"Elle ne sait plus comment soudain elle a senti le poids de son fils.Il s’est abattu comme un grand oiseau dans ses bras. Sans un mot. Juste un son rauque. Laisser enfin l’air passer. C’est dans les veines, au secret des poitrines que les mots fous se disent. Rien ne passe les lèvres."
Otages intimes, c’est l’histoire d’Étienne, photographe de guerre. Au cours d’un reportage, il est pris en otage. Où ? Combien de temps ? L’intérêt est ailleurs. Le livre s’ouvre sur sa libération. Enfin.
Étienne se retrouve chez sa mère, dans la maison familiale, comme une matrice bienfaitrice. Là, il va essayer de retrouver un semblant de paix intérieur. Ses amis d’enfance, Enzo et Jofranca, ne seront pas de trop sur ce douloureux chemin.
Otages intimes est un livre qu’on lit en prenant son temps. On lit une phrase. On la relit. On fait une pause. Pour en savourer chaque mot, pour en apprécier la moelle. Desphrases courtes mais fortes.
Quand je pense à Jeanne Benameur, c’est un sourire bienveillant qui me vient. Une douceur. Mais aussi une gravité qui ne me semble jamais loin. Une langue qui touche à l’émotion. L’écriture de l’intime.
A lire absolument !
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"De retour dans l’avion, il serre sur ses genoux la vieille sacoche. Il a fermé les yeux. Il retrouve les bosses, le lisse et le rugueux du cuir. Il n’en revient pas. Tout est là. Dans ce contact. Il retrouve tout, d’un coup. C’est son appareil, c’est sa vie. Il chasse loin l’image d’autres mains posées là où ses doigts se posent. Il respire un peu plus large."
"L’homme qu’est son fils aujourd’hui a touché la mort, au fond de lui. Maintenant elle peut laisser tomber tous les masques qu’elle a portés pour rassurer. Il connait la seule vérité : le pouvoir des mères est dérisoire devant la mort."
"Son pas aura désormais cette fragilité de qui sait au plus profond du cœur qu’en donnant la vie à un être on l’a voué à la mort. Et plus rien pour se mettre à l’abri de cette connaissance que les jeunes mères éloignent instinctivement de leur sein. Parce qu’il y a dans le premier cri de chaque enfant deux promesses conjointes : je vis et je mourrai. Par ton corps je viens au monde et je le quitterai seul."
"Donne-moi ta part de mort, mon fils. Donne. Je suis vieille et forte. Moi j’emporterai tout ça sous mes ailes comme l’épervier de notre village."
"Cette première nuit dans la maison, il ressort seul dans le jardin. Il s’allonge sur l’herbe, essaie de refaire alliance avec la nuit d’ici. Une de ses mains s’enfonce dans la terre. Il est rentré il est à nouveau dans un monde où rien n’est hostile, où des gens, comme sa mère, consacrent du temps à faire pousser des plantes."
"Ici tout respire la paix des gestes quotidiens que rien n’entrave."
"Cette nuit, Étienne cesse de combattre. Les mots qui sont là, en lui, sont simples. Ce sont les mots d’un homme qui sait qu’il n’est rien sans les autres, tous les autres. Alors vient l’étrange prière Vous tous, du bout du monde et d’ici, vous tous qui m’avez fait ce que je suis, donnez-moi juste la force de continuer."
"Quand tu es « recueillie » tu n’habites jamais vraiment. Tu fais des tentatives, c’est tout. Moi je vis dans un espace intermédiaire. Entre recueillie et habiter, il y a un espace que je n’ai jamais franchi. C’est là que je vis."
Les avis de Jérôme et Noukette, forcément !
Actes SudISBN 978 2 330 05311 6208 pages2015 18.80€