Dans la peau d’un peintre du dimanche

Hubert

Hubert (Ben Gijsemans – Editions Dargaud)

Non, la BD flamande ne se limite pas à Bob et Bobette! Depuis quelques années, la partie néerlandophone de la Belgique produit même de plus en plus d’auteurs de BD de grand talent. Il suffit de penser à quelqu’un comme Brecht Evens, par exemple, dont l’album « Les noceurs » a remporté le prix d’audace du festival d’Angoulême en 2011 et qui a réalisé depuis lors deux autres BD mémorables (« Les amateurs » et « Panthère »). Il y a quelques années, l’auteure flamande Judith Vanistendael avait elle aussi marqué les esprits avec « David, les femmes et la mort », un magnifique album sur le cancer. Il est réjouissant de constater que ces auteurs néerlandophones n’hésitent pas à explorer de nouveaux horizons et osent adopter un style particulièrement original, à mille lieues du côté très formaté des BD populaires flamandes telles que « Suske & Wiske », « Kiekeboe » ou « Jommeke ». Autre bonne nouvelle: les livres de ces nouveaux auteurs flamands sont désormais souvent traduits en français, permettant ainsi à un public plus large de les découvrir. Espérons donc que le succès sera au rendez-vous pour la BD « Hubert », qui vient de sortir en version française chez Dargaud deux ans après avoir été publiée pour la première fois en néerlandais. Véritable OVNI, ce roman graphique inclassable est signé par le jeune Ben Gijsemans, même pas 30 ans, qui réussit avec cet album des débuts fracassants dans le milieu de la bande dessinée. C’est d’ailleurs avec le premier volet de cette histoire qu’il a brillamment terminé ses études en bande dessinée au célèbre Institut supérieur Saint-Luc de Bruxelles.

Hubert (extrait)

Difficile de résumer l’histoire de l’album. En tout cas, sa traduction du néerlandais vers le français n’a pas dû prendre beaucoup de temps, car les dialogues y sont plutôt rares! Hubert est un homme d’âge moyen, au caractère introverti. Dès qu’il en a l’occasion, il visite les Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles, où il passe de longues heures à admirer les tableaux, en scrutant tous les détails et en prenant des photos. Ensuite, il retourne dans son petit appartement et s’installe à son chevalet pour reproduire les tableaux qui l’ont marqué. C’est à peu près tout… Pour le reste, il ne se passe pas grand-chose dans la vie d’Hubert : il observe sa voisine d’en face par la fenêtre, il va de temps en temps à Paris pour visiter le musée d’Orsay, il accepte de boire un verre avec une autre de ses voisines en mal d’amour, il regarde des vieux films de Charlot. Racontée comme ça, l’histoire d’Hubert ne semble a priori pas d’un grand intérêt. Et pourtant, si l’on parvient à plonger dans les pages de l’album, on se rend compte que les planches dessinées par Ben Gijsemans sont véritablement envoûtantes, en particulier grâce à la narration très lente et ce côté contemplatif presque japonais, qui fait penser à certaines BD de Taniguchi. Graphiquement aussi, c’est particulièrement original, tant au niveau de la structure des pages (qui sont quasiment toutes découpées en neuf cases identiques), mais aussi à l’attention toute particulière accordée par Ben Gijsemans aux détails des peintures, donnant ainsi au lecteur l’impression d’être dans la peau d’Hubert et d’admirer les tableaux en même temps que lui. Un album surprenant et inattendu, et une première BD très réussie.