Vienne. Un romancier connu, mais qui n’est pas nommé (« R. »), reçoit une longue lettre de deux douzaines de pages, écrite par une femme qui ne donne pas son identité, et qui commence ainsi : « A toi qui ne m’a jamais connue ». La suite du texte c’est l’histoire d’une vie, celle d’une enfant de treize ans vivant dans la pauvreté qui tombe immédiatement amoureuse de son nouveau voisin montrant une image de luxe et qui l’ignore évidemment. Puis de leurs rencontres ponctuelles quand elle sera adulte, sans jamais qu’il la reconnaisse et dont l’une donnera un enfant qui décédera une dizaine d’années plus tard. Jusqu’à cette lettre testament où l’inconnue elle-même à l’article de la mort, révélera ce destin et avouera son amour.
Cette nouvelle de Stefan Zweig a quelque chose d’autobiographique car l’écrivain véhiculait une réputation de Don Juan, même si rien n’a jamais été prouvé stricto sensu concernant l’origine de cet écrit. Le texte est d’une grande puissance. Le lecteur est fasciné par l’amour insensé que cette femme porte à cet homme, toute sa vie elle n’aura pensé qu’à lui, jamais elle ne lui dira quoi que ce soit, jamais il ne la reconnaîtra quand ils se croiseront. Nulle part dans sa lettre elle ne se plaindra de son sort, pas même de ce à quoi elle a dû recourir pour élever son enfant seule. Sa missive se termine même par des mots d’amour enfin dits. Elle, ne lui a jamais rien dit car elle ne voulait pas entrer dans sa vie par effraction – ah ! si lui l’avait reconnue, peut-être que… Et lui ne l’a jamais remise à chaque rencontre car homme à femmes, une de plus ou de moins dans ce défilé…
Un texte d’une très grande beauté qui s’achève sur une note troublante, l’homme ne se souvient toujours pas vraiment de qui était cette femme mais il devine que sa propre vie en sera désormais affectée, « il lui sembla qu’une porte invisible s’était soudain ouverte et qu’un courant d’air froid venu d’un autre monde s’engouffrait dans l’espace paisible où il se trouvait. »