.
Née à la fin de l'année 1778, elle est encore une fillette quand tombe la Bastille et que débute la Révolution. Elle fut le témoin privilégié de cette période, suivant son père dans cette période d'impossible gouvernance, lors de la fuite Varennes puis le retour aux Tuileries, l'emprisonnement au Temple,..
Dans cette prison, elle va rester enfermée près de trois ans et demi. Plus de mille jours, calcule-t-elle, au cours desquels ses parents, sa tante et un bon nombre de ses amis seront exécutés, et son jeune frère, malade, s'éteindra. Elle subira cette réclusion dans des conditions très rudes, jusqu'à ce que Robespierre ne tombe et que Barras ne vienne alléger sa détention.
Devenue une marchandise, ou une monnaie d'échange, entre le nouveau pouvoir français et les monarchies voisines, en particulier l'Autriche, elle finira par partir en exil pour une vingtaine d'années. Ensuite, après un retour difficile sous la Restauration, pas loin d'avorter au moment des Cent Jours, elle quittera définitivement la France, son pays de coeur, pour connaître une nouvelle vie d'exil achevée en Autriche.
"Mousseline la Sérieuse" est le récit de ce destin extraordinaire par la Duchesse elle-même. Des souvenirs dans lesquels elle revient sur ces grandes étapes, mais aussi, à travers cette expérience, sur l'Histoire de France telle qu'on la raconte. Une sorte de contrechamp à ce que l'on appellerait, de nos jours, le roman national.
Sylvie Yvert reprend d'ailleurs bon nombre d'épisodes et de phrases que nous connaissons tous pour que la Duchesse puisse donner son point de vue. On s'en doute, le regard n'est pas tout à fait le même que celui que l'on a dans nos livres d'histoire. Mais, cette manière de contrebalancer les choses, que j'ai trouvée assez nuancée, d'ailleurs, est loin d'être inintéressante.
Evidemment, sans surprise, c'est la période de la Révolution qui occupe la plus grande partie de ce récit faussement autobiographique. Sylvie Yvert s'appuie sur le peu d'écrits laissés par la Duchesse, dont la plupart date de la période au Temple et furent révisés, si je puis dire, par Louis XVIII après sa libération.
Mais, ce personnage historique oublié, ou en tout cas très méconnu, que ce soit dû à sa propre volonté ou à celle des historiens, a en revanche inspiré bien des écrivains, et pas seulement actuels. Balzac et Hugo se sont penchés sur son cas, et bien sûr Châteaubriand, auquel Sylvie Yvert rend hommage en évoquant dans les premières pages les "mémoires d'outre-tombe", à propos de son livre.
Au-delà du factuel, de ce témoignage de première main dans lequel personne ou presque n'est épargné (à l'exception de ses très proches, on va en dire un mot plus loin), c'est un portrait passionnant qui se dessine. Celui d'une femme qui a refusé de devenir le symbole qu'on voulait faire d'elle, qui a souffert du profond traumatisme de cette jeunesse confisquée mais ne voulait pas céder à la facilité de se présenter en martyre.
Discrète, la Duchesse d'Angoulême va choisir de l'être, sans pour autant renoncer à jouer un rôle politique auprès de ses oncles, Louis XVIII et Charles X, en les conseillant, les incitant à la modération et la conciliation. Inlassablement, elle a combattu les extrêmes, qu'ils soient ou non favorables à la monarchie, sachant mieux que quiconque où peut mener l'extrémisme.
Mousseline la Sérieuse va le rester toute sa vie, mais on peut imaginer que sa gravité, une fois adulte, n'est pas seulement liée à son caractère inné, mais aussi à ce qu'elle a traversé. Difficile, quand le souvenirs des siens la ramènent sans cesse à un deuil impossible, à l'ignorance dans laquelle elle fut tenue du sort de ses proches (à l'exception de son père, et sans doute de son frère, dont elle a compris qu'il était mort).
Sa sévérité, son austérité, traits de caractère dont elle sait pertinemment qu'on lui prête, sont aussi une protection qu'elle dresse. Mais, ces éléments de sa personnalité sont aussi ceux avec lesquels elle juge les événements que la France va traverser à la fin de la Révolution et jusqu'à ces derniers jours. Je l'ai dit, ses critiques n'épargnent personne, et sa rancune reste tenace, on peut le comprendre aisément.
Alexandra de Broca avait choisi un regard décalé, en plaçant la narration entre les mains de Renée de Chanterenne, la dame de compagnie qui deviendra sa confidente au cours des derniers mois de sa réclusion et lui redonnera vie. Sylvie Yvert, elle, fait parler la Duchesse elle-même, avec près de 60 années de recul.
Sans surprise, les Jacobins, Napoléon et le cousin de son père, le Duc d'Orléans, Philippe Egalité, dont la voix fit sans doute basculer l'Assemblée Nationale en faveur de la mort de Louis XVI, sont ceux qui en prennent le plus pour leur grades. Mais la politique menée par ses oncles est aussi très critiquée par la Duchesse qui souhaitait sans doute qu'on cherche plus à rassembler qu'à diviser le peuple. Ca ne vous rappelle rien ?
Au contraire, là encore, c'est peu surprenant, elle nous livre des portraits forts de ses parents, qu'elle regarde évidemment avec les yeux aimants d'une fille pour ses géniteurs. Mais, malgré tout, on voit là encore apparaître quelques entailles à l'image toute faite que l'on peut avoir de ces deux personnages, tellement critiqués, tellement haïs, en particulier Marie-Antoinette.
Loin d'un personnage faible et falot, la Duchesse parle de son père comme d'un homme qui a tout fait pour éviter le pire, pour maintenir la monarchie, qui lui paraissait le seul régime viable, quitte à renoncer à la monarchie absolue pour adopter une monarchie constitutionnelle à la Britannique. Elle insiste sur sa volonté de conciliation, battue en brèche par les révolutionnaires les plus enragés.
A plusieurs reprises, elle insiste sur le dévouement du roi à son peuple (ce qui ne l'exonère pas de certaines erreurs, soyons clairs) et sur sa volonté de tout faire pour que le sang ne coule pas. Un échec douloureux qui l'accompagnera sans doute jusque sur l'échafaud, où il n'imaginait pas se retrouver. Un roi chaleureux et aimant, doux et loin de l'image d'un tyran sanguinaire qu'on voulait lui faire porter.
De la même façon, Marie-Antoinette n'est pas la femme frivole, dépensière et parée de tous les vices que son époque (et quelques autres par la suite) a voulu faire d'elle. Sa jeunesse fut certainement tumultueuse, mais la mère avait pris le dessus. Souvent en retrait, elle n'est pas non plus celle qui voulait gouverner en sous-main.
On a, dans le récit de la Duchesse, le portrait d'une femme bafouée, insultée, humiliée, emprisonnée, séparé de son mari, maltraitée (et, qu'on juge sa détention juste ou non, de manière assez honteuse) puis condamnée sans vraiment pouvoir se défendre. L'Autrichienne, surnom terrible aux oreilles de celle qui se voulait avant tout française.
Je précise évidemment que je ne suis pas historien, que je ne juge ou préjuge pas de ce qui est décrit dans le roman (là encore, il y a licence romanesque, ne l'oublions pas) et qu'il ne s'agit pas de débattre sur qui a tort, qui a raison. Mais les conditions de détention de Marie-Thérèse Charlotte et de son jeune frère, encore enfants, devraient, au-delà de tout clivage, choquer et écoeurer.
Mais j'ai trouvé tout à fait passionnant que le récit ne se limite pas à la Révolution et qu'on suive ensuite la Duchesse dans son long exil. Près de quarante années passées loin de son sol natal, la certitude de ne pas y revenir avant de mourir et pourtant, un attachement fort à ce pays qu'elle pourrait légitimement détester et envoyer au diable.
Une femme forte, avec un caractère trempé, on l'imagine, dans l'épreuve terrible que fut sa jeunesse, qui craque pourtant souvent quand ces souvenirs douloureux rejaillissent. Voilà aussi pourquoi elle refusa ce rôle de symbole que d'autres auraient certainement voulu lui faire porter : il lui était insupportable...
Paradoxe, c'est sans doute à sa condition de jeune fille qu'elle doit la vie. La tuer aurait été un message déplorable, en faire un moyen de pression et une monnaie d'échange, un acte politique fort. De toute manière, la loi salique l'empêchait de régner, contrairement à son jeune frère, qu'on a voulu rééduquer, retourner contre sa famille. Et pourtant, elle fut reine, quelques jours, avant de laisser le trône à Louis-Philippe, et à la branche honnie des Orléans.
"Vouée au malheur", dire les libelles évoquant son destin tragique. Si elle reconnaissait, et comment faire autrement, le second, elle ne voulait pas se complaire dans cette position de femme éternellement malheureuse. Fut-elle heureuse pour autant ? Le mot n'est sans doute pas adéquate pour une telle survivante. Mais apaisée paraît plus juste.
Je sais bien qu'on touche là à des sujets qui ne feront jamais l'unanimité. Difficile pourtant, de ne pas être touché par ce personnage, née privilégiée puis emporté par le vent de l'Histoire et la folie des hommes. Femme d'un autre temps, pour nos yeux de lecteurs du XXIe siècle, il semble pourtant important de prêter attention au regard qu'elle porte sur les événements et à cette volonté qu'elle aura toujours, dans la lignée de son père, de chercher la conciliation et non l'affrontement ou la force.
Cette princesse effacée, comme la qualifia si justement Alexandra de Broca, avec les différents sens que l'on peut donner à cet adjectif, trouve ici une autre dimension, celle d'une femme mûre au destin accompli, qui n'est plus seulement l'éternelle orpheline du Temple, dont l'existence se serait arrêtée avant même l'adolescence, dans cette cellule spartiate d'une prison qu'on démolit par la suite pour qu'on y puisse plus célébrer le culte qu'elle refusait qu'on lui rende.
Premier roman, "Mousseline la sérieuse" est un livre qui retranscrit admirablement la maturité sereine de son personnage, mais aussi cette personnalité à la fois forte, en retrait et marquée de façon indélébile par les événements des années 1790. Comme si Sylvie Yvert avait su puiser à la source de quoi compenser son inexpérience de romancière.
Malgré sa discrétion, malgré son sérieux, dont elle ne se déparera jamais, Mousseline s'inscrit dans l'Histoire de son siècle, de ses siècles. Elle est en même temps une actrice de premier rang des événements mais aussi une victime de ces turbulences qui ont marqué cette période. A travers son regard, c'est aussi cette riche époque que l'on revit, là où Alexandra de Broca s'était surtout attachée au quotidien de sa détention.
1851, au crépuscule de son existence, Marie-Thérèse Charlotte, Duchesse d'Angoulême s'astreint à écrire ses mémoires avant de s'éteindre. Une manière de raconter une existence hors norme qui ne l'a pas ménagée, mais aussi de donner son point de vue sur 70 années d'une histoire très mouvementée. Une histoire qu'elle a vécu, pour le pire, aux premières loges.
Marie-Thèrèse Charlotte, qu'on a appelé un temps Madame Royale mais qui préférait l'affectueux surnom de Mousseline la sérieuse dont on l'a affublée dans son enfance, est la fille aînée de Louis XVI et Marie-Antoinette. Elle est surtout la seule survivante de sa famille, décimée sous la Terreur, et sera, plus tard, et pour quelques jours à peine, la dernière Reine de France. Une reine en exil et sans trône.
Née à la fin de l'année 1778, elle est encore une fillette quand tombe la Bastille et que débute la Révolution. Elle fut le témoin privilégié de cette période, suivant son père dans cette période d'impossible gouvernance, lors de la fuite Varennes puis le retour aux Tuileries, l'emprisonnement au Temple,..
Dans cette prison, elle va rester enfermée près de trois ans et demi. Plus de mille jours, calcule-t-elle, au cours desquels ses parents, sa tante et un bon nombre de ses amis seront exécutés, et son jeune frère, malade, s'éteindra. Elle subira cette réclusion dans des conditions très rudes, jusqu'à ce que Robespierre ne tombe et que Barras ne vienne alléger sa détention.
Devenue une marchandise, ou une monnaie d'échange, entre le nouveau pouvoir français et les monarchies voisines, en particulier l'Autriche, elle finira par partir en exil pour une vingtaine d'années. Ensuite, après un retour difficile sous la Restauration, pas loin d'avorter au moment des Cent Jours, elle quittera définitivement la France, son pays de coeur, pour connaître une nouvelle vie d'exil achevée en Autriche.
"Mousseline la Sérieuse" est le récit de ce destin extraordinaire par la Duchesse elle-même. Des souvenirs dans lesquels elle revient sur ces grandes étapes, mais aussi, à travers cette expérience, sur l'Histoire de France telle qu'on la raconte. Une sorte de contrechamp à ce que l'on appellerait, de nos jours, le roman national.
Sylvie Yvert reprend d'ailleurs bon nombre d'épisodes et de phrases que nous connaissons tous pour que la Duchesse puisse donner son point de vue. On s'en doute, le regard n'est pas tout à fait le même que celui que l'on a dans nos livres d'histoire. Mais, cette manière de contrebalancer les choses, que j'ai trouvée assez nuancée, d'ailleurs, est loin d'être inintéressante.
Evidemment, sans surprise, c'est la période de la Révolution qui occupe la plus grande partie de ce récit faussement autobiographique. Sylvie Yvert s'appuie sur le peu d'écrits laissés par la Duchesse, dont la plupart date de la période au Temple et furent révisés, si je puis dire, par Louis XVIII après sa libération.
Mais, ce personnage historique oublié, ou en tout cas très méconnu, que ce soit dû à sa propre volonté ou à celle des historiens, a en revanche inspiré bien des écrivains, et pas seulement actuels. Balzac et Hugo se sont penchés sur son cas, et bien sûr Châteaubriand, auquel Sylvie Yvert rend hommage en évoquant dans les premières pages les "mémoires d'outre-tombe", à propos de son livre.
Au-delà du factuel, de ce témoignage de première main dans lequel personne ou presque n'est épargné (à l'exception de ses très proches, on va en dire un mot plus loin), c'est un portrait passionnant qui se dessine. Celui d'une femme qui a refusé de devenir le symbole qu'on voulait faire d'elle, qui a souffert du profond traumatisme de cette jeunesse confisquée mais ne voulait pas céder à la facilité de se présenter en martyre.
Discrète, la Duchesse d'Angoulême va choisir de l'être, sans pour autant renoncer à jouer un rôle politique auprès de ses oncles, Louis XVIII et Charles X, en les conseillant, les incitant à la modération et la conciliation. Inlassablement, elle a combattu les extrêmes, qu'ils soient ou non favorables à la monarchie, sachant mieux que quiconque où peut mener l'extrémisme.
Mousseline la Sérieuse va le rester toute sa vie, mais on peut imaginer que sa gravité, une fois adulte, n'est pas seulement liée à son caractère inné, mais aussi à ce qu'elle a traversé. Difficile, quand le souvenirs des siens la ramènent sans cesse à un deuil impossible, à l'ignorance dans laquelle elle fut tenue du sort de ses proches (à l'exception de son père, et sans doute de son frère, dont elle a compris qu'il était mort).
Sa sévérité, son austérité, traits de caractère dont elle sait pertinemment qu'on lui prête, sont aussi une protection qu'elle dresse. Mais, ces éléments de sa personnalité sont aussi ceux avec lesquels elle juge les événements que la France va traverser à la fin de la Révolution et jusqu'à ces derniers jours. Je l'ai dit, ses critiques n'épargnent personne, et sa rancune reste tenace, on peut le comprendre aisément.
Alexandra de Broca avait choisi un regard décalé, en plaçant la narration entre les mains de Renée de Chanterenne, la dame de compagnie qui deviendra sa confidente au cours des derniers mois de sa réclusion et lui redonnera vie. Sylvie Yvert, elle, fait parler la Duchesse elle-même, avec près de 60 années de recul.
Sans surprise, les Jacobins, Napoléon et le cousin de son père, le Duc d'Orléans, Philippe Egalité, dont la voix fit sans doute basculer l'Assemblée Nationale en faveur de la mort de Louis XVI, sont ceux qui en prennent le plus pour leur grades. Mais la politique menée par ses oncles est aussi très critiquée par la Duchesse qui souhaitait sans doute qu'on cherche plus à rassembler qu'à diviser le peuple. Ca ne vous rappelle rien ?
Au contraire, là encore, c'est peu surprenant, elle nous livre des portraits forts de ses parents, qu'elle regarde évidemment avec les yeux aimants d'une fille pour ses géniteurs. Mais, malgré tout, on voit là encore apparaître quelques entailles à l'image toute faite que l'on peut avoir de ces deux personnages, tellement critiqués, tellement haïs, en particulier Marie-Antoinette.
Loin d'un personnage faible et falot, la Duchesse parle de son père comme d'un homme qui a tout fait pour éviter le pire, pour maintenir la monarchie, qui lui paraissait le seul régime viable, quitte à renoncer à la monarchie absolue pour adopter une monarchie constitutionnelle à la Britannique. Elle insiste sur sa volonté de conciliation, battue en brèche par les révolutionnaires les plus enragés.
A plusieurs reprises, elle insiste sur le dévouement du roi à son peuple (ce qui ne l'exonère pas de certaines erreurs, soyons clairs) et sur sa volonté de tout faire pour que le sang ne coule pas. Un échec douloureux qui l'accompagnera sans doute jusque sur l'échafaud, où il n'imaginait pas se retrouver. Un roi chaleureux et aimant, doux et loin de l'image d'un tyran sanguinaire qu'on voulait lui faire porter.
De la même façon, Marie-Antoinette n'est pas la femme frivole, dépensière et parée de tous les vices que son époque (et quelques autres par la suite) a voulu faire d'elle. Sa jeunesse fut certainement tumultueuse, mais la mère avait pris le dessus. Souvent en retrait, elle n'est pas non plus celle qui voulait gouverner en sous-main.
On a, dans le récit de la Duchesse, le portrait d'une femme bafouée, insultée, humiliée, emprisonnée, séparé de son mari, maltraitée (et, qu'on juge sa détention juste ou non, de manière assez honteuse) puis condamnée sans vraiment pouvoir se défendre. L'Autrichienne, surnom terrible aux oreilles de celle qui se voulait avant tout française.
Je précise évidemment que je ne suis pas historien, que je ne juge ou préjuge pas de ce qui est décrit dans le roman (là encore, il y a licence romanesque, ne l'oublions pas) et qu'il ne s'agit pas de débattre sur qui a tort, qui a raison. Mais les conditions de détention de Marie-Thérèse Charlotte et de son jeune frère, encore enfants, devraient, au-delà de tout clivage, choquer et écoeurer.
Mais j'ai trouvé tout à fait passionnant que le récit ne se limite pas à la Révolution et qu'on suive ensuite la Duchesse dans son long exil. Près de quarante années passées loin de son sol natal, la certitude de ne pas y revenir avant de mourir et pourtant, un attachement fort à ce pays qu'elle pourrait légitimement détester et envoyer au diable.
Une femme forte, avec un caractère trempé, on l'imagine, dans l'épreuve terrible que fut sa jeunesse, qui craque pourtant souvent quand ces souvenirs douloureux rejaillissent. Voilà aussi pourquoi elle refusa ce rôle de symbole que d'autres auraient certainement voulu lui faire porter : il lui était insupportable...
Paradoxe, c'est sans doute à sa condition de jeune fille qu'elle doit la vie. La tuer aurait été un message déplorable, en faire un moyen de pression et une monnaie d'échange, un acte politique fort. De toute manière, la loi salique l'empêchait de régner, contrairement à son jeune frère, qu'on a voulu rééduquer, retourner contre sa famille. Et pourtant, elle fut reine, quelques jours, avant de laisser le trône à Louis-Philippe, et à la branche honnie des Orléans.
"Vouée au malheur", dire les libelles évoquant son destin tragique. Si elle reconnaissait, et comment faire autrement, le second, elle ne voulait pas se complaire dans cette position de femme éternellement malheureuse. Fut-elle heureuse pour autant ? Le mot n'est sans doute pas adéquate pour une telle survivante. Mais apaisée paraît plus juste.
Je sais bien qu'on touche là à des sujets qui ne feront jamais l'unanimité. Difficile pourtant, de ne pas être touché par ce personnage, née privilégiée puis emporté par le vent de l'Histoire et la folie des hommes. Femme d'un autre temps, pour nos yeux de lecteurs du XXIe siècle, il semble pourtant important de prêter attention au regard qu'elle porte sur les événements et à cette volonté qu'elle aura toujours, dans la lignée de son père, de chercher la conciliation et non l'affrontement ou la force.
Cette princesse effacée, comme la qualifia si justement Alexandra de Broca, avec les différents sens que l'on peut donner à cet adjectif, trouve ici une autre dimension, celle d'une femme mûre au destin accompli, qui n'est plus seulement l'éternelle orpheline du Temple, dont l'existence se serait arrêtée avant même l'adolescence, dans cette cellule spartiate d'une prison qu'on démolit par la suite pour qu'on y puisse plus célébrer le culte qu'elle refusait qu'on lui rende.
Premier roman, "Mousseline la sérieuse" est un livre qui retranscrit admirablement la maturité sereine de son personnage, mais aussi cette personnalité à la fois forte, en retrait et marquée de façon indélébile par les événements des années 1790. Comme si Sylvie Yvert avait su puiser à la source de quoi compenser son inexpérience de romancière.
Malgré sa discrétion, malgré son sérieux, dont elle ne se déparera jamais, Mousseline s'inscrit dans l'Histoire de son siècle, de ses siècles. Elle est en même temps une actrice de premier rang des événements mais aussi une victime de ces turbulences qui ont marqué cette période. A travers son regard, c'est aussi cette riche époque que l'on revit, là où Alexandra de Broca s'était surtout attachée au quotidien de sa détention.