Il est des livres dont on entend beaucoup parler à leur sortie, soit par les médias traditionnels, soit par les émissions spécialisées, soit par le bouche à oreille 2.0, comprenez blogs et forums. On tend la sienne, d'oreille, on note, on se dit qu'on le lirait bien, mais pas tout de suite, ou qu'on attendra la sortie en poche... Parfois ce souhait reste lettre morte et puis, parfois, effectivement, quand le livre arrive en poche, on se dit que ça vaudrait le coup d'y jeter un oeil... C'est exactement le cas de "Dernier désir", d'Olivier Bordaçarre, qui est récemment paru au Livre de Poche. Un roman noir qui tourne peu à peu au thriller, dans un crescendo continu et propose une variation sur une thématique de plus en plus souvent abordée : le voisinage... Je me demande si je ne vais pas mener une petite enquête sur les miens, tiens. Ou leur pourrir la vie ? Hum, revenons à nos moutons...
Les Martin vivent depuis une dizaine d'années la vie dont ils ont rêvé. Après avoir quitté leur région natale pour "monter à Paris", comme on dit, Mina et Jonathan se sont perdus dans le tourbillon de la capitale, dans le jeu des apparences, dans la société de consommation à tout crin... Et puis, un jour, ils en ont eu assez et ont décidé de fuir ce monde faux et superficiel.
Direction le Cher, en plein centre de la France. A Neuilly-en-Dun, charmant village situé sur l'ancien Canal du Berry. C'est d'ailleurs au bord de ce canal, qui n'est plus en activité depuis le milieu des années 50, que se sont installés les Martin avec leur jeune fils Romain. Ils ont racheté et retapé une ancienne maison d'éclusier, où ils vivent à l'écart de tout ou presque, modestement mais heureusement.
Mina travaille comme guide au Château de Liénesse, qui se trouve sur la même commune. Quant à Jonathan, il réalise quelques travaux de menuiserie pour répondre à des commandes locales et s'adonne à l'apiculture. Les meubles et le miel viennent apporter un revenu complémentaire à la famille. Pas une fortune, mais les besoins des Martin ne sont pas énormes non plus.
Bref, la vie est douce, pour les Martin, loin de toute agitation, selon un mode de vie proche de la nature, en adéquation avec leurs idées, leur vision du monde. Seule concession à la modernité, la superbe collection de disques de blues de Jonathan, qu'il écoute toutefois sur une vieille chaîne hi-fi qui n'a rien d'un appareil dernier cri.
Ici, on ne parle pas d'internet, de télévision, de consoles de jeu, de tablettes, de téléphones portables... Parce que l'essentiel est ailleurs, les Martin en sont persuadés. Ils ne sont pas militants altermondialistes, mais savent défendre leur mode de vie lorsque l'occasion se présente et leur existence depuis une décennie les confortent dans cette position.
Et puis, un jour d'été, en pleine canicule, vient se présenter à eux un homme. Vladimir Martin, dit-il s'appeler. La coïncidence patronymique amuse, même s'il n'y a pas qu'un âne qui s'appelle Martin, comme dit l'adage. L'homme porte beau, avec ses longs cheveux, sa silhouette élancée, il paraît sympathique, même s'il en dit peut sur lui.
Tout juste les Martin savent-ils que Vladimir a acheté une autre maison d'éclusier, sise à quelques centaines de mètres de la leur, et qu'il est donc leur nouveau voisin. Il vit seul, va avoir besoin d'un peu de temps pour s'installer dans sa nouvelle maison, alors les Martin essayent de nouer de bonnes et cordiales relations avec lui.
Et tout se passe bien. Dans un premier temps, en tout cas...
On rentre peu à peu dans cette histoire et dans ce court roman (230 pages), mais au fil des chapitres, la tension monte et je dois dire, de façon très habile. Parce qu'on ne s'attend pas forcément à la façon dont les choses vont se passer. On a bien une petite idée, forcément, qui va en se confirmant, tout du moins, le croit-on, et puis...
Pas évident de parler de ce livre, parce que sa mécanique est très précise et repose sur des éléments et des situations qu'il vaut mieux vous laisser découvrir. Mais, évidemment, vous l'aurez compris, avec le titre du roman et avec la phrase que j'ai choisie comme titre (après avoir pas mal hésité, d'ailleurs), sur le désir...
Nous n'y sommes pas imperméable, personne ne l'est vraiment, je pense, et il peut prendre des formes bien différentes en fonction de chacun. Qu'il soit matériel, amoureux, inavouable, secret, interdit, envahissant, qu'on l'exprime clairement ou qu'on le refoule, le désir est là, tapi en nous, et risque de resurgir à n'importe quel moment...
Bon, on ne va pas faire un devoir de philo sur le désir, hein. Mais, c'est vraiment cela qui est au coeur de ce roman. Avec son corollaire, l'envie. Vous savez, un des sept péchés capitaux. Alors, oui, à quoi sert un désir, si on ne l'assouvit pas ? Mais, surtout, jusqu'où est-on prêt à aller pour l'assouvir ? That is the question...
"Dernier désir", c'est l'affrontement de deux mondes au bord d'un vieux canal où ne passe plus de bateaux. La rencontre génératrice d'étincelles de deux modes de vie diamétralement opposés. Un bras de fer à deux contre un. Reste à savoir qui cédera, quel sera le maillon faible et quelles seront les causes de cet abandon.
Vous noterez que, dans ce billet, j'ai bien plus parlé de la famille Martin que du nouveau voisin, Vladimir. Il faut dire qu'on en sait assez peu sur lui et que ce que l'on découvre à son sujet au fil des pages reste assez superficiel. Cerner le personnage est loin d'être évident. En revanche, ce qu'il cherche, là, on s'en doute, et assez vite.
Mais, il y a quelque chose d'assez frappant dans les passages qui le concerne : Vladimir a quelque chose de flippant, de glaçant. Il est froid comme une anguille et les éléments physiques qu'on a à propos de lui instille peu à peu dans l'esprit du lecteur un doute. Un doute que je résumerai avec cette simple phrase : mais c'est qui, ce mec-là ?
Pour être franc, dès le départ, un mot m'est venu à l'esprit le concernant. Un mot qui, par la suite, n'a cessé de gagner du terrain, au point de me demander si je n'allais pas avoir droit à un coup de Trafalgar faisant pencher le tout vers le fantastique. Car, ce mot, alimenté, je le précise bien, par le texte d'Olivier Bordaçarre, c'est : vampire.
Au départ, je me suis dit que le prénom Vladimir m'influençait. Bon, Martin, c'est moins effrayant que Dracula, c'est certain, mais Vladimir, quand même ! Avec un charisme surnaturel et tous ces indices physiques, distillés avec soin par l'auteur, et qui laisse imaginer qu'on a bien là, face à la brave famille Martin, un prédateur de la pire espèce...
En plus, il vit la nuit, le Vladimir ! Bon, il vit aussi le jour, et comme l'ambiance de "Dernier désir", ce n'est pas vraiment la même que dans "Twilight", la théorie vampirique a pris du plomb dans l'aile. Mais pas complètement... Oui, j'insiste, "Dernier désir" est un roman vampirique, il y a des indices tout au long du roman pour justifier cela.
Simplement, ce n'est pas un vampirisme "draculesque" car ce n'est pas une personne qui va être mordue et vidée goulûment de sa substance vitale. Pourtant, c'est effectivement ce qui se passe, un jeu de vases communicants diaboliquement orchestré par Olivier Bordaçarre, que le lecteur suit, fasciné par l'audace de la démarche et son avancée inexorable...
En lisant lisant "Dernier désir", j'ai repensé au film de Dominik Moll "Harry, un ami qui vous veut du bien", avec un Sergi Lopez qui veut tellement bien faire, exactement comme Vladimir semble vouloir se comporter avec les Martin... Mais, au fil des pages, une autre lecture m'est venue en tête : "Derrière la haine", de Barbara Abel.
On retrouve au départ une relation entre voisin tout ce qu'il y a d'ordinaire. En plus, avec l'isolement, on est vraiment chacun chez soi, on n'est pas juste séparé par une haie, comme chez Barbara Abel... Mais, cette proximité, même large, est propice aux accrocs ou pire, aux mauvais coups. Et le peu qu'on sait de Vladimir n'est pas pour être rassurant.
On se pose bien des questions, à la fin du livre : comment Vladimir a-t-il atterri sur les bords du Canal du Berry ? D'où vient-il ? Qu'a-t-il vécu auparavant ? On n'en saura que peu de choses et ce questionnement titille l'esprit du lecteur. C'est agaçant, énervant, même, et pourtant, ce mystère qui plane, l'impression d'avoir un être aux confins du surnaturel en face de soi, renforcent la tension.
Et puis, lorsque peu à peu, on devine les intentions de Vladimir et qu'on voit comment il s'y prend, alors une autre lecture, toute récente, vient faire tilt : "Appelez-moi Lorca Horowitz", d'Anne Plantagenet. Oh, le contexte est complètement différent, la manière de raconter l'histoire aussi, les deux livres n'appartiennent pas aux mêmes genres, et pourtant, le parallèle me paraît pertinent.
J'ai beaucoup aimé la montée des tensions qui va sans cesse en s'accélérant, annonçant un inévitable drame. C'est sournois et cela joue sur nos faiblesses, nos mesquineries à tous. Les personnalités se dévoilent, les parts d'ombre apparaissent et l'eau se répand dans le gaz (ou l'inverse)... La construction est imparable jusqu'à un final qui laisse pantois.
Ajoutez à cela une bande musicale remarquable, à base de blues et de jazz, sans oublier une goutte de classique qui tient une place bien moins anodine qu'il n'y paraît, et vous avez une lecture qu'on ne lâche pas. Jusqu'à cette dernière page qui m'a fait passer un léger frisson dans le dos... Fin ouverte, qui permet à l'imaginaire de fonctionner. Et le mien s'est emballé.
"Dernier désir" est aussi une féroce critique de la société de consommation, lorsque l'argent devient la valeur essentielle qui permet de tout acheter. Et pas seulement des biens manufacturés. Mais, dans le même temps, les solutions alternatives proposées sont également montrées du doigt, pour leur intransigeance.
En fait, ce que nous dit ce livre, ce n'est pas de renoncer à nos désirs, ni de les assouvir tous sans restriction et par tous les moyens possibles. Mais de faire preuve de mesure en tout. Non, tout ne s'achète pas, mais, si l'argent ne fait pas le bonheur, se priver de tout non plus. A chacun de nous de trouver l'équilibre qui nous rendra la vie plus supportable.