Le livre d'Aron

Par Marie-Claude Rioux
Aron, un petit juif de neuf ans, vit à Panévzys, près de la frontière lituanienne, avec sa famille. Une famille qui tire le diable par la queue, pas trop tendre. Une famille où l'on soigne les rages de dents par une «bonne gifle sur l'autre joue». Aron n'est pas le crayon le plus aiguisé de la boîte. Lui, il dirait qu'il est «bête à manger du foin».Par les temps qui courent, c'est pareil partout: la vie est dure pour tout le monde et la menace rode.Le jour où la famille d'Aron reçoit une carte d'un cousin disant qu'il y a du travail disponible dans une filature de coton à Varsovie, le père part en éclaireur, pour faire ensuite venir la famille. Au final, ce n'est guère mieux à Varsovie. Les ventres gargouillent encore plus, le typhus est dans l'air, les séances d'épouillage sont quotidiennes, la promiscuité est étouffante. Le ghetto devient le nouveau terrain de jeu d'Aron. Là, tous les coups sont permis. Lui et sa bande apprennent à survivre en mentant et en volant. La contrebande et le troc aiguisent leur débrouillardise.Quand les rues commencent à être «purgées de la juiverie», la tension est à son comble. L'étau se resserre. Les juifs sont de plus en plus acculés au pied du mur. Les membres de la famille amenés hors du ghetto, Aron se retrouve orphelins.Le docteur Janusz Korczak, le directeur de l'orphelinat du ghetto, prend Aron sous son aile. Avec l'aide de ses assistantes, il fera tout pour protéger ses enfants. Mais tout le monde sait comment ça fini… Janusz Korczak est mort à Treblinka en 1942, avec deux cent orphelins qu'il a accompagné jusqu'au bout.En choisissant de raconter la vie quotidienne dans le ghetto de Varsovie par la voix d'un enfant, Jim Shepard ne s'est pas facilité la tâche. Le pari était risqué, mais il a réussi haut la main à rendre crédible cette voix d'enfant.L'écriture de Jim Shepard, vive et spontanée, allège la dureté du sujet. Les pointes d'humour apaisent l'angoisse partout palpable. Le principal intérêt du roman tient en ce qu'il n'y est pas fait mention des camps. Tout se passe avant, ou à côté. De faire intervenir, dans le roman, Janusz Korczak, ce pédiatre polonais qui a pris sous son aile une poignée d'orphelins, donne un poids supplémentaire à l'intrigue. Je me suis rappelée le bouleversant Korczak, réalisé en 1990 par Andrzej Wajda, film inspiré de la vie du grand homme.Un roman d'une grande beauté sur le courage et l'humanité dans l'horreur. Un réquisitoire pour faire barrage à l'oubli.Le livre d’Aron, Jim Shepard, Éditions de l’Olivier, 240 pages, 2016.