Cours d’éducation textuelle, par Sophie Torris…

Par Chatquilouche @chatquilouche

Cher Chat,

Voilà que depuis quelques jours, tout le monde se revendique bête de texte. Même ceux et celles qui avouent pratiquer des activités textuelles contre leur gré ont pris la position du missionnaire. C’est que l’orthographe est devenue subitement zone érogène quand les éditeurs ont fait savoir qu’ils en appliqueraient les nouvelles règles dans les manuels scolaires de la prochaine rentrée. Beaucoup ont alors pris pour du harcèlement textuel, une réforme qui date pourtant de 1990 et qui n’a, par ailleurs, jamais condamné la bitextualité. C’est ainsi que sans faire fi de ces préliminaires, le doute a pénétré les consciences et toutes les langues se sont mises, dans un grand élan de masturbation de l’esprit, à se chatouiller le nénufar.

Puisque je jouis d’une certaine expertise en matière de proximité textuelle, permettez-moi, le Chat, de juguler ici cet excès de textostérone précoce. En effet, il y a une couille dans le potage! Si aujourd’hui, on invite bien les noms composés à copuler jusqu’à ne faire plus qu’un, le circonflexe, quant à lui, reste ce text toy indispensable et celles qui pensaient se faire un petit jeûne sans qu’il ne sorte couvert vont être bien déçues. Il va falloir faire abstinence.

Les faveurs textuelles accordées sont, en fait, assez minimes*. On déflore l’hymen de quelques traits d’union et on croquemonsieur dorénavant d’une seule bouchée. On corrige certains abus textuels qui visaient par exemple, à circoncire le cure-dent de son pluriel alors que le cure-ongles n’avait pas à subir l’opération. De ce fait, en uniformisant cette règle, on s’assure non seulement d’une cohérence grammaticale, mais également d’une meilleure hygiène dentaire. Ceci dit, le S ne supplante pas pour autant l’univers du X. Mesdames, vous pourrez continuer à monter régulièrement sur vos grands chevaux et en tirer tout le plaisir textuel habituel. Ces chevals de bataille ne sont donc que contrebande et, malgré l’excitation textuelle liée à la nouveauté, vous ne devriez pas avaler n’importe quoi.

Quant à l’ognon, même si les avis divergent là-dessus, on peut comprendre qu’il tienne à soulager le i de son priapisme originel. Certains prennent ainsi position en sa faveur en optant pour une simplification des pratiques textuelles, d’autres s’attachent à perpétuer un certain sado-masochisme en menottant la langue dès qu’elle devient libertine et en lui infligeant une correction instantanée.

Je suis désolée pour ceux qui pensent que la langue française est vierge. Elle n’est heureusement pas si chaste. On la caresse depuis la nuit des temps. Ses lettres sont passées par tout un Kamasutra de positions. Elle est adepte de l’échangisme et a souvent répondu aux avances d’amours étrangères. Elle s’est d’ailleurs laissée féconder régulièrement jusqu’en 1935 sans que jamais personne n’ait crié à la déviance. Alors, pourquoi, aujourd’hui, voudrait-on en faire une langue figée, alors que son identité textuelle a toujours été mouvante, alors qu’on n’a jamais eu autant besoin d’écrire?

La nouvelle orthographe ne joue pas au strip-poker avec la langue. La réforme ne s’amuse pas à déshabiller les mots pour offrir une relation textuelle dénudée de difficultés à des jeunes qui paniquent parce qu’ils ne savent plus écrire. Elle ne cherche pas à simplifier bêtement et à régler le problème de l’échec scolaire. Pensez-vous vraiment qu’en laissant la place à l’accent grave, la crise sera moins aigüe? Ce serait tout un évènement!

Ces nouvelles pratiques textuelles ne sont donc pas très exhibitionnistes et ceux qui ont cru à l’avènement de l’écriture phonétique peuvent aller se rhabiller. La nouvelle orthographe ne défigurera pas la langue. Elle se contente tout simplement d’en gommer quelques bizarreries.

Il serait donc absurde de ne pas apprendre l’orthographe rectifiée aux nouvelles générations, mais sachez toutefois, le Chat, que l’enseignante de français que je suis et qui se fait un devoir d’appliquer cette réforme simule ce désir textuel. Que voulez-vous, je suis, tout comme vous, d’une autre époque, celle où l’érotisme de la langue se cachait dans l’exception et dans l’ambiguïté de certaines règles.

Sophîe

*http://www.gqmnf.org/NouvelleOrthographe_NouvellesRegles.html

Notice biographique

Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)