AU CLAIR DE L'AUBE
Didier FEDOU
" Dans les maisons autour de la place, des lumières s'allumaient aux fenêtres. Les chiens hurlaient, enragés, projetant des filets de bave entre leurs crocs blancs. Puis le premier échappa à Gérard et partit comme une fusée, la laisse fouettant sa croupe. En un bond, il fut sur l’homme chauve et ils roulèrent tous deux au sol. Le second devenait fou de rage, tandis que Gérard se pétrifiait : si jamais ce n'était qu'un gars, même un peu bizarre, et que son chien le tuait, il finirait ses jours en prison. Les dobermans, surtout les siens, ça ne rigolait pas.
Et alors un hurlement de douleur pure vrilla la nuit. Le molosse fit un bond de côté, comme s'il s'était pris une décharge électrique et retomba sur le flanc. Le chauve tendit une main de vieillard sur l'animal, et au contact, le pelage noir, fourni et luisant, blanchit soudain selon une onde concentrique. Le chien poussa un dernier aboiement caverneux et mourut. Son corps sembla être aspiré de l'intérieur, les muscles fondants, jusqu'à ce que la peau repose comme un parchemin sur les os. Durant tout ce temps, la main et l'avant-bras de la créature chauve, seule part visible dans le cône de lumière du lampadaire, se colorait de rose, les veines sur le dos de la main pulsant de sang frais et neuf. Et derrière, toujours dans le noir, d'autres silhouettes identiques approchaient pas à pas, communiquant entre elles avec ce même sifflement chuintant.
Maintenant, l'autre doberman reculait, la queue entre les jambes, oreilles baissées. Lorsqu'il fut dans les jambes de son maître, Gérard tressaillit, et fit volte-face pour s'enfuir en criant. "
Lors du grand chantier d'entretien d'un barrage hydroélectrique, un village englouti par le lac artificiel revient à l'air libre. Ne résistant pas à l'envie de l'explorer, Roland y découvre un vieux tableau, enfermé dans une chambre du presbytère. Il le ramène chez lui. Un chouette souvenir...
À la nuit tombée, on entend de drôles de bruits, des gens rodent dans le noir. Et bientôt le village bascule en enfer...
Ce texte revisitant le mythe des vampires fut lauréat du concours « d'après image » de l'Écritoire des Ombres, et également disponible dans le N'zine de l'association Nanaz Prod.
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Ah la la, ah la la, il est terrible le Didier Fédou! Dans le genre je te fais flipper grave une pauvre petite lectrice innocente, il est fort le bougre. Je n'ai plus le temps de lire. Donc je me suis mise aux nouvelles, histoire de ne pas avoir à faire de gros efforts de mémoire pour me rappeler de "punaise, se passait quoi déjà dans ce bouquin?" entre deux moments où je peux reprendre une lecture. Je lis une nouvelle, c'est court, c'est lu en une fois, pas besoin de chercher midi à quatorze heure, à la lecture suivante je peux passer à autre chose.
Mais qui dit nouvelle, ne dit pas histoire bâclée. Je me garderais bien de commenter par un "c'est trop court!" (private joke, monsieur Fédou comprendra, lol), c'est vrai que j'aime bien quand c'est fouillé, mais là, concernant ce "clair de l'aube", je dois dire que j'ai apprécié que ce soit court. Car c'était intense. Et surtout, c'était excessivement bien ciblé ce court.
Notre héros, Roland, trouve un tableau au fin fond d'un village abandonné (abandonné car sur les lieux d'un barrage, le village a été immergé sous l'eau, et là, a été remis à sec suite à des travaux sur ledit barrage). Ce tableau, c'est un peu la bouche de l'enfer de Buffy. Il en sort des vampires. Mais Roland, ben c'est pas Buffy. Il nous fait pas des tours de passe-passe, façon numéro de lancer de couteaux, avec des pieux. Loin de là. Mais, à son niveau, il nous improvise un sauvetage du monde, comme ça, vite fait, au débotté. Il est comme ça Roland. Action réaction. Il aurait pu se sauver en courant et laisser tout le monde se débrouiller avec les suceurs de sang, mais non, l'arrivée du tableau-bouche-de-l'enfer c'est de sa faute, de son fait, il assume ses conneries, il répare et prend tout à sa charge. Un vrai petit Hercule.
Vous comprendrez que pour des raisons évidentes de fin du Monde à éviter au plus vite, Roland se doit de faire fissa. Le style et le ton de Didier Fédou sont donc dans l'urgence. Ca dépote, ça dépote, ça dépote. Donc l'action est vite bouclée. Et l'histoire est vite finie. Mais Didier Fédou ne confond pas rapidité et précipitation. Le style est excellent, les actions bien décrites et fouillées. Bref, du grand Fédou.
(à noter que cette nouvelle fait partie d'un recueil de nouvelles du sieur Fédou, "le livre en noir" que je ne saurais que trop vous conseiller!!)